A quoi ressemble la rue où habite votre ami d'enfance ? Trouverez-vous des magasins dans le quartier où vous avez rendez-vous ? Qu'y a-t-il autour de l'appartement que vous envisagez de louer pour vos vacances ? Toutes ces informations, vous pouvez les trouver facilement sur Internet, en utilisant les moteurs de recherche de Google Street view ou celui des Pages Jaunes. Des services pour l'instant réservés aux grandes villes, mais qui dévoilent des quantités d'informations qui peuvent, potentiellement, empiéter sur votre vie privée.
"Imaginez que vous postuliez à un emploi : en tapant l'adresse qui figure sur votre CV, un employeur peut voir si vous habitez dans un quartier défavorisé, voire dans un bâtiment insalubre. C'est une porte ouverte à la discrimination", s'agace Jean-Christophe Lagarde, député-maire (Nouveau Centre) de Drancy (Seine-Saint-Denis). Il a déposé la semaine dernière une proposition de loi "tendant à restreindre les immixtions des moteurs de recherche dans la vie privée", qui vise plus spécifiquement à encadrer ces services de navigation par images dans les villes. Le principe du texte est simple : pour qu'un bâtiment puisse figurer dans les moteurs, il faudrait que l'éditeur obtienne au préalable le consentement du propriétaire.
"UN PROBLÈME DE LIBERTÉ PUBLIQUE"
Actuellement, Google comme les Pages Jaunes ne demandent pas l'autorisation des propriétaires d'immeubles, partant du principe que les photographies sont prises depuis l'espace public et n'enfreignent donc pas le respect de la vie privée. En pratique, ce n'est toutefois pas aussi simple. Lors du lancement de Google Street View, des internautes ont rapidement repéré des images litigieuses : photographies qui laissent voir un intérieur à travers une fenêtre ouverte, visages de passants, voire personnes sortant de sex-shops. Depuis, le moteur de recherche floute de manière automatique – et donc partiellement efficace – les visages ou plaques d'immatriculation, et floute également certaines images sur demande.
Cette politique n'est pas admissible pour Jean-Christophe Lagarde. "On inverse la charge de la preuve : il n'est pas normal que ce soit au citoyen de demander qu'on arrête de violer sa vie privée. Alex Türk, le président la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), souhaite d'ailleurs auditionner la commission des lois sur ce sujet : c'est un problème de libertés publiques." En pratique, si le texte était voté tel quel, la quasi-totalité du contenu de ces services se retrouverait hors-la-loi.
A l'heure actuelle, le droit français considère pourtant qu'en matière d'image, c'est au citoyen de faire la preuve du préjudice. "La jurisprudence actuelle prévoit que c'est au propriétaire d'un bien de prouver que la publication qu'une photographie de ce bien lui cause un 'trouble anormal', depuis un arrêt de la Cour de cassation datant de 2004", explique Joëlle Verbrugge, avocate et auteure d'un blog sur le droit et la photographie. "Le droit prévoit un équilibre entre le droit à la vie privée, et le droit à l'information et la liberté d'expression artistique. Si je souhaitais aujourd'hui faire retirer une photo de ma maison de Google Street View, il faudrait à la fois que je démontre que je subis un préjudice, et il faudrait que le tribunal estime que ce service n'entre pas dans le cadre du droit à l'information."
AUTOMATISATION DES IMAGES
A l'inverse, si la proposition de loi de M. Lagarde était adoptée, y aurait-il un risque que les photographes doivent demander systématiquement l'autorisation des propriétaires pour prendre des bâtiments en photo ? "Ce n'est pas du tout le même débat", estime le député. "Ce qui pose problème avec ces services, c'est leur aspect automatisé, et leur association avec un moteur de recherche. Si un photographe publie une image de votre maison sur Internet, il est quasiment impossible de savoir qu'il s'agit de votre habitation. Je ne suis pas opposé à la vidéosurveillance car les images sont uniquement accessibles à des personnes habilitées. Mais là, tout le monde peut avoir accès à toutes les informations."
Pour l'instant, la proposition de loi n'a pas été cosignée par d'autres députés, et M. Lagarde juge qu'elle peut être complétée et améliorée. Il se félicite toutefois qu'elle permette de "lancer un débat". "Notre société est fascinée par la technologie, et moi aussi. Mais il me semble que nous ne réfléchissons pas suffisamment aux conséquences que peuvent avoir ces nouveux outils", estime-t-il.
Sollicité par le Monde.fr, Pages Jaunes n'a pas souhaité commenter cette proposition de loi.
Damien Leloup
mercredi 2 décembre 2009
Peut-on interdire à Google de photographier votre maison ?#
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