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dimanche 25 août 2013

La capricieuse météo des inégalités

La capricieuse météo des inégalités


Qui, des plus riches et des plus pauvres, pâtit le plus de la crise ? Explications. 

Les vacances d'été sont devenues l'un des rares moments de l'année où la France d'"en haut" et celle d'"en bas" ont encore l'occasion de se côtoyer. Au hasard, par exemple, d'une rencontre à la terrasse du café du port. Les ports de plaisance n'ont pas seulement été créés, pour reprendre la définition de Philippe Bouvard, "pour que les navigateurs qui ne prennent jamais la mer rencontrent les vacanciers qui n'ont pas de bateau". Ils ont aussi été inventés pour que les classes modestes et moyennes puissent approcher de très près, sur les quais, l'hyper-richesse et les yachts à plusieurs millions d'euros. Pour qu'elles prennent en pleine face les inégalités de revenus.

Du côté de celles-ci, les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Elles se creusent à nouveau, et fortement, à peu près partout dans le monde. Au début de la crise financière, les riches avaient terriblement souffert. Entre 2007 et 2009, les revenus des 1 % d'Américains les plus riches avaient chuté de 36 %, contre 11,6 % pour les 99 % restants. Mais depuis 2010, grâce au rebond des marchés boursiers, les choses se sont bien arrangées pour eux. Contrairement à ce qui s'était passé dans les années 30, où le revenu des super-riches s'était durablement effondré avec pour conséquence une réduction très forte des inégalités. En France, par exemple, la part des revenus perçue par le centième de la population le plus riche était passée de 15,4 % en 1935 à 8,9 % en 1950.
Rien de tel aujourd'hui. En 2010, dernière année recensée pour l'ensemble des pays de l'OCDE, le revenu moyen des 10 % les plus riches représentait 9,5 fois celui des 10 % les plus pauvres. Plus qu'avant la crise (9 fois) et bien plus que dans les années 90 (8 fois) et dans les années 80 (7 fois). Sans surprise, les pays scandinaves restent les pays les plus égalitaires au monde, avec un ratio de 5 au Danemark, les plus inégalitaires étant le Mexique et le Chili (près de 30). La France occupe une position intermédiaire, avec un rapport de 7,2 (6,6 en 2005). Après être restées stables pendant vingt ans, les inégalités de revenu progressent depuis le milieu des années 2000. Entre 2008 et 2010, le niveau de vie des 10 % de Français les plus pauvres a baissé en moyenne de 250 euros alors que celui des 10 % les plus riches a augmenté de 1 700 euros.
C'est toutefois en Chine que les inégalités ont le plus progressé au cours des dernières années. Le coefficient de Gini (égal en théorie à 0 quand tous les revenus sont égaux, égal à 1 en cas d'inégalité absolue, quand une seule personne capte tous les revenus) s'y est établi à 0,61 en 2010, un niveau particulièrement élevé. De quoi préoccuper les économistes et les dirigeants chinois, mais pas du tout le patron du groupe Wahaha, Zong Qinghou, l'homme le plus riche du pays, qui tient un raisonnement simple : "Si tout le monde était plus riche, la société deviendrait harmonieuse et plus confortable. Si nous instaurions l'égalitarisme, tout le monde ne mangerait pas à sa faim." Il faut aller en Chine communiste pour entendre des discours ultralibéraux aussi décomplexés.
L'idée selon laquelle les inégalités serviraient d'aiguillon à la croissance n'est toutefois pas confirmée par les recherches historiques. Lesquelles, a contrario, n'indiquent pas non plus que les inégalités pénalisent fortement la croissance. "Malgré d'abondants travaux sur les liens entre l'inégalité et la croissance, les données empiriques ne sont pas concluantes", résument les experts de l'OCDE. On observe des périodes de forte croissance avec une nette réduction des inégalités ou au contraire avec une progression sensible des inégalités (comme durant les Trente Glorieuses, qui furent aussi les Trente Inégalitaires), d'autres sans croissance avec baisse des inégalités (années 30) ou au contraire avec hausse des inégalités (comme aujourd'hui).
Les économistes ont en revanche mis en évidence au cours des dernières années un lien très intéressant : le creusement des inégalités favorise les crises financières dans la mesure où il détériore l'équilibre global épargne-investissement, avec des classes populaires et moyennes qui s'endettent massivement pour faire face à la stagnation de leurs revenus et maintenir leur niveau de vie. Marianne Bertrand et Adair Morse, de l'université de Chicago, sont allés encore plus loin. Ils ont établi qu'avant la crise, aux États-Unis, les régions où les ménages à hauts revenus dépensaient le plus étaient aussi celles où les ménages aux revenus inférieurs dépensaient le plus. Leur explication ? De façon inconsciente, les "pauvres" semblent influencés par le comportement de consommation des "riches" qu'ils côtoient et cherchent à l'imiter.
Peut-être alors faudrait-il introduire, comme pour l'inflation, la notion d'"inégalité ressentie". Qui, aujourd'hui, se nourrit chaque jour de la publication détaillée, dans les journaux, des rémunérations des patrons du CAC 40, des salaires des footballeurs ou de la liste des plus grosses fortunes du pays. De quoi donner envie de faire la révolution ou de commander une coupe de champagne à la terrasse du café du port.

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