TOUT EST DIT

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jeudi 20 octobre 2011

Le retour à la terre

Tandis que les grèves paralysent le pays et que les politiques débattent du sort de l’économie la plus touchée de la zone euro, les Grecs sont contraints de revenir en arrière pour joindre les deux bouts, comme à Naxos, dans les Cyclades. 

“Dans le coin, les gens reviennent dans les fermes qu’ils ont abandonnées il y a des années pour faire pousser des pommes de terre, des choux et des légumes afin de survivre à la crise,” déclare Petros Citouzouris en taillant ses vignes sur les hauteurs de Naxos, la plus grande île des Cyclades. Même les régions les plus isolées de Grèce sont emportées par la catastrophe financière.
Indiquant du doigt de nouvelles cultures en terrasse le long d’une ancienne léproserie délabrée à Sifones, Citouzouris ajoute que depuis le début de la crise, “des maçons et des mineurs sans emplois, ainsi que des retraités, ont commencé à revenir dans les fermes familiales dont ils avaient hérité il y a une génération, mais qu’ils n’avaient jamais exploitées”. Il estime que sur les vingt propriétés des environs, dix appartiennent aux nouveaux venus. “Ils n’arriveront pas à faire pousser assez pour vivre, mais ça va les aider à tenir,” commente-t-il.

Des habitants qui travaillent dur

Si les touristes ont déferlé cette année encore, les autres secteurs de l’économie sont en berne. Tout Naxos est touché, et il y règne une atmosphère d’angoisse à peine voilée, de désespoir manifeste. Partout, on redoute que, aussi dure que soit la situation aujourd’hui, elle ne soit pire demain. L’île n’a rien perdu de son extraordinaire beauté, couverte de vestiges antiques et de tours vénitiennes, ses villages aux murs blancs et aux terrasses arrosées agrippés aux flancs de montagnes qui dominent des vallées verdoyantes et encaissées. Les oliviers et les vignes prospèrent sur ce sol fertile qui attire les cultivateurs depuis cinq mille ans.
Contrairement aux mythes qui ont cours en Europe du Nord et qui veulent que les Grecs se vautrent sans vergogne dans le confort aux dépens des banques étrangères et des prêts de l’UE, le plus frappant, chez les 18 500 habitants de Naxos, c’est de voir à quel point ils travaillent dur. Beaucoup ont toujours eu plus d’un emploi, aucun n’étant vraiment bien payé.
Les ouvriers du bâtiment sont généralement aussi des agriculteurs, ils possèdent des moutons, des chèvres, des oliviers et de la vigne. Cet argent supplémentaire leur permet souvent de financer les études de leurs enfants à l’université.

La fin des espoirs de la classe moyenne

Des espoirs qui, aujourd’hui, s’évaporent. Naxos regorge de jeunes chômeurs hautement qualifiés, qui ne parviennent pas à trouver de travail, quel qu’il soit. “Les jeunes mendient pour travailler, dit Manoulis Koutelieris, un maçon qui emploie dix personnes. Hier soir, il y en a un qui m’a appelé pour avoir du travail, et il pleurait.” Officiellement, le taux de chômage dans l’île serait de 20 % ; Koutelieris, lui, situe plutôt ce chiffre aux alentours des 35 %. L’impact de la crise est progressif, mais inexorable. Avec le départ des touristes, plus personne ne dépense, les boutiques et les restaurants sont vides.
C’en est peut-être fini des espoirs de la classe moyenne embryonnaire, mais d’autres sont dans une misère encore plus noire. Les réductions des dépenses publiques ont frappé ceux qui, jusqu’alors, joignaient à peine les deux bouts. Dans une maison exiguë de la ville de Naxos, Irène Polykretis nous explique que son mari, un pêcheur du nom de Panagiotis, et elle ont toujours été pauvres. “Quand j’étais enfant, on ne pouvait pas se payer de l’aspirine,” raconte-t-elle. Grâce à sa dot, un petit bateau de pêche, Panagiotis gagnait juste assez pour la famille, parce qu’il avait également un emploi de balayeur sur le port.
Mais les ennuis se sont succédés. Le bateau a été endommagé par le sillage d’un hors-bord, et Panagiotis ne peut s’offrir le luxe de le faire réparer. Au cours du même incident, son fils a été blessé, et il ne peut pas travailler. Puis le gouvernement a décrété qu’il avait versé trop d’allocations familiales à Irène, et il a interrompu tout paiement jusqu’à la fin de l’année. Panagiotis est amer. “Personne ne s’est proposé de nous aider, lâche-t-il. Pour eux, nous ne sommes que des déchets.”
Peu d’habitants de l’île ont vu leurs existences bouleversées, mais les mauvaises nouvelles continuent d’affluer. Les salaires des fonctionnaires et des retraités sont en baisse. La plupart des gens du cru sont propriétaires, et c’est avec appréhension qu’ils attendent de voir combien ils vont devoir payer dans le cadre de la nouvelle taxe sur le logement. “Là, le gouvernement a vraiment trouvé le filon,” grince un propriétaire morose.La nouvelle taxe devrait être perçue par le biais des factures d’électricité, avec la menace tacite d’une coupure des prestations en cas de non-paiement.

"Les banques ont aidé les Grecs à devenir fous"

A qui la faute ? Dmitris Lianos, adjoint au maire de Naxos, accuse les banques d’avoir accordé des prêts bon marché à n’importe qui : “Les banques ont aidé les Grecs à devenir fous. Elles proposaient des prêts pour Noël, pour les voyages de noces. Nous vivions dans un monde de fantasmes, un monde factice.” Pour l’heure, les banques ne réclament pas d’être remboursées, mais les gens s’inquiètent de ce qui se passera quand elles le feront.
Partout à Naxos, on a le sentiment que l’argent circule de moins en moins. Le bâtiment est le seul secteur qui s’est écroulé, mais tout le reste semble fragile. Pour l’essentiel, les affaires se concluent à coups de reconnaissances de dettes douteuses, qui ne sont pas encaissées et ne pourraient pas être honorées de toute façon. “J’ai 30 000 euros de chèques en bois. Qu’est-ce que je peux faire ?” s’interroge Manoulis Koutelieris.
Tous se plaignent d’une bureaucratie byzantine. Autour d’un verre d’ouzo, Yannis Karpontinis, propriétaire d’une carrière de marbre, raconte, dépité, comment, pendant plus de deux ans, il n’a pu ouvrir une carrière qui appartenait à sa famille. Comme ils l’avaient louée pendant un temps, il lui avait fallu obtenir toute une série de nouveaux permis. Face à la crise, il s’efforce, avec un certain succès, de parvenir à l’autosuffisance. Il fait son propre pain, son huile d’olive, son vin, et même du savon. Karpontinis pense que la Grèce est condamnée à un effondrement économique et social inévitable. “Pour le moment, la classe moyenne va payer plus de taxes, parce qu’elle a peur d’une faillite de l’état et de voir disparaître ce qu’elle a sur ses comptes en banques, analyse M. Diskalakis. Mais dès que les gens auront le sentiment qu’il est impossible d’échapper à la faillite, ils arrêteront de payer, et le gouvernement va le sentir passer.”

Vu d'Athènes

Bras de fer entre syndicats et gouvernement sur l’austérité

Alors que les Vingt-sept se préparent à discuter le 23 octobre d’une éventuelle réduction de la dette grecque, depuis hier soir minuit et pour 48h, “la Grèce est paralysée” titrait Ta Nea ce 19 octobre. Au matin, la grève générale décrétée par les syndicats –  la cinquième depuis le début de l’année –  était en effet très suivie, note le quotidien athénien : "les bateaux et les train sont à quai, les écoles, les administrations, les banques et même les commerces privés sont fermés. La liste est longue : cette fois les Grecs sont bien décidés à continuer le mouvement quoiqu’il arrive aujourd’hui. Ils manifestent contre l’austérité, contre les taxes et contre l’atteinte à leurs acquis sociaux." Pour le gouvernement, c’est "l’heure de vérité", observe pour sa part To Vima, pour qui "nombre de manifestants veulent détrôner les socialistes au pouvoir", accusés d’étrangler le pays pour satisfaire ses créanciers internationaux.  "Les Grecs organisent des grèves tous les jours et le pays ne peut pas fonctionner", ajoute-t-il : "tous les ministères sont occupés par leurs personnel, les gens ne peuvent plus payer leur factures et ils refusent les nouvelles taxes ; quant à ceux qui ne peuvent pas faire grève, ils ralentissent leur activité”. Et pendant ce temps, "des montagnes d’ordures continuent d’envahir la capitale”, ironise To Ethnos, car "personne ne veut les ramasser et les émanations toxiques menacent notamment les enfants."

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