TOUT EST DIT

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lundi 9 avril 2012

Toujours plus vite


Comment se fait-il qu'au moment où nous disposons de plus de temps que jamais, nous ayons le sentiment d'en manquer ? D'être toujours sous pression, au prix d'un mal-être général ? Pourtant, la part du temps de travail s'est réduite dans des proportions considérables (180 000 heures en 1850 ; 121 000 en 1900, 50 000 en 2000). La durée moyenne de l'existence s'est allongée significativement (27 ans en 1750, aux alentours de 80 aujourd'hui). Le temps de sommeil a diminué de deux heures depuis le XIXe siècle. La vie domestique est facilitée par des bataillons de robots qui nous assistent... Bref, à l'échelon d'une vie, le temps « libre » a été multiplié par deux ou trois. Nous devrions ne plus savoir qu'en faire. Et c'est l'inverse qui s'observe, y compris chez les retraités !
C'est que, simultanément, notre rythme de vie s'est considérablement accéléré. L'heure fait toujours soixante minutes, mais son contenu a changé. Productivité oblige. Et pas seulement dans le travail. On fait désormais beaucoup plus dans le même temps, comme dans un film en accéléré. L'illustration la plus spectaculaire, ce sont bien sûr les transports : à la fin du XVIIIe siècle, il fallait de huit à douze jours pour traverser la France de Brest à Strasbourg ; il faut désormais sept heures en TGV et une heure et demie en avion. L'informatique a multiplié la vitesse de traitement de l'information par 10 000, 100 000... On ne sait plus très bien. L'unité de mesure de la puissance des super-ordinateurs est désormais le téraflop (un million de milliards d'opérations à la seconde) et l'on va vers le pétaflop (un milliard de milliards d'opérations). La plus petite unité de temps est la yocto-seconde : un milliardième de milliardième de seconde ! L'esprit chavire, mais nos comportements s'alignent sur ce tempo déchaîné. Observons-nous face à l'ordinateur : le moindre intervalle entre le « clic » et son effet, c'est-à-dire entre le désir et sa réalisation, devient insupportable.
Célérité génératrice d'impatience
C'est là que réside la clé du problème : dans cette célérité génératrice d'impatience. Attendre, qui se dit joliment esperar en espagnol et en portugais, ne se conçoit plus. Un futur donné à « espérer » devient supplice. Le temps disponible, vacant, vide, remplit d'effroi. Nous n'avons de cesse de meubler cet espace désert de mille activités qui perdraient de leur valeur à être gratuites : lire, écouter de la musique, marcher, échanger avec des amis, militer dans des associations...
Non, il faut « faire » et payer pour cela. Le crédit n'a pas été inventé pour les chiens. « Vous voulez vous faire plaisir ? Surtout, ne perdez pas une minute. C'est possible tout de suite ! » Un nouveau modèle de tablette ou de smartphone se vend par dizaines de milliers d'exemplaires le jour même de sa sortie. Comme si la vie dépendait de cet outil et de ses dizaines de milliers d'applications. Son succès illustre à quel point la société de consommation nous possède en fabriquant nos désirs, au prétexte de gagner du temps alors que ce gain de temps coûte de plus en plus de... temps. Aliénant et absurde.
Au fond, si la campagne électorale déçoit, n'est-ce pas aussi parce qu'elle passe au large de ce questionnement sur notre style de vie dominant ? Mais, il est vrai, qui serait assez fou pour oser se risquer dans cette voie électoralement peu payante, bien qu'en dépende, à terme, notre survie ?


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