*Système monétaire européen
mardi 12 juin 2012
Le paradoxe du régime
Jamais, je crois, dans toute l’histoire de France, nous n’avions eu
un Président de la République en apparence aussi puissant. Autrefois, on
apprenait aux étudiants en science politique que le système français
était « semi présidentiel », le chef de l’Etat partageant le pouvoir
avec un Premier ministre appuyé sur un Parlement détenteur lui aussi de
la légitimité démocratique. Aujourd’hui, le régime est entièrement
présidentiel. Avec le système du quinquennat, c’est l’élection du
Président qui compte seule, nous l’avons bien vu, l’élection de
l’Assemblée nationale, n’étant plus qu’un sous produit de celle du chef
de l’Etat. Jadis, le Premier ministre tirait sa force du fait qu’il
était responsable devant l’Assemblée, contrairement au Président. Cette
logique a volé en éclat. De fait, l’Assemblée ne représente plus
grand-chose et donc le Premier ministre non plus. Le chef de
l’Etat semble seul aux commandes avec tous les pouvoirs entre ses
mains.
Or, la toute puissance présidentielle relève en grande partie de
l’illusion. Lui non plus ne peut pas faire grand-chose car l’essentiel
des compétences ont été transférées à Bruxelles. Il faut lire Verbatim
de Jacques Attali, un précieux témoignage sur la vie politique
française de 1981 à 1991. Les grands débats de politique monétaire, sur
la question de la dévaluation du franc – sortir ou rester dans le SME* –
étaient toujours, in fine arbitrés par le chef de l’Etat. Avec l’euro,
la politique monétaire échappe désormais entièrement au niveau national
donc au Président. Il n’est plus question non plus d’appliquer une
politique interventionniste pour aider l’industrie, Bruxelles
l’interdirait. Compte tenu des règles européennes et du poids des
dépenses publiques, les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement
sont désormais infimes. De Gaulle, parlant des présidents de la IIIe et de la IVe
République, affirmait « Ils n’ont qu’un seul pouvoir, celui de commuer
la peine de mort ». Aujourd’hui, le président n’a même pas cette
responsabilité puisque la peine de mort a été (heureusement) abolie !
Les autorités nationales gardent, en gros, la possibilité d’augmenter
et de baisser les impôts, mais cela ne suffit pas pour piloter une
nation dans la tempête…
D’où la fuite en avant dans la communication. A cet égard, François
Hollande ne fait pas autre chose que Nicolas Sarkozy, même si son style
est à l’opposé (“le président des bisous”). Dès lors, un gouffre s’ouvre
sur l’avenir, un abîme entre l’attente des Français et ce qui sortira
de la politique du chef de l’Etat. Le danger est de nourrir le dégoût du
politique, l’abstention ou la fuite vers les extrêmes irresponsables.
C’est pourquoi, il me paraît indispensable de dire la vérité aux
Français sur les limites à attendre de l’action gouvernementale et de
donner la priorité à la reconquête de marges d’action politique
nationales. Je ne sais pas, franchement, si la nouvelle opposition,
aveuglée par l’idéologie bruxelliste, est en état de comprendre ce
phénomène. Si personne n’en prend conscience, on restera dans une
logique infernale d’alternances toutes aussi impuissantes, stériles et
décalées du réel les unes que les autres, engendrant un malaise toujours
plus grand de déception en déception et une coupure qui ne cessera de
grandir entre la nation et ses élites, nourrissant le rejet du politique
et l’extrémisme sans issue.
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