TOUT EST DIT

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mercredi 6 juin 2012

Pourquoi nous avons du mal à réformer

Le coût politique de la réforme pour les gens au pouvoir est grand. Plutôt que de prendre le risque de mettre en place un processus de clarification et de « tri entre le bon État et le mauvais État », il leur paraît plus simple de tenter, à nouveau, de faire payer les autres.

La France, à l’instar de bien d’autres pays, est malade non pas de la crise, qui est un symptôme, mais  de sa démocratie dysfonctionnelle : une classe politico-bureaucratique a multiplié les niches d’inefficiences, profitant notamment, ici des opportunités d’une décentralisation sans responsabilisation, là d’un accès facile à l’endettement grâce à l’Euro. Ce qu’il faut bien se résoudre à appeler du parasitisme a pu cependant se développer sous couvert de « démocratie » puisque l’extension progressive de ce Leviathan s’est accompagné de nouvelles formules de redistribution répondant à des « demandes sociales ». Ainsi se réalise peu à peu la prédiction de l’économiste Frédéric Bastiat au milieu du 19° siècle, pour qui l’État était « cette grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » [1].
Il est essentiel de revenir à un niveau soutenable de dépense publique. Pourtant, certains intellectuels et dirigeants politiques semblent croire que le salut viendra… de la dépense publique. Mais avec 56% du PIB de dépenses publiques (soit 10 points de dépense publique en plus dans le PIB en comparaison avec 1980, juste avant le très dépensier projet commun de la gauche), une dette en augmentation continuelle, un déficit budgétaire structurel depuis près de quatre décennies, la France pratique en réalité la « relance » keynésienne depuis belle lurette. Avec le résultat que l’on voit. Visiblement, il n’y aurait jamais assez de relance. Faudrait-il atteindre 95% du PIB en dépenses publiques pour qu’elle fonctionne ?
Cette défense de la relance participe plutôt d’une stratégie d’immunisation contre toute possibilité de réforme structurelle visant à « dégraisser » le secteur public pour le remettre au service des citoyens. Il en va d’ailleurs sans doute de même pour la propagation du mythe de l’austérité (la vraie austérité consisterait à baisser drastiquement les dépenses publiques, ce qui n’est absolument pas le cas en France aujourd’hui) ou même du soi-disant ultralibéralisme qui toucherait le pays. Quant à l’argument de la « croissance », qui pourrait être contre ? Comme a pu le rappeler le Président de la Bundesbank  Jens Weidmann « être favorable à la croissance, c’est comme être partisan de la paix dans le monde » [2]… On comprend en fait que « croissance » est, dans la bouche de certains, un autre moyen de dire « dépense ».
Cette rhétorique permet en réalité de détourner l’attention du vrai problème qui est celui de la difficulté à opérer des réformes structurelles – difficultés qui mêlent obstacles en termes d’insuffisance de connaissance pour réformer et en termes d’intérêts coalisés contre la réforme.
La complexité de l’administration en a fait une espèce de plat de spaghettis, de grosse pelote de laine emmêlée et « tirer un fil » entraine généralement des conséquences inattendues. Les interconnections et complémentarités entre services et administrations ont permis de s’assurer que toute réforme se transformerait en casse-tête.
Un autre problème fondamental de la bureaucratie est qu’elle s’auto-évalue. Chaque « bureau » a ainsi une incitation à clamer son importance fondamentale pour l’intérêt public et refuse d’être « réformé ». Évidemment le travail d’une institution telle que la Cour des Comptes permet de départager et de rationaliser. Cependant une bureaucratie est aussi un instrument pour l’achat d’une clientèle électorale politique. Or, que se passe-t-il quand la bureaucratie est en symbiose avec le politique, comme dans les conseils régionaux ou départementaux, et qu’affaiblir une bureaucratie signifie affaiblir un camp politique ? On comprend qu’il est difficile pour les hommes politiques d’un gouvernement de réduire les troupes de leurs soutiens politiques.
Ensuite, à l’intérieur de chaque département de la bureaucratie, lors d’un dégraissage, les départs se font rarement selon une logique de rationalité consistant à garder les plus compétents et les plus travailleurs, mais bien plus sur une logique politique, de pouvoir : ceux qui restent sont les mieux organisés et les plus influents. Le risque est ainsi de finir avec une bureaucratie moins envahissante mais inopérante.
Par ailleurs, réformer en profondeur implique encore de remettre en questions de nombreux intérêts coalisés qui vivent de subventions ou contrats publics. Ces intérêts coalisés sont extrêmement efficaces pour « défendre leur beefsteak » : entreprises vivant de la manne publique mais aussi intermittents du spectacle ou étudiants pouvant envahir la rue.
Justement, réformer en profondeur suppose un minimum de débat démocratique sur l’établissement des priorités en matière de dépenses publiques. Or, cela demande une aptitude au véritable dialogue social au sein de la nation toute entière. Les pays nordiques ont pu se réformer grâce à cette aptitude. La France, société de défiance par excellence, a en revanche toute la peine du monde à mettre ses citoyens autour de la table. Cette défiance vient précisément de son modèle social corporatiste et centralisateur – qu’il s’agirait de réformer également.
Enfin, un argument majeur qui sera évoqué contre la réforme : le coût de la transition. Lorsque des ressources humaines et financières doivent être réaffectées de manière si importante en même temps, la donne est fortement chamboulée. Les personnels publics ou des entreprises ayant perdu leurs marchés publics doivent être absorbés par le secteur privé. Or, en période de récession cette capacité d’absorption est minimale, sauf à accepter un accroissement de flexibilité sur le marché du travail – généralement impopulaire.
On le voit : le coût politique de la réforme pour les gens au pouvoir est grand. Plutôt que de prendre le risque de mettre en place un processus de clarification et de « tri entre le bon État et le mauvais État », il leur paraît plus simple de tenter, à nouveau, de faire payer les autres : « l’endettement national est au maximum, les impôts nationaux sont presqu’au maximum, déplaçons donc au niveau de l’Europe nos problèmes d’endettement avec, par exemple, les Eurobonds… »
En dépit de tous les obstacles à la réforme, il y a pourtant bien un jour où l’obèse doit se résoudre à la diète. La procrastination n’est pas une solution. Mais se reprendre en main nécessite, au niveau d’un pays, une discussion, un véritable « dialogue social ». Voilà un test pour notre démocratie.
Notes :
  1. « L’État », Journal des débats, Septembre 1848 disponible ici.
  2. Le Monde, 25 mai 2012.

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