TOUT EST DIT

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dimanche 2 janvier 2011

Indignisme

Un prophète est né à la gauche française, désormais confite en indignation, révérant Stéphane Hessel et brandissant son livre tel un passeport best-seller pour le monde nouveau.
Et cet engouement en dit long sur l’épuisement intellectuel des gauches, au bout du bout de leur histoire délavée. On ne pense plus avec Marx ou Marcuse, Blum, Trotski, Foucault ou Sartre, mais on révère Hessel et son Indignez-vous. Même pas un livre, une brochure; même pas une brochure, un tract, trente pages en écho décalqué des évidences de l’âge d’or. Et l’on consulte l’oracle sans crainte du ridicule, et il est pour Aubry et contre Sarkozy, et il faut résister au libéralisme comme jadis sous Pétain, et Vichy c’était le capitalisme, et le vieillard est irréfutable.

Qu’on ne s’y méprenne pas. Hessel n’est pas en cause, mais ce qu’on fait de lui. Hessel est un homme à la vie ébouriffante, d’une vitalité que l’on se souhaite nonagénaire, dont les combats sont justes; et qui possède l’aura de la victime, pourchassé par la haine d’une ultradroite pro-israélienne. Mais tout ceci ne devrait pas transformer des truismes en sourates sacrées. Ce qui est affligeant et révélateur, c’est l’aveuglement avec lequel Hessel est révéré sans être lu, discuté ou débattu. Pourtant, il y aurait matière.

Premier exemple. "Quand j’essaie de comprendre ce qui a causé le fascisme […], je me dis que les possédants, avec leur égoïsme, ont eu terriblement peur de la révolution bolchevique." C’est une lecture pseudo-marxisante du fascisme, qui n’aurait été qu’un masque de la bourgeoisie, un avatar de la lutte des classes… Comme s’il n’y avait pas eu des bourgeois antinazis, ou des socialistes justement terrifiés par le bolchevisme! Toute notion de morale individuelle s’efface devant cette vision mécaniste de l’histoire. Hessel nie la parenté tragique des totalitarismes, de droite et de gauche, oublie les pages terribles de l’écrivain soviétique persécuté Vassili Grossman, méprise la réflexion des gauches humanistes depuis Jaurès et Blum.

Deuxième exemple: "Le Hamas n’a pas pu éviter que des roquettes tombent contre des villes israéliennes." Tout à sa défense de la Palestine, Hessel tombe dans la naïveté classique de ces gauches qui ne voient jamais le mal dans la violence des opprimés. La vérité est autre : le Hamas est bien bombardant, terroriste et fasciste, ce qui n’excuse pas les crimes du colonialisme israélien. Mais Hessel, quand il s’indigne, refuse la complexité ou la nuance. Camus, connaît pas.

C’est le droit de Hessel de ressasser des simplismes. C’est le paradoxe des médias progressistes de ne pas s’y arrêter. C’est le problème du peuple de gauche de faire un triomphe à ce brouet, achetant une posture régressive au lieu d’appréhender le chaos contemporain. La gauche n’est pas la recherche d’un gourou chenu, et l’indignation n’est pas la politique. Elle en est même l’exact contraire, ou plutôt son empêchement. Le sujet, actuellement, est d’inventer un ordre tenable dans le maelström libéral, pas de révérer le programme économique des résistants de 44. C’est la tâche concrète, technique et pragmatique d’un Strauss-Kahn ou de quiconque s’y attellera: tâche intenable, si l’on en reste à l’indignisme de confort. La gauche la plus simple du monde ne peut donner que ce qu’elle a.

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