TOUT EST DIT

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mardi 6 mars 2012

LA VRAI VÉRITÉ

L'Europe est l'homme malade du monde. Non que le sort des siens ne soit encore enviable pour la majorité des humains. Mais elle devient la déclassée évidente du grand remue-ménage mondial. Dans cette sorte de révolution planétaire qui voit décliner une séculaire domination occidentale, l'institution européenne affiche un lancinant désarroi. Soumise au tsunami de la crise, elle découvre qu'à l'exception de ses grandes vertueuses, l'Allemagne ou la Suède, elle n'a pas adapté, par fatigue et incurie, sa conduite à l'essor d'un monde neuf où entrent en lice les "damnés de la terre". Dans le marasme occidental, l'Amérique piétine mais garde ses réserves de puissance. L'Europe, quant à elle, aborde l'épreuve dolente et patraque.
Car voici mise à nu la fragilité de son édifice communautaire quinquagénaire. Il est ébranlé par les inégalités de ses membres. Derrière sa façade, le Nord résiste et le Sud s'effondre. L'Europe marche l'amble. Elle défend toujours mordicus son dessein unitaire dans un euro que pénalisent les faiblesses du Sud. Mais, si les jeux, Dieu merci, ne sont pas faits, l'accablement de ses peuples, sous la récession qui s'annonce, profile déjà de dangereuses régressions. Autour de son affaissement financier, autour de son unité ébranlée, rôdent les vieux démons du nationalisme de la colère.
Longtemps l'actuelle révolution mondiale n'a, chez nous, rencontré qu'ignorance ou insouciance. Il aura fallu la crise, le chômage, les fermetures d'usines, les délocalisations, la perte avérée de chasses gardées pour que nos politiques mesurent l'ampleur du phénomène majeur des temps modernes : l'éveil, dans une planète surpeuplée, de peuples victimes d'une longue détresse. Toutes les tendances lourdes du siècle ont concouru à ce grand basculement : la démographie envahissante des peuples émergents qui pèse de sa lourde masse dans l'accès à des ressources âprement disputées ; la conversion à l'économie de marché de nations comme la Chine, jadis recluses dans le carcan communiste ; la révolution numérique et Internet, qui libèrent la mutualisation des flux de commerce et d'information. À ce train, l'exclusivité occidentale des grands savoir-faire industriels s'amenuise - nucléaire, aéronautique, travaux publics, techniques de pointe. Les nouveaux riches achètent peu à peu ce que leurs ingénieurs ne peuvent encore inventer.
Enfin, on ne tiendra pas pour secondaire l'élan créatif qui emplit de confiance des pays convertis à un progrès qui embellit bel et bien leur destin. Alors que, par contraste, le défaitisme européen gagne des peuples peu à peu convaincus que le sort de leurs enfants ne sera pas préférable au leur. La confiance est l'oxygène des forts.
Il n'est pas de semaine où le transfert de puissance n'altère les rapports de forces économique et stratégique. Pas de semaine où Chine, Russie, Inde, Brésil n'assènent leurs avis, généralement contraires aux nôtres, dans les affaires du monde : ces temps-ci, sur le climat, sur l'Iran, l'horrible Syrie... Pas de semaine où nos privilèges d'Ancien Régime ne se dessèchent au grand vent de l'Histoire.
La maladie de l'Europe, c'est sa fragilité. Elle n'a pas la politique que son économie mérite. Il aura suffi que saute le rivet d'une Grèce ruinée pour que tout le Meccano se désarticule. La Grèce est insolvable, coupable et pitoyable. L'Europe, en sa faveur, pousse sans fin un rocher de Sisyphe qui ne cesse de retomber. Mais qu'on laisse filer la Grèce vers sa faillite et, par ce fil rompu, toute la pelote se dévidera ! "Nos prêts à fonds perdus sont un mal nécessaire", dit carrément le ministre allemand des Finances. Jusqu'à quand ? Ma foi, jusqu'à ce que les grandes nations fragiles du Sud - dont la France - aient recouvré une solidité financière seule capable d'interdire la cascade d'un domino fatal.
Les peuples européens aveugles sur l'état du monde se trompent encore sur ce qui les attend s'ils veulent éviter le naufrage d'une Europe vieillie et impotente. Maints pays du Sud ont pris le pli et l'ankylose du moindre travail. Ils ont raté dans les techniques d'avenir les opportunités de la croissance mondiale. Un pays comme le nôtre s'est endormi dans les libéralités d'un patrimoine en peau de chagrin. Dans un assistanat outrancier. La France, châtelaine aux abois, vit d'hypothèques.
En vérité, c'est tout un modèle social, celui de l'État-providence, qui périclite. Combien de sueur faudra-t-il pour substituer au culte des "avantages acquis" celui des avantages à conquérir ? Combien de larmes pour réveiller les têtes, les reins et les coeurs ? La démocratie grecque hurle dans la rue sa souffrance. Ailleurs, l'histoire tragique des années 30 ne se répète pas mais bégaie dans les colères des Indignés.
Les politiques exhibent encore à leurs électeurs une "vérité" maquillée, emmitouflée. Le répit sera court. Car la vraie vérité sort du puits. Elle est nue. Et elle a froid.

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