vendredi 30 août 2013
Frapper la Syrie ? Pour quoi faire ?
Frapper la Syrie ? Pour quoi faire ?
Beyrouth, le 29 août 2013, minuit. Il y a déjà longtemps que j’ai pris l’habitude, non seulement de dater mes chroniques, mais aussi de signaler l’heure à laquelle j’en ai commencé l’écriture. Il faudrait peut-être aussi que je signale l’heure du point final, tant les événements semblent devoir se précipiter dans ces tout prochains jours. Les Etats-Unis et, avec eux, la France, la Grande Bretagne… ont décidé de « donner une leçon à Bachar el Assad ». En termes plus simples, « de frapper vite et fort en Syrie » parce que le régime syrien a atteint les lignes rouges posées par le président américain en faisant usage d’armes chimiques sur sa propre population.
Nous allons donc vers une guerre de plus. A Beyrouth, comme dans la plupart de nos villes de province, la circulation est fluide tout au long de la journée et les rues sont quasi désertes la nuit. Des barrières et des bandes de sécurité interdisent tout stationnement devant les centres commerciaux et les administrations publiques. Les Forces de sécurité intérieures rappellent que tous les automobilistes sont priés de mettre en évidence sur leur tableau de bord leur identité complète, leur lieu de résidence habituelle et leur numéro de téléphone, quand ils garent leur voiture hors de leur propre parking ou hors d’un parking gardé où leur identité sera vérifiée. Mon voisin n’a pas encore fait le plein comme il le fait à chaque crise. Je pense que cela ne tardera pas.
Après les discours très va-t-en guerre du début de la semaine, une certaine tempérance est venue ralentir la marche à la guerre – des sources qualifiées de sûres affirmaient que les premières frappes auront lieu ce jeudi 29 août. Elles semblent avoir été différées pour plusieurs raisons. Il y a, ce jeudi justement, une rencontre prévue de longue date entre Barack Obama et l’opposition syrienne… Les observateurs de l’ONU chargés d’enquêter sur l’attaque chimique de la Ghouta sont toujours à Damas, il est donc « normal » d’attendre le résultat de leur enquête et l’analyse de leurs échantillons avant de décider d’intervenir. D’autant plus qu’attaquer la Syrie alors qu’ils sont toujours sur le terrain en fait des otages probables pour ne pas dire certains… Il y a aussi les parlements qui ont, chacun à sa manière, rappelé à l’ordre les gouvernants. Alors, Obama et les autres vont prendre le pouls et le feu vert des députés avant de nous jeter dans une nouvelle guerre.
Une guerre dont la qualification a été revue aussi à la baisse : pas de troupes au sol, il ne s’agit pas d’une intervention militaire sur le terrain mais de frappes ciblées sur des cibles identifiées – 35 très exactement – normalement sans dommage collatéral (?). Le but de la guerre n’est pas de modifier l’équilibre des forces (?), n’est pas de renverser le régime (?) mais juste de donner une leçon à Bachar el-Assad, parce qu’il a usé d’armes interdites. En effet il semble que, s’il y a consensus au sein de la communauté internationale, c’est bien sur ce point : on ne touche pas au régime, on ne touche pas au parti unique. La Syrie de demain sera baassiste mais sans Assad. Alors, pourquoi faire une guerre ?
Barack Obama l’a encore dit ce soir : « Il faut que le gouvernement syrien reçoive un message assez fort sur le fait qu’il ferait mieux de ne pas recommencer. »
La guerre, nous connaissons. Et cette nuit – il est près de 2 heures du matin – les avions militaires volent très bas. Nous n’avons pas d’aviation militaire. Généralement, ce sont les Israéliens qui violent notre espace aérien pour voir au plus près ce que fait le Hezbollah. Je pense que, cette nuit, ce sont encore une fois les Israéliens.
Prenons l’unique point de vue qui m’intéresse : c’est le nôtre, celui des Chrétiens du Liban et de Syrie et de tout l’Orient chrétien, puisque notre sort est étroitement lié.
Le sort des Chrétiens ? Le pire
En cas d’intervention en Syrie, quel sera le sort des Chrétiens ?
Le pire. Et nous le disons depuis les tout premiers jours de la révolution syrienne. Le pire, parce que cela sera celui des Chrétiens d’Irak. Comme dans toutes les crises du Moyen-Orient, ils seront les boucs émissaires de toutes les rancunes, ils seront des cibles faciles parce qu’isolées, parce que minoritaires. Ce n’est pas le régime d’Assad – qui s’est fabriqué la réputation de soutien des Chrétiens – qui viendra à leur aide. Ils auront toutes les parties contre eux. L’intervention militaire ne réussira pas à renforcer ou à unifier l’opposition syrienne – et ce n’est pas le but. Le risque est énorme de la voir s’ancrer toujours plus dans ses divisions. Pour les islamistes, les Chrétiens sont toujours associés aux « croisés » occidentaux. Pour le régime, les Chrétiens ne seront plus d’aucune utilité. Les Assad et assimilés se sont fait une « beauté » en s’affichant protecteurs des Chrétiens, espérant ainsi s’attacher la communauté internationale. Et leur extraordinaire réseau de désinformation aidant, ils avaient quasiment réussi.
Mais, en cas de non-intervention en Syrie, quel sera le sort des Chrétiens ?
De mal en pis avant d’atteindre le pire des pires annoncé plus haut. Isolés, totalement isolés, ils font face à une rébellion divisée où l’on trouve de tout – y compris des Chrétiens. Au sein de cette rébellion, les islamistes sont chaque jour plus nombreux. Les Chrétiens sont assimilés au régime, ils sont donc l’une des cibles de la rébellion. Le régime, passé maître de l’école des pyromanes-pompiers avec une très longue et très meurtrière expérience au Liban, sait jouer de leurs peurs et de leur allégeance. Une allégeance fondée sur la peur. Dupes du discours des Assad, les Chrétiens n’ont pas su ou n’ont pas pu prendre à temps leur distance avec le régime. En cas de victoire des islamistes, nous devinons sans peine leur sort.
Une intervention militaire en Syrie vaut-elle mieux qu’une non-intervention, pour les Chrétiens de Syrie ? Impossible de trancher. Le sort de nos frères de Syrie est aujourd’hui scellé. Ils sont condamnés. A une mort lente.
Le « non » des Eglises
Toutes les Eglises de Syrie ont dit leur opposition à l’intervention militaire. Un malheur que l’on connaît vaut mieux qu’un malheur inconnu !
On sait comment on commence une guerre, mais on peut difficilement deviner comment on la termine.
Faire une guerre pour bien marquer que l’on ne peut violer impunément les lignes rouges décidées par un président américain est un bien maigre motif pour la faire, d’autant qu’elle n’a pas d’autre but avoué.
Le concert des nations semble totalement acquis au fait de garder la structure de l’Etat baassiste. La leçon de la guerre d’Irak a porté. La débaassisation des institutions et de l’Etat avait conduit au chaos et il avait fallu rappeler au service les officiers bannis parce qu’encartés au parti Baas au pouvoir.
En résumé, si nous devons croire les informations distillées dans la presse par les services américains : les frappes auront lieu la semaine prochaine, elles viseraient 35 sites et dureront trois jours. Avis est donné au régime de dégager les lieux, pour qu’il y ait le moins de victimes possible !
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