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mardi 14 janvier 2014

La leçon de Roosevelt à Hollande

La leçon de Roosevelt à Hollande


Voilà un livre que François Hollande devrait lire de toute urgence : il rassemble, avec une excellente préface introductive de Denis Griesmar, les fameuses causeries au coin du feu (Fireside Chats) du président Franklin Delano Roosevelt. Elles s'étendent de 1933, date de sa première entrée en fonctions, à 1944, année du Débarquement en Normandie, mais aussi de sa quatrième élection présidentielle victorieuse, quelques mois avant sa mort d'une crise cardiaque. Ainsi, durant onze années consécutives, le président Roosevelt s'est-il adressé directement par la radio à ses compatriotes, plusieurs fois par an, à chaque moment qu'il jugeait décisif. Ces interventions radiophoniques nous fascinent doublement : d'une part, parce qu'elles correspondent chronologiquement à cette crise des années 30 qui présente tant de points communs avec la situation actuelle ; d'autre part, et peut-être surtout, par l'extrême originalité et nouveauté de la méthode de communication présidentielle inventée par le président Roosevelt en pleine tempête.
Sur le plan politique, ce qui frappe avant tout, c'est l'extraordinaire énergie que ne cesse de déployer Roosevelt - de quoi nous inspirer quelque nostalgie - et la marge impressionnante d'actions qu'il parvient à dégager - de quoi provoquer une envie mélancolique chez François Hollande. Durant ces années Roosevelt, face à la dépression économique, à la catastrophe bancaire, à la misère de millions d'Américains, à la terrible sécheresse qui ruine les agriculteurs, puis à l'approche de la guerre et à l'agression traîtresse des Japonais, le président américain fait face et innove, n'hésitant ni à fermer provisoirement les banques pour éviter l'effondrement du système financier ni à transgresser tous les canons libéraux pour mener une politique résolument dirigiste. Il agit sur les prix, lance des grands travaux, vole au secours des fermiers, relance l'activité par des déficits budgétaires énormes, multiplie les investissements publics, impose des augmentations de salaire. De quoi épouvanter la plupart des économistes actuels. Il est vrai qu'à l'époque les gouvernements avaient les coudées beaucoup plus franches qu'actuellement et que, si Roosevelt a littéralement ranimé l'économie américaine, son New Deal battait sérieusement de l'aile à l'approche de la guerre, qui l'a peut-être sauvé. La décennie Roosevelt n'en ressemble pas moins à une épopée du volontarisme.
Elle n'a été possible que grâce au lien unique que Franklin Delano Roosevelt a su créer avec le peuple américain. C'est là que ses causeries au coin du feu ont joué un rôle majeur. À cette époque, encore plus anxiogène qu'aujourd'hui, la presse était essentiellement locale, la télévision était dans les limbes. Le seul président américain à avoir été élu quatre fois a eu le coup de génie de comprendre que la radio lui offrait la possibilité de s'adresser directement au peuple américain tout entier, mais aussi, par la même occasion, à chaque foyer en particulier, donc de mettre sur pied une sorte de dialogue inégal mais sacralisé entre le chef de l'État et les citoyens. Ses causeries, suffisamment rares pour rester des moments solennels, mais suffisamment simples pour être comprises par la grande masse du peuple, ont connu un véritable triomphe. Le président Roosevelt en soignait méticuleusement la forme, s'exprimant d'une voix claire sur un ton naturel, prenant à témoin ses interlocuteurs, multipliant les arguments de bon sens et les exemples accessibles. En retour, il recevait des millions de lettres et de témoignages. Il avait inventé, au plus fort d'une tempête historique, un mode d'expression original, familier et cependant débordant d'énergie, d'initiatives, et vibrant d'optimisme, aux antipodes des éructations hallucinées de Hitler. Ainsi a-t-il rétabli la confiance après le désastre bancaire, rendu l'espoir aux chômeurs, aux fermiers ruinés, aux petits propriétaires étranglés. Ainsi a-t-il, après des années d'isolationnisme lorsqu'il était concentré sur la seule Amérique, su entraîner peu à peu son peuple réticent et meurtri par la crise vers un engagement croissant dans la guerre, économiquement, financièrement, puis militairement après Pearl Harbor.
C'est aussi une leçon ou un exemple pour les gouvernants d'aujourd'hui. Face à la crise économique et sociale, face à l'ébranlement des valeurs, face à un pessimisme destructeur et au travail de sape des déclinistes de tout poil, la question du lien entre le président et les citoyens ne peut plus se poser de façon ordinaire. Il faut savoir imaginer un type de communication radicalement différent, comme l'a fait Roosevelt, et d'autant plus que l'information continue et les réseaux sociaux imposent des règles inédites. Cela implique, certes - c'est un préalable -, franchise, cohérence et fermeté. Cela ne peut se passer de premiers résultats tangibles, mais cela transite obligatoirement par une stratégie de communication inventive, novatrice, sérieuse et ambitieuse. À la Roosevelt.
Causeries au coin du feu. 1933-1944, de Franklin Delano Roosevelt. Traduit de l'américain et préfacé par Denis Griesmar (Bartillat, 420 p., 24 euros).

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