dimanche 16 mars 2014
Christiane Taubira : pour Hollande, la sacrifier sera une opération à haut risque
"Je n’ai aucun sentiment de lâchage". La formule - issue d’une interview donnée au Monde (14/03) - est alambiquée, et elle dénonce à elle seule le doute de Christiane Taubira. On connait la musique : ce refrain d’auto-réassurance a les accents classiques de tou(te)s les futur(e)s viré(e)s du gouvernement quand ils (elles) ont conscience d’être sur un siège éjectable.
"Bien sûr que non", comme elle le dit, la ministre de la Justice ne démissionnera pas. Bien sûr que non, elle ne sera pas "démissionnée". Bien sûr qu’elle peut même se prévaloir de la confiance officielle et réaffirmée de l’Élysée et de Matignon !
Elle sait qu’elle n’a rien à craindre pour le moment. Un départ précipité de la place Vendôme avant les Municipales signerait un aveu de culpabilité du pouvoir dans l’affaire des écoutes. Il faudrait être fou pour la livrer en victime expiatoire aux crocs d’une droite enragée qui aboie pour réclamer l’hallali.
Le président cherche à lui régler son compte proprement
Loin de précipiter la chute de la star Taubira, le scandale politique qui la déstabilise aurait plutôt un effet retardateur sur une échéance inéluctable. En fait, il repousse de quelques semaines la fin programmée de son histoire ministérielle.
Car - le sait-elle ? - la garde des Sceaux est condamnée depuis un bon moment. Le président cherche simplement à lui régler son compte le plus proprement, le plus dignement, et le plus amicalement possible, mais ce n’est qu’une question de forme, et de temps. L’héroïne qui a incarné l’avènement dumariage pour tous, seule réforme vraiment emblématique du quinquennat à ce jour, est devenue encombrante.
Une figure de la gauche
Un verdict injuste. Christiane Taubira est l’une des rares figures de ce gouvernement à porter, courageusement, les valeurs de la gauche contre les vents et marées des polémiques éphémères.
L’une des seules voix à oser définir les vraies différences avec la droite dans l’exercice du pouvoir et la définition des priorités publiques. L’une des rares consciences à résister aux diktats d’un réalisme gestionnaire froid.
L’une des rares ministres qui ne craint pas de mettre de l’âme et du romantisme politique dans son action et ses déclarations.
C’est précisément ce profil qui l’exclut par avance du scénario de la saison 2 du quinquennat Hollande. Elle n’a pas de rôle dans cette deuxième partie où la survie du président sera le fragile fil conducteur de l’histoire 2014-2017. Hors-sujet les convictions, l’indignation et l’exaltation ! Il faudra un casting passe-partout prêt à faire un jeu de droite libérale et vaguement sociale avec une étiquette de gauche. Désolé, Christiane, mais tu détonnes dans ce film-là…
En électron libre, elle peut faire des étincelles en 2017
Contrairement au tonitruant Nicolas Sarkozy qui peinait à passer à l’acte pour mettre ses sentences verbales à exécution et flinguer définitivement les ministres qu’il bashait en privé, le débonnaire Hollande, lui, ne fait pas de sentiment. C’est un calculateur sans affect, un horloger des équilibres politiques concentré sur la précision de sa minuterie électorale.
Si un rouage peut faire masse et bloquer le mécanisme, il faut l’éliminer. Point.
Certains analystes élyséens prétendent qu’il hésiterait à mettre Taubira hors-circuit de peur que cet électron redevenu libre fasse des interférences en 2017 avec une candidature qui pourrait s’avérer dévastatrice au premier tour.
C’est un danger effectivement, mais il aura trois ans pour le désamorcer et il n’est même pas sûr que la passionaria, inévitablement touchée par les haines qu’elle a dû affronter, ait encore suffisamment de désir et d’énergie pour s’engager dans une présidentielle où elle assurée de prendre des coups.
Un jugement ambivalent dans son propre camp
En revanche, les avantages que procurerait sa mise à l’écart lors du prochain remaniement apparaissent clairement. La droite serait privée d’un objet de caricature dont elle se sert pour décrédibiliser toute la gauche et la disparition de la figure de proue progressiste contribuerait à calmer les délires des anti-mariages pour tous.
En interne, la sortie de Christiane Taubira ne ferait pas que des mécontents. Si la ministre de la justice compte des fans parmi des collègues, d’autres ne se gênent pas pour dire toute l’exaspération que cette grande gueule leur inspire.
Ses maladresses dans le traitement du dossier écoutes ont aggravé son cas, à leurs yeux. Ils jugent sévèrement la témérité avec laquelle elle s’est elle-même exposée sur les plateaux de télé. Sa prestation, inhabituellement laborieuse, au Grand Journal a été crucifiée : "elle a voulu faire son numéro, mais c’était le numéro de trop et cette fois-ci elle s’est plantée", entend-on derrière son dos.
Pas besoin de les pousser longtemps pour qu’ils se laissent aller à dénoncer l’ego de cette forte personnalité qui ne les ménage pas non plus quand elle cingle : "Certains récitent des éléments de langage. Moi, je réponds aux questions, à mon détriment d’ailleurs".
Désavouée face à Valls
Le bilan à la chancellerie de cette magicienne du verbe est désormais revu à la baisse dans son propre camp. On rappelle charitablement qu’elle a épuisé ses collaborateurs avec son caractère difficile et ses emportements. Sans grand résultat concret : même les syndicats de magistrats, qui la regardaient d’un œil favorable, ont pris leurs distances.
Plus mesurable encore, la disgrâce politique, elle, a été enclenchée. Elle a perdu pratiquement tous les arbitrages qui la mettaient en opposition avec Manuel Valls sur la réforme pénale, vidée de son contenu - et en tout cas du sens qu’elle voulait lui donner - au profit de la poursuite d’une politique carcérale classique. Si, en supplément, elle pouvait ne plus être aux commandes au moment de l’examen du texte, en avril, cela serait l’idéal, vu de la place Beauvau… Son remplaçant est déjà en orbite : le sénateur André Vallini.
Transférer la charismatique Taubira dans un autre ministère, comme la Culture? Tentant mais il n’est pas sûr qu’elle accepterait ce qu’elle verrait comme un déclassement.
Pas sûr du tout, non plus, que son pouvoir explosif y serait neutralisé et que sa parole incontrôlable ne produisent pas d’autres nuisances sur des dossiers sensibles.
Alors François Hollande a fait le compte des avantages et des désavantages de son maintien dans l’équipe gouvernementale : la colonne des soustractions est plus longue que celle des additions. Et, on le sait, ce diplômé d’HEC a toujours fait prévaloir l’arithmétique sur la littérature, à l’Élysée comme au PS.
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