dimanche 27 octobre 2013
Il y a urgence à restaurer le sens des mots !
L’identité nationale de la France repose principalement sur deux piliers : son histoire et sa langue. La première est sourdement minée par une absurde repentance. La seconde se corrompt jour après jour. Dans De l’universalité de la langue française (1783), Rivarol soulignait un élément qui ne dépend pas du nombre des francophones, la qualité intrinsèque du français : « Ce qui n’est pas clair n’est pas français. » Disant cela, il faisait écho au classique Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. » Mais Rivarol ajoutait : « Les langues passent et se dégradent en suivant le déclin des empires. » À entendre le débat politique actuel, nous y sommes.
Au sabir de Leonarda et de sa famille, dont on aimerait savoir quelle est la langue familière, répond le délire verbal des politiques. L’inflation lexicale chasse les mots justes et subvertit le sens des discours. Lorsqu’un député socialiste parle de « rafle » à propos de l’interpellation de la jeune Kosovare, il use d’un terme impropre puisqu’une rafle est une arrestation massive, mais il le fait avec perversité : l’arrestation de jeunes devant leurs camarades, ça ne vous rappelle rien ? Non plus perverse, mais odieuse et stupide, la formule employée par un responsable de l’extrême gauche pour qualifier la proposition présidentielle d’un retour de la fille sans les parents : « cruauté abjecte ». On pouvait dire bien des choses : que c’était généreux et maladroit ; que c’était scandaleusement contraire à la loi et aux conventions ; que c’était, en un mot, « hollandais »… Mais si cela est « cruel » et « abject », que reste-t-il désormais pour désigner l’horreur ? À part « génocide » si la victime appartient à une minorité, on ne voit plus…
Un autre mésusage du vocabulaire est comique : notre très laïciste ministre de l’Éducation veut « sanctuariser » les écoles. Le problème, c’est qu’un sanctuaire, par définition, c’est un lieu particulièrement réservé aux cérémonies d’un culte religieux, et dont l’enceinte est protégée par l’invisible frontière entre le sacré et le profane. Curieuses inversion des termes et confusion des esprits…
On en arrive à cette extrémité qu’avait imaginée Orwell, décrivant à travers la « novlangue » le processus de la manipulation totalitaire du langage, à savoir que les mots finissent par suggérer le contraire de ce qu’ils disent. Ainsi en est-il du mot « citoyen », qu’un manifestant en faveur de Leonarda n’hésite pas à employer pour la désigner, en oubliant qu’une résidente illégale et temporaire n’est évidemment pas une citoyenne. « Républicain » est, de même, un concept vidé de tout sens par ceux qui en abusent. Il peut bien sûr désigner ce qui touche au régime qui a succédé à la monarchie. Mais il qualifie d’abord ce qui a trait à la chose publique, au bien commun de tous les Français, aux institutions qui organisent le pouvoir de ceux qui sont censés le réaliser. Lorsqu’il est employé pour expulser de la vie démocratique un parti qui ne menace en rien le régime, et que l’on conteste ainsi la légitimité du vote de ses électeurs, on voit apparaître cette contradiction qui consiste à discriminer au nom d’une République et de ses principes au premier rang desquels figureraient la liberté, l’égalité… et la non-discrimination ! La République n’est plus un mot que définit une idée, c’est un stimulus destiné à provoquer un réflexe dans un contexte que le rationnel a déserté et que l’émotionnel a envahi : certains appellent « valeurs de la République » les préjugés de leur idéologie afin de susciter le respect et la sympathie que la République n’a pas à nourrir à l’égard de ce qui affaiblit la nation et l’État. De même avait-on qualifié de « pour tous » des unions qui ne pouvaient concerner que quelque-uns…
La résistance qui grandit en France contre la chute du pays doit aussi être un combat pour notre langue. Il est urgent et nécessaire, à nouveau, et comme l’écrivait Mallarmé, de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ».
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