La crise de la dette souveraine pourrait être résolue en mettant fin à l'indépendance de la BCE qui limite aujourd'hui son rôle à sauver le secteur financier. La conversion de la dette publique en obligations à durée indéterminée (ODI) serait également une solution à explorer.
Les difficultés rencontrées par la zone euro pour le refinancement des dettes dites « souveraines » de certains États, tels la Grèce, l'Irlande ou le Portugal, appellent une réflexion nouvelle sur la question essentielle du financement des systèmes publics en Europe. Le problème de fond réside en fait dans l'attitude partiale de la BCE ; autant elle ouvre un véritable « open bar financier » au secteur bancaire, autant elle rechigne à prêter le moindre argent à l'« économie réelle » (secteur public, entreprises, particuliers) et ce, à la différence de la FED, de la Banque d'Angleterre ou de la Banque du Japon.
Pour régler la question des dettes souveraines en Europe, nous suggérons ainsi à la fois de supprimer le Fonds européen de stabilité financière, qui n'a d'autre effet que d'aggraver l'endettement global des pays de l'Union, d'imposer à la BCE de racheter - si besoin - les obligations d'État, quels que soient les États (pour créer un effet d'annonce et réduire les taux d'intérêt), et de lui ordonner de lutter contre la spéculation (relayée par les agences de notation) organisée contre certaines dettes de la zone, en vendant massivement des CDS (« credit default swaps ») sur ces dettes.
Une telle démarche implique que la BCE cesse d'être indépendante et dépourvue de mandat politique, situation qui la place au seul service des opérateurs financiers ; la réorientation de son action passe évidemment par une modification substantielle de son statut.
Pour compléter cette réflexion, nous proposons en outre l'idée suivante : convertir progressivement, si nécessaire, les dettes publiques en obligations à durée indéterminée (ODI). L'expérience de la double crise - dette privée américaine et dettes publiques européennes - a montré que le refinancement des débiteurs est le moment crucial : Lehman Brothers a sauté faute de trouver de nouveaux prêteurs ; la Grèce ou l'Irlande sont entrées dans l'oeil du cyclone, en butte à des taux d'intérêt prohibitifs, au fil de leurs opérations de refinancement ; et c'est ce qui se passe aujourd'hui pour le Portugal.
Pour échapper au piège du refinancement, nous suggérons ainsi un nouveau régime légal des dettes publiques, tout en protégeant les intérêts légitimes des épargnants, qui ont confié leur argent à des fonds communs de placement, Sicav ou assurance-vie, investis en emprunts publics. En remplaçant les obligations à échéance fixe (de 1 à 30 ans) par des obligations à durée indéterminée, à l'image des TSDI (titres subordonnés à durée indéterminée) popularisés par Rhône-Poulenc, les États emprunteurs fragiles pourront consolider leur crédit à long terme, aujourd'hui mis en péril à chaque échéance critique d'une nouvelle émission
Les titres d'État sensibles, au lieu d'être remboursés à échéance fixe, seront ainsi transformés en rentes perpétuelles, via un taux d'intérêt annuel raisonnable (entre 2 % et 5 %), ou même un taux plus bas assorti d'une indexation sur les prix ou d'un avantage fiscal, sachant que leurs titulaires pourront les revendre à tout moment sur le marché secondaire, de manière à récupérer leur investissement en cas de besoin. Pour les États de la zone euro disposant d'une épargne abondante (France, Allemagne, Italie), l'émission de ces ODI ne devrait pas poser de problème ; l'épargnant serait appelé à les souscrire en direct. Pour les finances publiques, ce changement devrait être positif ou neutre en termes de charge de la dette, avec en plus la possibilité de rembourser ces ODI en période de vaches grasses.
Cela revient en pratique à réaliser une restructuration des dettes les plus sensibles ; les marchés s'y attendent, puisque les emprunts grecs ou irlandais sont déjà largement décotés sur le marché secondaire, et que leurs détenteurs récents les ont acquis avec cette décote. Toutefois, il serait à coup sûr contre-productif de traiter l'encours de la dette grecque ou irlandaise de la même manière que ce qui a été fait dans le passé pour le Mexique ou l'Argentine, avec une forte perte en capital pour leurs détenteurs, car cela ruinerait l'image de ces pays en tant qu'emprunteurs, et cela nuirait également aux investisseurs, qui sont en grande partie de petits épargnants. C'est pourquoi nous proposons une restructuration des dettes sensibles existantes, non pas par réduction du capital, mais par transformation en ODI, avec un taux d'intérêt associé « raisonnable » (i.e. de l'ordre de 2 à 5 % suivant les cas). Cela permettrait ainsi d'alléger très fortement la charge de la dette, de ne plus être à la merci des marchés financiers ou des agences de notation et de conserver aux titulaires existants de la dette leur capital (plus un certain intérêt), tout en ayant la possibilité de la revendre à tout moment sur le marché secondaire. Une telle démarche pourrait être mise en oeuvre très rapidement dans le cadre de l'Eurogroupe, sous l'égide de la BCE en tant que « parrain » de cette transformation.
Cette approche, valable pour les emprunts d'État, pourrait être étendue à d'autres domaines d'intérêt général ; ainsi, pour développer l'investissement en Europe dans les secteurs collectifs, via des fonds d'investissement stratégiques, financés par l'épargne privée européenne (particuliers et entreprises) via des ODI. On mobiliserait de la sorte dans un sens constructif une partie de la gigantesque épargne européenne (de l'ordre de 20.000 milliards d'euros). On pourrait faire d'une pierre deux coups, en remplaçant les fonds de cohésion structurels, coûteux pour les contribuables, au profit de ces fonds, dont l'action serait surveillée avec scrupule dans la continuité. On ferait aussi un pas de géant dans la construction de l'Europe puissance, de l'Europe autonome et porteuse de projets collectifs.
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