TOUT EST DIT

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mardi 12 octobre 2010

Washington et les limites de l'« Obamanomics »

Apériode exceptionnelle, remèdes hors normes. Deux ans après son arrivée au pouvoir, la doctrine économique de Barack Obama reste encore un mystère. Libéral de gauche défenseur du libre marché ? Néodémocrate à tendance clintoniste formé à l'école de Chicago ? Reaganien refoulé ou pragmatique blairiste ? C'est sur son pragmatisme revendiqué qu'il a remporté l'élection présidentielle de novembre 2008, en pleine récession, en gagnant le soutien décisif des « indépendants » centristes. Le miracle ne se reproduira pas forcément pour les élections de mi-mandat du 2 novembre. Car le flou apparent de son positionnement économique risque désormais de le pénaliser aux yeux des 15 millions de chômeurs américains. Mises en lumière par l'éclatement de l'équipe économique de la Maison-Blanche et le prochain départ programmé de son chef d'orchestre, Lawrence Summers, les lacunes de l'« Obamanomics » - un terme désormais plus souvent utilisé par ses adversaires que par ses supporters -, menacent de se transformer en béances face au désarroi d'une classe moyenne dominée par l'anxiété.


« Sa rhétorique a été très antibusiness, mais son action s'est révélée très probusiness », a récemment lancé le milliardaire George Soros dans le cadre d'un discours remarqué à la Columbia University. Riche de sous-entendus, cette critique paradoxale du milliardaire philanthrope américano-hongrois, traditionnel soutien du Parti démocrate, reflète bien les ambiguïtés de l'« Obamanomics », en partie inspiré des idées du Hamilton Project, le think tank fondé par Robert Rubin. Quelle sera la ligne de l'administration démocrate après le scrutin du 2 novembre ? Vat-elle amorcer un virage centriste à la Clinton, ou poursuivre une ambitieuse politique de relance des investissements dans les infrastructures et les technologies vertes en reportant la question du déficit à l'après-2012 ? Saura-t-elle, ou voudra-t-elle, faire adopter par le Congrès le « plan de relance bis » que la plupart des économistes jugent aujourd'hui indispensable pour prévenir un « double dip » ? Quel sera le profil du successeur de Lawrence Summers, l'économiste en chef de la Maison-Blanche parfois considéré comme un « suppôt » de Wall Street, même s'il commence à dénoncer tardivement le poids excessif des lobbies ? Autant d'inconnues qui brouillent encore le bilan de l'administration Obama et menacent de peser lourdement sur le résultat du 2 novembre.


Dans la tradition politique américaine, les élections législatives de mi-mandat constituent une forme de référendum sur la performance de l'administration en place. C'est bien le problème pour Barack Obama, dont la cote de confiance est tombée de 66 % à 45 % en un an et demi, même si elle est remontée d'un point en septembre (1). Il n'est pas dit que les républicains soient assurés de remporter les 39 sièges nécessaires à un basculement de la majorité en leur faveur à la Chambre. Mais le Parti démocrate risque de payer un lourd tribut aux ambiguïtés de l'« Obamanomics ». Compte tenu du climat général d'anxiété (avec un Américain sur sept désormais sous le seuil de pauvreté) - que la nouvelle menace de « guerre des monnaies » ne contribue pas à apaiser -, les experts tablent sur un gain de 35 à 50 sièges pour le Parti républicain. Même si Lawrence Summers met en avant le faible coût du plan de sauvetage de Wall Street (entre 0,3 % et 2 % du PIB, selon les éléments pris en compte) face aux résultats décevants du « Recovery Act » de 814 milliards de dollars sur le front du chômage, l'équipe économique de la Maison-Blanche semble aujourd'hui se disloquer sur un aveu de semi-échec, ou du moins de demi-mesures. Le milliardaire George Soros a beau jeu de dénoncer les insuffisances patentes du plan de relance ou de juger inopportun et irréaliste l'objectif officiel de réduction du déficit fédéral de moitié (de 10 % à 5 % du PIB) d'ici à 2013. Il n'est pas le seul. Le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz a embrayé en regrettant qu'un tiers du « stimulus » de 2009 ait été gaspillé dans des baisses d'impôts inopérantes et en jugeant trop courte la durée du plan de relance. « Le sauvetage des banques n'a pas eu d'autre succès que d'éviter un désastre, et la réforme bancaire ressemble à un gruyère », a-t-il récemment déclaré dans le cadre du World Business Forum à New York. Injuste ? Pour Barack Obama, le Recovery Act n'en reste pas moins le plus important investissement public dans la recherche-développement, l'éducation et les infrastructures depuis Dwight Eisenhower au début des années 1950. Contrairement à Bill Clinton, dans son fameux discours du 27 janvier 1996, il n'a pas l'intention de tourner le dos à l'intervention publique en décrétant « la fin de l'ère du Big Government » en période de crise. Mais le flou de sa stratégie sur l'urgence d'un plan de relance bis et la gestion du déficit risque d'entamer sa crédibilité.


« Ma théorie économique centrale est le pragmatisme : comprendre ce qui marche », avait confié Barack Obama au « New York Times » en août 2008, en refusant de se laisser enfermer sous une étiquette. Mais l'électeur moyen a besoin de repères traditionnels. Faute de reprise suffisante, le président démocrate découvre aujourd'hui les limites de sa posture « postpartisane » sur l'économie, et va devoir clarifier sa doctrine pour 2012.

(1) Sondage Gallup du 4 octobre.Pierre de Gasquet est correspondant des « Echos » à New York.

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