L'écrivain américain s'était retiré du monde en 1953 et n'avait pas publié depuis 45 ans. Il est mort mercredi à l'âge de 91 ans. Il reste un auteur mythique pour les adolescents du monde entier avec son roman L'Attrape-cœurs.
Cette fois, c'est pour de bon. J. D. Salinger avait déjà disparu en janvier 1953. L'auteur le plus célèbre des États-Unis prenait une retraite anticipée. Le succès de L'Attrape-cœurs (1951) l'avait transformé en légende vivante. Le héros, Holden Caulfield, était devenu l'idole des campus. L'écrivain est harcelé, considéré comme une diva. Cela pèse un peu trop sur ses épaules. « Disons que j'en ai plein le dos de lutter contre cet agrandissement de mon portrait au dos de la couverture du livre. »
Avant de se retirer à Cornish (New Hampshire), Salinger accorde un dernier entretien. La presse sera sa bête noire. Salinger fut très fort, de ce côté-là : aucun journaliste ne réussira à le coincer. Il y aura juste quelques photographies prises à la sauvette, au téléobjectif. On y voit un vieux monsieur furibard, qui brandit le poing contre ses agresseurs. Salinger était fait pour le secret. Son silence joua en sa faveur. Avoir écrit ce qu'il avait écrit et tirer la porte derrière soi, voilà la bonne méthode. Ce type était un objet de culte. Un groupe punk, The Wynona Riders, intitula un de ses albums J. D. Salinger. Don DeLillo s'est inspiré de son personnage dans Mao II . Son ombre flotte sur le rôle de Sean Connery dans le film de Gus Van Sant A la rencontre de Forrester. Mark Chapman, l'assassin de John Lennon, avait dans sa poche un exemplaire de L'Attrape-cœurs quand la police l'a arrêté.
Malgré toutes ses précautions, on possède de menus renseignements sur Jerome David Salinger. Il était né le 1er janvier 1919, avait grandi dans le Upper East Side de Manhattan. Famille aisée. Son père était juif, sa mère catholique. Tout jeune, il fut amèrement blessé lorsque Oona O'Neill, la fille du dramaturge, l'abandonna pour épouser Charles Chaplin. Durant la guerre, il est agent dans le contre-espionnage, débarque à Utah Beach, est un des premiers Américains à découvrir les camps de concentration. Cette odeur de chair brûlée ne quittera jamais sa mémoire. Il fait une dépression nerveuse, épouse brièvement une Allemande qui était assez nazie sur les bords. Il se remarie en 1954, a deux enfants, Matt (qui est acteur) et Margaret (qui publia ses souvenirs sous le titre L'Attrape-rêves). On disait que Salinger était resté bloqué émotionnellement à l'adolescence, ce que paraît confirmer la lecture de ses œuvres mettant en scène la famille Glass avec ses sept enfants, ses surdoués, ses suicidés. Ça serait une critique de Mary McCarthy à propos de Franny et Zooey (1961) qui l'aurait poussé à s'exiler dans son chalet de bois. Il se serait nourri exclusivement de noix et de petits pois, se décrivait comme « un bouddhiste zen raté ». En 1995, sa maison avait brûlé. On ignore si son coffre contenait des tonnes de manuscrits inédits ou s'il avait cessé toute activité littéraire.
Sa dernière nouvelle publiée en 1965
Sa dernière nouvelle, Hapworth 16, 1924, a été publiée dans le New Yorker du 19 juin 1965. Il traînait ses biographes devant les tribunaux. Parfois, on l'apercevait au volant de sa Jeep. Ses bizarreries ne se comptaient plus. Les rumeurs circulaient. Il aurait envisagé de laisser ses enfants choisir leur prénom, aurait refusé de faire appel aux médecins, aurait tâté aux croyances les plus diverses (yoga, dianétique, homéopathie). Il aimait les films d'Hitchcock, mais n'a jamais autorisé les producteurs à adapter L'Attrape-cœurs au cinéma. Sa troisième femme était une infirmière qui avait trente ans de moins que lui.
Il nous reste ses livres. Ils ont presque un demi-siècle. Ils sont indémodables. À cause de lui, tous les garçons des années 1950 ont rêvé d'être renvoyés du collège trois jours avant Noël. On continuera longtemps de se demander avec Holden Caulfield où vont les canards de Central Park, quand le lac est gelé en hiver. Ses lecteurs essayaient d'adopter son argot inimitable, cette façon de dire «vieux» à tout bout de champ, de brouiller les cartes («Je suis le plus épouvantable menteur que vous ayez vu dans votre vie»). Quant à la phrase finale de L'Attrape-cœurs, ils la connaissent par cœur : «Ne racontez jamais rien à personne. Si vous le faites, tout le monde se met à vous manquer.»
Nous sommes des millions à avoir cru être les seuls à pouvoir comprendre vraiment Holden Caulfield. Il y a aussi ces conversations entre une mère et sa fille dans une salle de bains, ces demoiselles qui s'évanouissent dans les toilettes de restaurant, ces soldats qui se tirent une balle dans la tête, ce frère qui dit à sa sœur : «Tu as été gavée de philosophie religieuse avec une sonde gastrique.»
Salinger nous adressait des télégrammes à la fois mystérieux et personnels : «Je crois que je détesterai 1942 jusqu'à ma mort, pour des raisons de principe», «Le seul souci d'un artiste doit être de tendre à la perfection selon l'idée qu'il s'en fait lui-même, et non selon l'idée que s'en font les autres.»
250.000 exemplaires vendus par an
Ses admirateurs ne l'ont pas lâché. Ses voisins le protégeaient. Salinger est sorti intact des révélations signées Joyce Maynard dans At Home at the World, où elle racontait la liaison qu'elle avait eue avec l'écrivain quand elle avait dix-neuf ans, et lui cinquante. Pour compléter le tableau, elle vendit aux enchères les lettres qu'il lui avait adressées à l'époque. Le bonhomme se méfiait. Il avait fait interdire les sites qui lui étaient consacrés sur Internet. En 1970, il avait remboursé à son éditeur un à-valoir de 75.000 dollars, preuve qu'il n'envisageait plus la publication.
A-t-il détruit des milliers de pages ? S'apercevra-t-on qu'elles n'existaient pas, comme les Prières exaucées de Truman Capote ? Croisons les doigts et espérons qu'il s'agira de la plus formidable des éditions posthumes. En attendant, L'Attrape-cœurs se vend toujours à 250.000 exemplaires par an. « Ce qui me met vraiment K.O., c'est un livre dont vous aimeriez, lorsque vous l'avez fini, que l'auteur soit un terrible copain à vous, de manière à pouvoir l'appeler au téléphone quand vous en avez envie ? »
Nous avons tous perdu un grand frère.
vendredi 29 janvier 2010
J.D. Salinger, la mort d'une légende
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