TOUT EST DIT

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lundi 24 mars 2014

Ecoutes : relisons Montesquieu !


Pour notre chroniqueur Gaspard Koenig, Montesquieu a répondu par avance à toutes les questions que soulèvent les écoutes ordonnées contre l'avocat de Nicolas Sarkozy.
On parle beaucoup ces temps-ci d'indépendance de la magistrature. Le Président de la République a refusé d'intervenir dans l'affaire des écoutes d'un avocat, Thierry Herzog, au prétexte, précisément, de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice. Ce faisant, tout un chacun invoque Montesquieu.
On aurait pourtant des surprises en allant regarder le détail du livre XI de la première partie de l'Esprit des Lois, où Montesquieu expose son principe bien connu selon lequel «il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir» (au passage, je précise que ce passage n'occupe qu'une infime partie de l'Esprit des Lois, vaste pot-pourri où l'on trouve des chapitres sur les eunuques ou sur «la longue chevelure des rois francs»).
Montesquieu pose bien la distinction entre les trois pouvoirs que l'on reconnaît habituellement dans l'Etat: puissance législative (faire les lois), puissance exécutrice (les appliquer), puissance de juger. D'ailleurs, on peut se demander si l'organisation institutionnelle actuelle, où l'exécutif est de facto à l'origine de toute législation via sa main-mise sur le parti majoritaire, n'engendre pas une inquiétante confusion. Comme l'écritMontesquieu, «lorsque, dans la même personne, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté». Ne serait-ce pas très largement le cas des Présidents de la Ve République, chefs de parti fantômes et chefs de gouvernement bis? Mais passons.
Le point essentiel s'agissant des magistrats, c'est que la séparation des pouvoirs ne signifie pas leur autonomie. Bien au contraire! L'équilibre cher à Montesquieu implique une perpétuelle interaction des trois pouvoirs pour éviter les inévitables dérives. Un siècle avant que Lord Acton ne formule sa célèbre maxime selon laquelle «tout pouvoir corrompt», Montesquieu avait déjà établi que l'esprit des lois est une affaire de psychologie tout autant que de politique. Car «tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait! La vertu même a besoin de limites».
Le meilleur régime, c'est celui qui permet de ligoter l'autocrate qui sommeille en chacun de nous.
Et cela ne s'applique pas seulement au pouvoir exécutif, mais tout autant aux juges! Montesquieu mettait en garde contre le gouvernement des juges, en rappelant «la tyrannique magistrature des éphores [magistrats de Sparte, également juges], et les inquisiteurs d'Etat à Venise, qui sont aussi despotiques». Il est entièrement du ressort de l'exécutif de s'assurer que les juges n'outrepassent pas leur pouvoir. Il était donc parfaitement légitime que les représentants des avocats, solidaires de Maître Herzog et inquiets pour leurs libertés, aient envoyé leur requête au Président de la République, dont la fin de non-recevoir n'est motivée par aucune analyse institutionnelle sérieuse (François Hollande ayant déclaré qu'il ne lui «appartient pas, en vertu de la séparation des pouvoirs, de s'immiscer dans une affaire judiciaire»).
Montesquieu complète son propos par quelques remarques incidentes dont on pourrait également s'inspirer aujourd'hui. Par exemple qu'«il faut que les juges soient de la condition de l'accusé, ou ses pairs, pour qu'il ne puisse pas se mettre dans l'esprit qu'il soit tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence». On se souvient d'Eva Joly fière de brandir ses feuilles de paie face auxpatrons qu'elle accusait… 
Le soupçon de ressentiment qui pèse aujourd'hui sur les juges, et l'impression d'acharnement sur les personnalités du monde politique ou financier, ont malheureusement trouvé à s'alimenter dans l'affaire du «mur des cons», véritable tableau de chasse des juges du Syndicat de la Magistrature, qui ne cache pas ses attaches partisanes. La récente mise en examen de la présidente de ce Syndicat est, de ce point de vue, une excellente nouvelle.
C'est donc en empêchant fermement le pouvoir judiciairede diligenter des écoutes sans raison suffisante, ou de procéder à des «écoutes incidentes» (hors de l'objet de la saisine), que l'on garantira au mieux cette liberté politique que Montesquieu définit comme la «tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté». Monsieur le Président de la République, au nom de la séparation des pouvoirs, veillez à ce que nos juges ne deviennent pas des inquisiteurs!


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