TOUT EST DIT

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jeudi 29 juillet 2010

Fuites afghanes

On savait déjà que la guerre menée depuis neuf ans en Afghanistan s'enlisait. Que les troupes déployées se démotivaient. Que les stratèges hésitaient. Que l'objectif de démocratiser ce pays par la force était illusoire. Que le nombre de victimes civiles était imprésentable. Que le Pakistan jouait un jeu trouble. Que les talibans en bénéficiaient. Que, depuis longtemps, la vraie question n'est plus comment gagner mais comment partir. Depuis des mois, voire des années, la presse internationale, notamment américaine, a amplement débattu de ces thèmes. On le savait, mais, dans ce sentiment de marasme largement partagé, le doute subsistait, faute de pièces à conviction.

Depuis dimanche, elles sont là. La publication de 92 000 documents internes aux forces de l'Otan par le site WikiLeaks vient d'ébranler le monde politique et militaire en charge du dossier afghan. Le volume des fuites, inédit à ce jour, impressionne. Leur contenu, aux yeux des spécialistes, beaucoup moins. Il est sans doute moins exceptionnel que les modalités de communication exploitées pour le révéler. N'empêche. C'est une photo sans fard du bourbier afghan qui est décrite dans ces 200 000 pages, de la main même des militaires censés mener le combat.

Depuis deux jours, un précédent est souvent évoqué. Celui de la publication, en 1971, des Pentagone papers qui révélèrent les dessous de la sale guerre menée alors au Vietnam. Ce scoop contribua à convaincre l'opinion américaine de la nécessité de mettre un terme à ce conflit. Mais là s'arrête sans doute la comparaison.

Car, dans le contenu même des révélations, on assista, à l'époque, au déballage des mensonges proférés, durant des années, par les plus hauts responsables de la conduite de la guerre. Les fuites de WikiLeaks sont le fruit de rapports rédigés à un niveau moindre de responsabilité. Elles contiennent, en fait, peu de scoops. Même si la gravité de certains chapitres, sur les opérations commandos des forces alliées et l'occultation du nombre des victimes civiles, est bien réelle.

Une autre différence est essentielle. L'armée déployée en Afghanistan est une armée de professionnels. En Indochine, des millions des conscrits furent envoyés au front. À ce jour, environ mille GI's sont morts sur le sol afghan. Plus de 50 000 périrent sur le sol vietnamien. Pour des millions d'Américains, ce furent la perte d'un père, la vision d'un frère mutilé, d'un fils décoré dans son cercueil. Elles provoquèrent une profonde déchirure ; pas les Pentagone papers.

Sur le plan politique, néanmoins, l'onde de choc provoquée par les fuites publiées dimanche se fait déjà sentir. Barack Obama a dû monter au créneau pour faire voter, mardi soir, une rallonge budgétaire à la mission afghane. Plus de cent élus démocrates ont voté contre, les voix des républicains ont été décisives. À quelques mois des élections de mi-mandat, voici le président américain un peu plus fragilisé. En outre, chez ses alliés, le désir de partir, clairement exprimé il y a une semaine par le britannique David Cameron, est renforcé. Tout comme l'hostilité des opinions publiques.

C'est à Islamabad qu'est la clef du retour ou non des talibans au pouvoir. Et donc de la possibilité ou non de partir. Le double jeu des services secrets pakistanais, avec l'Otan et les talibans, est bien connu. Ce que les fuites peuvent apporter, c'est une volonté nouvelle, au sein de la coalition, de convaincre le Pakistan de jouer un rôle adéquat.

Laurent Marchand

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