TOUT EST DIT

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mardi 12 octobre 2010


Un contrat social à réinventer


Signe des temps ? La référence à la Seconde Guerre mondiale revient sans cesse dans le débat français, comme si la plus profonde crise économique depuis les années 1930 devait fatalement déboucher sur les horreurs des années 1940. La réforme des retraites, qui provoque aujourd'hui une nouvelle journée de mobilisation syndicale, n'y échappe pas. Députés, sénateurs, anciens résistants ont tour à tour dénoncé en substance « le démantèlement de l'héritage laissé par le Conseil national de la Résistance ».


Diable ! Ce programme politique adopté dans la clandestinité en 1944 constitue en effet un legs majeur. C'est lui qui allait déterminer les grandes lignes de l'organisation sociale d'après-guerre, une organisation qui est encore là aujourd'hui. Relisons donc avec curiosité ce texte fondateur rédigé à la fois par des gaullistes, des royalistes, des socialistes, et des communistes qui avaient alors beaucoup d'influence. Demanderait-il la minoration de la décote à partir de 62 ans et demi ? Ou exigerait-il la déduction d'un trimestre de cotisation chaque fois que le taux d'invalidité grimpe de 10 % ? Non point. Il prône tout simplement… « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ». Un principe qui recueille un consensus plus large que d'autres recommandations du CNR, comme la nationalisation des grandes banques, le droit d'accès des ouvriers aux fonctions de direction de l'entreprise ou le développement des coopératives de production.


En réalité, cet objectif d' « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours » est une injonction à agir vite. Il faut préserver des régimes mis à mal par la crise et des décennies de gestion imprévoyante, qui feront au total cette année 30 milliards d'euros de déficit ! Sinon, le déficit finira fatalement par peser sur les pensions servies. Et porter ainsi atteinte à la dignité de ceux qu'on préfère appeler aujourd'hui les seniors.


Mais pourquoi les Français ont-ils tant de mal à accepter des changements évidents ? C'est la gouvernance qui est ici en cause. Il faut revenir à ce qui s'est passé au sortir de la guerre. Pour tourner le dos aux errances qui avaient débouché sur la débâcle de 1940 et la catastrophe de la collaboration, pour fonder la « République nouvelle » voulue par le CNR, les gouvernants ont créé des institutions très ouvertes, gage de démocratie. Pour la politique, c'était la IV e République. Pour le social, c'était le paritarisme, « avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat » comme le précisait le CNR. Les deux se sont révélés inefficaces. Côté politique, le constat a été vite dressé. L'élection des députés au scrutin proportionnel non tempéré par un verrouillage de la majorité à l'allemande a débouché sur une instabilité chronique (28 gouvernements en treize ans). Emiettement du pouvoir, irresponsabilité, déficit financier… Dès 1958, les Français ont voté pour la V e République. Mais, côté social, il en a été autrement. Le pouvoir était émietté et l'irresponsabilité de règle dès le départ, mais les comptes ne se sont pas dégradés tout de suite. Côté retraite, tout allait apparemment bien. Il y avait beaucoup de cotisants et peu de retraités, qui touchaient en moyenne leur pension pendant moins de dix ans (contre plus de vingt ans aujourd'hui). Côté santé, l'offre était restreinte - en soins, en médicaments, en hôpitaux. Et partout, la croissance faisait rentrer l'argent dans les caisses. Mais, depuis la cassure de la croissance dans les années 1970, l'équilibre devient plus compliqué. L'assurance-santé enchaîne sans fin les plans de rééquilibrages depuis les années 1980. L'assurance-vieillesse aussi, depuis maintenant près de vingt ans. Et ce n'est pas fini, car les pensionnés vont devenir de plus en plus nombreux alors que les cotisants vont se raréfier.


Cette inefficacité de la gouvernance sociale, une exception française, est devenue l'un des principaux handicaps du pays. Comme toujours en France, le changement ne se fera pas en douceur. Pour réinventer un nouveau contrat social, il faudra ce que l'historien Jacques Marseille appelait une « rupture-élan » (1), comme celles vécues par la France avec Henri IV après l'Edit de Nantes ou avec Bonaparte en 1799. Il est sans doute trop tôt.
La France ne va pas assez mal.

(1) « Du bon usage de la guerre civile en France », Perrin, 2006.

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