TOUT EST DIT

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mardi 26 juillet 2011

Danger de la rhétorique du chaos

Si, parmi les auteurs de romans policiers ou de thrillers politiques, les Scandinaves ont tant de succès, c’est parce qu’ils savent diagnostiquer les maux de leur pays. Un Straalesen en Norvège, un Mankell en Suède, un Indridason en Islande ont repéré les failles de ce Nord qui n’est pas aussi lisse qu’il veut le croire. Le carnage d’Oslo confirme que la réalité n’a pas de peine à dépasser la fiction; la xénophobie nationaliste évoquée dans les romans peut hélas se muer en tragédie nationale.

Dans un registre moins glorieux, la littérature norvégienne a vu éclore un autre rayon, celui qui, de réunion politique en tract électoral, s’emploie à ancrer l’idée que l’islamisation est en marche, qu’elle va tout balayer et qu’elle est la cause de tous les vices.

Dans ce pays foncièrement protestant qu’est la Norvège, où l’Église luthérienne a rang d’Église officielle, la population étrangère a effectivement progressé en dix ans au point de représenter 10 % des 4,8 millions d’habitants. Mais cette proportion est largement due à des flux riverains venus des pays baltes, d’Allemagne, de Pologne, voire des Danois et des Suédois attirés par le pétrole norvégien et par un chômage inférieur à 3 %. Ce qui n’est pas de nature à bouleverser les équilibres antérieurs.

En surdimensionnant le poids réel de l’immigration pakistanaise, irakienne ou turque, la prose xénophobe qui circule en Norvège s’emploie surtout à exciter les esprits et à créer des réflexes de croisades et de contre-croisades dont le tueur d’Oslo a fait son discours halluciné. Si les partis populistes qui prospèrent en Europe n’ont aucune responsabilité organique dans la préparation des attentats d’Oslo, il faudra bien qu’ils s’interrogent sur le côté pyromane de l’argumentation qui se fait un devoir (et parfois un honneur) de présenter tout musulman comme un ennemi. On ne peut pas ironiser sur les islamistes qui s’inquiètent d’une invasion chrétienne en Somalie, en Irak ou en Afghanistan et s’extasier devant la rhétorique du chaos dont se délectent certains de nos élus européens.

Cette idéologie incite à la surenchère. Anders Breivik s’en est pénétré et l’a adoptée jusqu’à croire utile de tirer au fusil sur les jeunes militants socio-démocrates, comme si cette tuerie allait éliminer la prochaine génération des responsables politiques qu’il exècre tant.

On est ici au cœur d’un concept qui a traversé tous les siècles et toutes les cultures, l’idée que « c’était mieux avant », mieux parce que plus homogène et moins mouvant. En se saisissant de l’étendard chrétien comme s’il se promenait dans un jeu de rôles, Breivik a fait le contraire de ce à quoi il pensait. Il croyait se projeter dans le futur, il s’est couché dans le passé. Le héros qui rêvait de parader au tribunal en uniforme n’est qu’un dangereux paumé tout étonné de n’être pas traité en prisonnier de guerre. Quant au défenseur de la civilisation européenne, il est très banalement le clone occidental des terroristes d’al-Qaïda, aussi misérable, aussi pathétique et aussi stérile qu’eux.

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