TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

jeudi 24 juin 2010

La curée et l'Élysée

C'est un parfum écœurant. Celui du sang. Celui de la curée. Quelle est donc cette espèce d'exorcisme national auquel se livre la France depuis l'élimination de son équipe dès le premier tour de la Coupe du monde ? A-t-on à ce point perdu la raison pour remuer tant de morbidité autour d'une défaite sportive ? Les Bleus ont été nuls, d'accord. Domenech a desséché le jeu du onze tricolore avant de le réduire à néant, c'est entendu. Les joueurs ont affiché un comportement scandaleux en refusant de s'entraîner, c'est inadmissible. Mais fallait-il ajouter à ce scénario navrant, une troisième mi-temps politique qui hésite, elle aussi, entre l'outrance, le risible et le pathétique ? En 48 heures, on a vu une ministre de la Santé et des Sports - jusque-là honorable - passer du rôle de Nanny calinothérapeuthe à celui de Cruella procureure impitoyable crucifiant devant les députés ces héros déchus qualifiés tout à coup de « caïds » faisant trembler leurs petits frères « apeurés » Des termes qu'on réserve d'ordinaire aux petites frappes. Qui ont-ils martyrisé ou torturé pour qu'ils se croient obligés à se livrer à des actes de contrition et autres pardons pour expier leurs fautes ? « Débâcle », « indignité », « cataclysme »... Serait-on en juin 40 ? Non, en juin 2010. Les médias et le personnel politique se complaisent dans un vocabulaire anxiogène qui aggrave du même coup la perception de la France, renvoyant au monde l'image, déjà dégradée sur le terrain, d'un peuple déboussolé, dépressif, manquant totalement de sang-froid devant ce qui n'est, après tout, qu'un échec cuisant. Et voilà que le chef de l'État convoque séance tenante une réunion de crise à l'Élysée comme si le pays affrontait un nouveau 11 septembre. En 2005, les JO de 2012 perdus de quatre voix n'avaient pas mérité autant d'attention... Devant ce manque de mesure dans la déception et la colère (légitime), comment le monde entier ne ressentirait pas ce que le New York Times a qualifié - à la une - de « honte totale » ? Dans la panique, le président de la République veut être le sauveur du football français sans même laisser le temps à une Fédération Française - dévastée, responsable et trop longtemps inconsciente, oui, mais puissante - de faire elle-même, sereinement, le grand ménage. Les forces vives de notre pays seraient-elles si affaiblies qu'à chaque problème grave, il faille l'intervention de l'autorité politique suprême pour le régler ? Que le football en 2010, comme la presse en 2009, ait besoin d'États généraux pilotés par le monarque ? Le jour même où la Cour des comptes tirait le signal d'alarme sur la faillite financière de l'État, le gouvernement avait peut-être d'autres priorités vraiment exclusives, elles.

Olivier Picard

0 commentaires: