vendredi 9 septembre 2011
Fractures sociales
La manière dont des personnalités notoirement « très riches » se sont portées volontaires pour être davantage imposées, en expliquant qu'elles devaient participer au premier chef à l'effort qu'impose la crise, semble louable. Mais cette initiative répond-elle vraiment à la question posée par les faramineux écarts de richesse et de rémunérations qui se sont creusés ces dernières années ? Ce qui est en cause, c'est notre projet de société. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce projet était celui d'une société démocratique, libérale, mais fondamentalement solidaire. Cette solidarité avait un sens, tant que l'écart entre les hauts et les bas revenus restait dans des limites raisonnables. Cela supposait une certaine modestie de la prospérité, attestant non seulement que l'effort était supporté par tous, mais que tous étaient liés les uns aux autres, partageant un même destin.
Aujourd'hui, certains « ne voyagent plus dans le même bateau ». La fortune des très riches les rend totalement étrangers à l'inquiétude quotidienne du plus grand nombre. Ils vivent hors de la condition commune et ne peuvent que l'ignorer, tant ils en sont loin. Les membres de cette « hyperclasse » ne sont plus liés au sort du citoyen ordinaire. Plus grave encore, leur richesse et leur réussite aggravent presque mécaniquement la situation des autres, comme on le voit avec la flambée des prix du logement dans les grandes villes.
Cette inégalité radicale est devenue d'autant plus insupportable que notre société et son système de représentation - les médias, la publicité et une partie de l'industrie culturelle - ont fait de l'univers des riches et de leur mode de consommation un modèle dans lequel chacun est invité à se projeter. La figure contemporaine du bonheur passe par l'aisance matérielle et la possibilité de résoudre tous ses problèmes par ses propres moyens, c'est-à-dire avec son compte en banque. La crise est venue aggraver un sentiment qui montait depuis quelques années : nous percevons que cet horizon de bonheur recule au fur et à mesure que nous essayons de nous en rapprocher. À la panne de l'ascenseur social s'est ajoutée la peur du déclassement...
Ainsi grandit la frustration, alors que la machine économique, pour continuer à tourner, ne cesse de susciter de nouvelles envies, de nouveaux désirs. La société est doublement fracturée. La première fracture, à laquelle nous nous sommes hélas habitués, sépare ceux qui sont exclus du système et ceux qui parviennent à se maintenir à flot. La seconde, plus récente, sépare ceux qui connaissent la frustration et ceux qui en sont à l'abri, de par leur haut niveau de revenu.
La première peut être soignée, tant bien que mal, avec des systèmes d'assistance et de compensation. C'est naturellement insuffisant, mais au moins préserve-t-on un semblant de solidarité. La seconde est infiniment plus pernicieuse, puisqu'elle insinue l'idée que la possession matérielle est la seule voie de salut possible. C'est donc chacun pour soi.
Ce dont la société a besoin, ce n'est pas que les riches paient leur écot pour adoucir la crise, mais qu'ils consentent à redescendre dans le monde « commun ». La solidarité, en effet, ce n'est pas d'abord payer pour les autres, mais accepter d'être liés au sort des autres. Or, l'idée de s'acquitter d'une taxe « extraordinaire » entérine le fait que c'est en campant sur l'Olympe - et comptant bien y rester - que les très riches se penchent vers les gens ordinaires.
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