TOUT EST DIT

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dimanche 19 août 2012

La normalité de François Hollande, une posture piégée

Normal ! Qui ne l'a pas encore compris ? François Hollande est un président "normal". A Londres, quand il vient encourager les athlètes français, il est un spectateur "normal". Tout comme à la gare de Lyon où, avant de monter dans le train pour Hyères, il échange quelques mots avec les badauds et affirme que ses vacances seront... "normales". 
Il faut bien le reconnaître, l'invention du concept qui fait aujourd'hui couler tant d'encre s'est faite dans une indifférence absolue. Aucune grand-messe ni location de salle avec gourou de la com et état-major, pas de candidat ému et pénétré venu vendre aux médias LA grande idée de la campagne.

Bidochon sur la plage, la dernière blague du jour....
Non, le "président normal" est né à Alger, le 9 décembre 2010, lors d'un voyage effectué par François Hollande en présence de quelques journalistes. Parmi eux, Antonin André et Karim Rissouli, qui ont raconté la scène dans un livre consacré à la campagne, L'homme qui ne devait pas être président (Albin Michel). En fin de séjour, après la traditionnelle visite de la basilique Notre-Dame d'Afrique, le candidat, que le contact avec la presse a toujours amusé, accepte une nouvelle fois de répondre aux journalistes. "Monsieur Hollande, n'êtes-vous pas trop gentil pour un combat comme la présidentielle ? Pas assez mordant pour un homme politique ?" Combien de fois lui a-t-on posé cette question ? La presse, l'opinion veulent le bras de fer Strauss-Kahn-Sarkozy, le choc des "bêtes politiques" : alors que vient faire "Fraise des bois" au milieu des prédateurs ? Cette fois-ci, pourtant, François Hollande ne s'en tient pas à ses habituelles dénégations ou pirouettes. « Moi, je ne suis pas pour prendre au collet mes adversaires, pour les clouer à un croc de boucher... Est-ce que je suis normal ? Oui. Et je vais vous dire : je pense que le temps d'un président normal est venu."
C'est la première fois que François Hollande évoque l'idée et l'endosse. Son entourage est d'abord surpris. Son ami Kader Arif, présent à ses côtés à Alger, comprend pourtant très vite l'intérêt de la formule. "T'en penses quoi ? C'est bien, non ?", interroge le futur président. "Président normal ? Oui, c'est pas mal du tout", lui répond le député européen. "On n'y était strictement pour rien, mais on s'est tout de suite sentis à l'aise avec le concept", confirme un hollandais du premier cercle.
"C'est un homme qui discute énormément, et qui s'imprègne. Le président normal, c'est le résultat d'une année à sillonner la France, à échanger avec tous ceux qui ont croisé sa route. Les communicants, dans cette campagne, ne sont intervenus qu'à la marge", explique Valérie Lecasble, amie de longue date de François Hollande et vice-présidente de l'agence TBWA. Nicolas Bordas, le PDG de l'agence, donnera bien des conseils au candidat, et sera en partie à l'origine du slogan officiel de la campagne, "Le changement, c'est maintenant", mais sans jamais se mettre en avant.
Non seulement les grands prêtres de la com n'ont pas pris le pouvoir dans la campagne de François Hollande, mais c'est sans doute la première fois depuis des années qu'ils font l'objet d'une telle méfiance. Le communicant le plus en vue au PS, Stéphane Fouks, a en effet laissé à François Hollande des souvenirs cuisants. Il est considéré par l'entourage du nouveau président comme l'un des responsables du naufrage de la campagne de Lionel Jospin. Trop arrogant, trop cynique, trop perso, et pas suffisamment bon, ont tranché le candidat et son entourage. Les mêmes rappellent volontiers que Stéphane Fouks se vantait de faire de son ami "Dominique" le futur président, et mettait en scène son influence jusqu'à apparaître dans un documentaire diffusé sur Canal+ le 9 mars 2011. Des paroles et un comportement inconcevables en Hollandie. "On ne "fait" pas François Hollande, il est trop indépendant, il est aux antipodes de ça, il n'est jamais dans la main de qui que ce soit", analyse un proche. Mitterrandien dans son obsessionnelle volonté d'indépendance, François Hollande s'écarte de son mentor, en ce sens que nul Séguéla ne l'a révélé à lui-même.
L'arrivée de Manuel Valls au coeur de la campagne de François Hollande, juste après la primaire, sera l'occasion d'une nouvelle discussion dans l'entourage du candidat. Le futur ministre de l'intérieur est un très proche de Stéphane Fouks, qui l'a conseillé. Le 22 octobre 2011, cinq jours après la victoire contre Martine Aubry, la garde rapprochée du futur chef de l'Etat se réunit en séminaire. Tour à tour, Bernard Poignant, Michel Sapin et Jean-Marc Ayrault mettent en garde contre un retour de Fouks. Certes, les vieux compagnons de Hollande ne sont pas des bleus. Il faudra, ils le savent, des pros pour les images, les photos, les affiches, mais pas question d'un maître à penser omni-scient et omniprésent. Ils seront entendus.
Désormais, le concept longuement mûri de "présidence normale" est appliqué avec une rigueur qui peut faire sourire. Le nouveau président s'arrête au feu rouge, multiplie les déplacements en train, n'omet jamais de le faire savoir. A l'Elysée, Claudine Ripert-Landler et Christian Gravel, tous deux fort discrets, sont désormais aux manettes pour la mise en scène de la normalité présidentielle. Le nouveau chef de l'Etat déploie une bonhomie et une simplicité toutes pompidoliennes, et évite la moindre accusation de dérive monarchique en faisant réaliser l'interview du 14-Juillet, non à l'Elysée, mais à l'hôtel de la Marine, place de la Concorde. Ce qui s'applique au président concerne évidemment les ministres. Certains se déplacent donc à vélo, tous vont en vacances en France, font une "pause" au lieu de partir en congés, prennent des mines systématiquement affairées, et surjouent la simplicité et le sens de l'intérêt général. Cécile Duflot arrive en jean au conseil des ministres. Lorsqu'elle reçoit des journalistes pour une interview en juin, Nicole Bricq, alors chargée du portefeuille de l'écologie, raconte avoir fait remplacer dans son ministère les bouteilles d'eau minérale par des carafes. La chargée de communication de Christiane Taubira explose de colère lorsqu'elle découvre qu'un portrait de sa ministre doit paraître dans Le Monde le jour du discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault. Pas question d'être accusée de vouloir se pousser du col un jour pareil, il faut jouer collectif, modeste, tête baissée et dossiers sous le bras. Le verrouillage des ego est strict, le contrôle de la parole de chacun est une réalité, même si Dominique Bouissou, qui dirige la communication de Matignon, s'insurge contre cette accusation "tout à fait excessive", parlant de "nécessaire coordination".
Mais une présidence normale peut-elle s'imposer dans la durée ? C'est toute la question. Philippe Moreau Chevrolet, communicant de l'agence Care, blogueur pour l'hebdomadaire L'Express, ne cache pas ses doutes. "On glisse insensiblement de la normalité au "normalisme", souligne-t-il. Le "normalisme" défend une vision utopique de la vie politique française, où des élus désintéressés et modestes partagent le quotidien de leurs citoyens, en fuyant les sirènes des médias pour se concentrer sur leur devoir. Un modèle à la scandinave, où un ministre enfourche son vélo après le travail, en espérant pouvoir rentrer chez lui à temps pour coucher ses enfants. L'avenir du "normalisme" ? Difficile de le dire."
Un scepticisme partagé par le communicant Jean-Luc Mano, ancien directeur de l'information de France 2. "C'est une idée formidable pour gagner une campagne, mais permet-elle de gouverner ? A l'heure actuelle, les Français souhaitent toujours que le roi soit à Paris, et non à Versailles, ce qu'ils n'ont cessé de reprocher à Nicolas Sarkozy. L'ancien président était ressenti comme par trop éloigné du peuple, et François Hollande l'a bien compris, rappelle le fondateur de l'agence Only, qui conseilla entre autres Michèle Alliot-Marie, Xavier Darcos, Christine Albanel. Mais, la faiblesse de ce concept de présidence normale, c'est qu'il est terriblement exigeant. Il vise à faire des dirigeants de ce pays des copies des élus scandinaves, comme Olof Palme, l'ancien premier ministre suédois [assassiné en pleine rue en 1986 alors qu'il circulait à pied, le soir, sans escorte de protection], dont l'adresse et le numéro de téléphone personnels étaient dans le Bottin. La présidence normale, c'est une machine à prendre des coups. Le moindre écart sera noté, on va se gausser d'une note de restaurant qui sera jugée excessive, d'un comportement perçu comme trop arrogant. La présidence normale impose à tous les dirigeants qui entourent le chef de l'Etat une discipline de fer, qui aura du mal à tenir dans la durée."
Et le temps n'est-il pas le principal ennemi du "président modeste" ? Difficile, les années passant, de n'avoir pas envie d'une vie plus agréable, de plus de facilités. Prendre l'avion plutôt que le train, offrir plus de temps aux amis et à la famille, user de son pouvoir pour donner un coup de pouce aux copains... Le risque de dérapage est d'autant plus fort que la présidence normale, théorisée par François Hollande, date en fait du passage à Matignon de Lionel Jospin. L'idée d'une vie politique qui se rapprocherait du modèle scandinave a tout juste quinze ans en France. Pas encore de quoi fonder une nouvelle culture politique. D'ailleurs, les premiers craquements se font déjà entendre.
Certes, Claude Bartolone, nouveau président de l'Assemblée nationale, a baissé son indemnité de 30 %. Mais, le 11 juillet, les parlementaires, tous bords confondus, ont repoussé l'amendement déposé par leur collègue du Nouveau Centre Charles de Courson, visant à rendre vérifiable par l'administration fiscale une partie de leur salaire nommée IRFM (indemnité représentative des frais de mandat), d'un montant brut de 6 412 euros mensuels. Ce qui signifie que les députés ont tranquillement violé le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, puisque cette somme ne sera soumise à aucun contrôle. Dans un tout autre registre, l'hebdomadaire Le Point a noté que la ministre de l'égalité des territoires, Cécile Duflot, n'avait, semble-t-il, pas oublié ses amis écologistes lors de la traditionnelle remise de décorations du 14-Juillet.
Dernier exemple, le 29 juin, la femme de Manuel Valls, la violoniste Anne Gravoin, se livrait à quelques confidences dans les colonnes du Parisien. Evoquant sa vie de couple avec le ministre de l'intérieur, elle confiait : "On est extrêmement amoureux, on s'adore, on se manque", avant d'égratigner la femme du premier ministre, la très discrète Brigitte Ayrault : « C'est sûr qu'une musicienne, c'est un peu plus glamour que Mme Ayrault, prof d'allemand dans la banlieue de Nantes." Anecdotique ? Pas forcément. Cette déclaration maladroite, provocatrice et un tantinet narcissique est aux antipodes des consignes données par le premier ministre : "On parle quand on a quelque chose à dire, on n'a pas à organiser un spectacle vide de sens." Un vrai coup de griffe à la normalité souhaitée par le président de la République.
Le 19 mai 1974, un autre président de la République imposait déjà son style décontracté. A peine élu, Valéry Giscard d'Estaing commandait à Jacques-Henri Lartigue une photo le montrant souriant et légèrement décentré en costume cravate, rompant ainsi avec ses prédécesseurs en habit. Il expliquait vouloir "regarder la France au fond des yeux", souhaiter tendre la main à l'opposition, ce qu'il prouvait en allant discuter avec Pierre Mauroy, en décembre 1976, à la mairie de Lille, et, dans une démocratie apaisée, rassembler "deux Français sur trois". Dans son souci de se rapprocher du peuple, il répondait régulièrement aux invitations des Français qui le conviaient à dîner. Interrogée le 22 janvier 1975, la famille qui l'avait invité se réjouissait de ce contact. "On a abordé tous les problèmes, c'était un ami, on pouvait parler de n'importe quoi, il s'intéressait à tout." Le 31 décembre 1975, VGE présentait ses voeux aux Français, assis au coin du feu en compagnie de son épouse. La mise en scène se voulait décalée, novatrice, intimiste. Pourtant, Giscard y était déjà raidi, comme fossilisé, mécanique dans sa décontraction complaisamment mise en scène. On sentait déjà une impalpable distance annonçant le monarque solitaire que la presse n'allait guère tarder à brocarder. Entre ce moment de basculement et son arrivée à l'Elysée, il s'était écoulé à peine dix-huit mois.

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