TOUT EST DIT

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mercredi 19 décembre 2012

En passant par la Lorraine avec leurs sabots

En passant par la Lorraine avec leurs sabots 

 
Le phénomène se reproduit avec la régularité d'un métronome. Personne ne sait pour autant l'expliquer. Des radiations terrestres ? le rougeoiement des hauts-fourneaux, qui affolerait les neurones, qui étourdit le comprenoir ? Dès qu'un homme politique français fait le déplacement en Lorraine, le voici qui déraisonne. Le pied posé sur la terre de la sidérurgie, nos gouvernants déclament, s'époumonent. Ils jurent qu'il fera désormais jour en pleine nuit. Que les blés mûriront au mois de décembre. Que la politique est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire. Le dernier accès en date de cet étourdissement frappe l'actuel gouvernement tout aussi sévèrement qu'elle avait atteint Sarkozy. Gandrange, Florange, même combat. Le cap de la politique économique, que le chef de l'État avait mis six mois à rendre explicite, sinon à définir, se brouille à nouveau. Socialiste lorsqu'il préparait le budget, social-démocrate le temps de présenter le pacte de compétitivité, le gouvernement ressort aujourd'hui la ferblanterie de la politique industrielle à la française. Tantôt effets de manche, tantôt capitulation devant une réalité qui ne se laisse pas oublier. De quoi décevoir à la fois la gauche et le centre. De quoi tourner en ridicule la fameuse "révolution copernicienne" exaltée par Pierre Moscovici, le ministre des Finances, celle d'une gauche qui serait devenue sérieuse. Après les palinodies de Florange, Copernic lui-même aurait la tête qui tourne. L'épisode, s'il est coûteux pour le président et son gouvernement, a révélé une consternante unanimité pour remonter de la cave les vieilleries de l'"État stratège" et de la nationalisation. Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, voulait exproprier les maîtres de forge actuels, le groupe Arcelor-Mittal, et mettre les hauts-fourneaux de Florange sous contrôle public. C'est également ce que préconisaient les syndicats. C'est encore ce que souhaitaient bon nombre de socialistes, ainsi que Jean-Luc Mélenchon, Jean-Louis Borloo et jusqu'à François Bayrou lui-même. Une union sacrée de la classe politique et syndicale française comme on n'en rencontre que rarement. Seule l'UMP n'a pas pris position sur le sujet de façon audible. François Fillon et Jean-François Copé n'ont sans doute pas eu le temps de se tenir au courant de l'actualité. On le leur pardonne. Ils sont occupés par des sujets bien plus importants que le chômage et l'avenir industriel du pays. Quant aux Français, si l'on en croit les sondages, ils sont près de 60 % à recommander que l'État pilote la production d'acier du site lorrain en difficulté. Mousquet en main, les nouveaux sans-culottes invoquent un précédent : les États-Unis eux-mêmes n'ont-ils pas nationalisé General Motors, reniant Milton Friedman et ses outrances du tout-marché ? Comparaison hors de propos, parce qu'elle omet un détail - si les États-Unis ont nationalisé leur constructeur automobile, ce n'était pas pour protéger l'emploi, mais pour sauver l'entreprise. Et la nationalisation a réussi grâce à de sévères plans sociaux et réductions de capacité, que l'État américain a conduits et non interdits. Rien de comparable avec le projet de Montebourg, qui ambitionnait au contraire d'empêcher les licenciements dans une unité de production qui n'a plus de clients. Aux États-Unis, la nationalisation était un outil pour réaliser les adaptations plus rapidement. En France, c'est un moyen pour les éviter. Alstom est l'autre fait d'armes des "nationalistes". Au début des années 2000, l'État français avait pris une forte participation au capital de l'industriel, lui épargnant une crise de liquidités qui l'aurait conduit à la faillite. Mais ici comme chez General Motors, le répit financier offert par le contribuable a permis de lourdes restructurations, malheureusement coûteuses en termes d'emplois, mais salutaires pour l'entreprise. Et, si l'État actionnaire a finalement réalisé une plus-value importante en cédant ses titres, c'est parce qu'il a eu la chance de vendre juste avant la crise, au plus haut du marché sur un siècle... Celui qui se fonderait sur un alignement de planètes aussi rare pour préconiser que Bercy se transforme en banquier d'affaires serait aussi imprudent qu'un joueur, enivré par le gain d'un soir, qui déciderait de gagner sa vie au casino. Certes, l'État n'est pas, en lui-même, un mauvais gestionnaire. Mais les décisions qu'il prend sont biaisées par la défense de l'emploi existant, au détriment des salariés eux-mêmes, qu'on n'aide pas à se reconvertir. Dans le monde de la politique industrielle à la française, l'usine d'Aulnay continue à produire malgré les surcapacités, Pétroplus continue à raffiner même sans clients et les fabricants de bougies d'éclairage continuent à usiner même si l'électricité est inventée. Arnaud Montebourg affirme avoir sauvé plusieurs milliers d'emplois depuis sa nomination. Passons sur la définition mystérieuse d'un emploi "sauvé". Passons même sur l'idée saugrenue que l'entreprise, si elle n'était pas surveillée par notre bouillonnant ministre, ne penserait qu'à licencier. De deux choses l'une : ou bien ces emplois sont utiles, et le ministre du Redressement ne l'est pas, car on n'a pas besoin de lui pour les préserver. Ou ils ne le sont pas, et l'intervention du ministre n'est ni opportune ni durable. Depuis toujours, l'industrie travaille à produire davantage avec moins de salariés, grâce au progrès technique. Un État efficace ne saurait ralentir ce mouvement vital, qui crée la croissance. Le mieux qu'il puisse faire, c'est de se concentrer sur deux tâches pour lesquelles il est irremplaçable. Aider des victimes de ces mouvements incessants, d'abord, en les indemnisant et en les formant pour les préparer au monde qui vient. Et créer un cadre favorable à l'innovation et à l'entreprise, pour faire émerger l'industrie de demain.

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