TOUT EST DIT

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samedi 7 juillet 2012

La France est-elle encore souveraine en matière d’immigration ?

La Cour de cassation a rendu jeudi un arrêt qui interdit désormais de placer en garde à vue des personnes au seul motif qu’elles sont en situation irrégulière. Mais cet avis découle en réalité du droit européen, et rappelle qu'une harmonisation est indispensable sur cette question...

La Cour de cassation a rendu jeudi un arrêt qui interdit désormais de placer en garde à vue des personnes au seul motif qu’ils sont en situation irrégulière. L'avis découle en réalité du droit européen. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu en décembre 2011 un arrêt affirmant qu'être en situation irrégulière ne constituait pas un délit justifiant une incarcération. En s’alignant sur les associations de défense des étrangers, la CJUE défait-elle toute souveraineté nationale en matière d’immigration ?

Henry Labayle : Les choses sont plus compliquées que cela et je ne suis pas certain que la Cour de cassation ait bien révisé ses manuels de droit européen à l’instant d’appliquer la jurisprudence du Luxembourg. Essayons de faire simple dans un débat compliqué.
La Cour de justice a indiqué le cadre dans lequel le « retour » forcé des étrangers en situation irrégulière doit s’effectuer, ceci à propos de l’application de la fameuse directive « retour »... La Cour avait répondu, début 2011, à un juge italien qu’emprisonner un étranger en situation irrégulière pour ce seul fait était contraire à l’objectif recherché par cette directive, celui du retour effectif de l’étranger dans son pays. Ce retour était au mieux retardé, au pire empêché par l’emprisonnement… Constat logique. Inquiet des conséquences de cet arrêt en France, le juge français avait saisi la Cour du problème, deux mois plus tard, et, le 6 décembre 2011, la Cour de justice, statuant en formation solennelle, avait à la fois confirmé et précisé sa vision des choses :
  • le droit de l’Union n’interdit pas à un État membre de qualifier pénalement les infractions aux règles nationales de séjour et de les sanctionner pour les dissuader et réprimer (point 28). Ceci est également possible pour les étrangers qui se maintiennent irrégulièrement malgré l’application de la procédure de retour (point 48)
  • il n’interdit pas davantage un placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant étranger (point 29)
  • il serait même contraire à l’objectif de la directive « retour » de déclarer impossible pour les États membres d’éviter, « par une privation de liberté telle qu’une garde à vue », qu’une personne soupçonnée de séjour irrégulier s’enfuie avant même que sa situation n’ait pu être clarifiée. Les autorités nationales doivent donc bénéficier d’un délai « bref » mais « raisonnable » pour identifier la situation de l’étranger en cause (points 30 et 31)

Que les salmigondis et les particularités procédurales du droit français de la garde à vue conduisent ensuite par deux fois la Cour de cassation, le 5 juin et le 5 juillet, à déclarer l’impossibilité de placer en garde à vue l’étranger en situation irrégulière ne change rien à l’affaire. La Cour de justice n’interdit pas la « garde à vue » dans ce cas là. Elle l’écrit dans les considérants 29, 30, 31 et 32 de sa jurisprudence, qui s’imposent à la Cour de cassation....
Dans ce contexte, accuser la Cour de justice de faire le lit de l’immigration irrégulière est donc pour le moins déplacé, sinon orienté.


Dans le programme du PS,  la politique migratoire est pourtant définie comme un « acte de souveraineté nationale »…

Sûrement est-ce là l’expression des convictions européennes du ministre français des Affaires étrangères et de son ministre en charge des affaires européennes… Soyons sérieux. Si cette politique était vraiment un « acte de souveraineté nationale », pour quelle raison mystérieuse avons nous été obligés de réviser notre Constitution déjà une demi-douzaine de fois à ce propos ? Et pas vraiment par hasard puisqu’il s’agissait des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne, une paille !!! La réponse est simple : nous avons voulu construire une « politique commune de l’asile et l’immigration » décidée aujourd’hui pour l’essentiel à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité.
La réalité est donc différente du catalogue de la Redoute d’un parti politique en campagne. Non seulement la politique migratoire n’est plus une prérogative de souveraineté nationale depuis longtemps, mais c’est même une excellente chose que de tenter de la gérer ensemble dans l’Union européenne. Regarder une carte géographique suffit pour comprendre à quel point il serait vain d’imaginer de reconstruire une ligne Maginot quelconque. L’Europe n’est pas les Etats Unis ou le Canada. Malgré toutes ses imperfections, la voie européenne est la seule concevable parce qu’elle est la seule raisonnable.
En fait il ne demeure dans ce domaine aujourd’hui que quelques ilots de souveraineté nationale : la défense de l’ordre et de la sécurité publique et l’accès au marché du travail. Ailleurs, harmonisation (l’asile, l’immigration légale et irrégulière), réglementation (les visas) et coordination opérationnelle (les frontières) s’efforcent tant bien que mal de constituer un ensemble cohérent.
    

Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a déclaré vouloir réagir et a annoncé qu'il allait rédiger une loi « pour redonner un fondement légal à l’action du gouvernement ». Peut-il réellement s'opposer à la jurisprudence européenne ?

Bien sûr !!! Faire voter une loi passant outre l’opinion de la Cour de Cassation ou créer un mécanisme administratif de rétention déconnecté de la matière pénale, dans les conditions fixées par la Cour : vite, raisonnable, efficace, respectueux des droits de l’étranger. Tout ce que n’est pas, souvent, la garde à vue.
Il y a même plus simple, interroger à nouveau la Cour de justice...

Dans l’interview qu’il a accordée la semaine dernière au quotidien Le Monde, le ministre a assuré que les régularisations ne dépasseront pas les 30 000 effectuées par le précédent gouvernement l’an dernier. Est-ce un objectif crédible ?

Parfaitement, à ceci près que cela maintiendra la situation en l’état, ce qui est peut-être paradoxal pour une majorité prônant le changement …


Le traité de Schengen, qui a créé un espace de libre circulation européen, a été la cible de Nicolas Sarkozy pendant la présidentielle. Faut-il le remettre en cause pour que les États retrouvent leur souveraineté ?

Là encore, il faudrait être sérieux. Schengen et son « acquis » ont été intégrés dans le droit de l’Union européenne en 1999. Comment prétendre le remettre en cause à supposer qu’on le doive ? En sortant de l’Union européenne ?

Que le fonctionnement de cet espace commun pose problème est une évidence, mais les questions migratoires sont trop graves pour permettre des approximations de ce genre.
Elles sont faites de chair et de sang, d’êtres humains qui se noient en Méditerranée et de réfugiés syriens ou tchétchènes en fuite. Admettre la complexité et la sensibilité des ces questions est une condition essentielle pour éviter leur utilisation par tous les extrêmes et nous contraindre à regarder les choses en face.


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