TOUT EST DIT

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samedi 31 octobre 2009

Taxer les banques ? Non, mais...

Adresse aux députés et sénateurs : ne taxez pas les banques, mais facturez-leur le coût de la garantie des dépôts.
Ces jours-ci, les députés débattent de la taxation des banques, au motif de 1) leur responsabilité dans la crise, 2) leur retour spectaculaire aux profits. Je crois que les parlementaires ont mal posé la question, et donc apportent des mauvaises solutions.

Plutôt que d’augmenter une seule année l’Impôt sur les Société (amendement Migaud) pour les banques, il existe une bien meilleure façon de « faire payer les banques », en leur tarifant à un prix de marché l’assurance implicite de l’État sur les dépôts.

Augmenter l’IS une seule fois est éminemment discriminatoire. Pourquoi les banques, alors qu’elles ont déjà commencé à remboursé les prêts aidés consentis il y a une ? Pourquoi les constructeurs d’automobiles, qui ont pourtant reçu 6 Md€ de l’État (non remboursés jusqu’ici) ne sont pas concernés ? Pourquoi l’IS ? Pourquoi une seule fois ? S’il y a quelque chose à redresser, pourquoi seulement en 2010 ? On le voit bien, l’amendement Migaud est une mesure de circonstances, qui en outre frappe les banques juste au sortir de la crise, ce qui probablement n’est pas une bonne idée, dans la mesure où elles ont probablement encore des actifs toxiques sur leurs bilans.

La bonne solution est de taxer les rentes de situation des banques . À la différence de l’amendement Migaud (NB : Le paragraphe qui suit est une version remaniée d’un article dans ma chronique des Echos de septembre. Comme l’amendement Migaud montre que les députés ont de bonnes idées mais pas la bonne solution, je me permets de leur écrire ce billet), ceci est conforme à l’efficacité économique (dit de manière abrégée, il est optimal d’éliminer les rentes, pour augmenter la création de richesse). La plus importante rente des banques réside dans l’assurance quasi-gratuite par l’État des dépôts à vue. Depuis les années 1930, les États garantissent les dépôts à vue des épargnants auprès des banques pour éviter les faillites bancaires en chaîne. C’est une excellente mesure. L’Angleterre n’avait pas –curieusement- une telle protection des dépôts jusqu’en 2008 ; c’est ainsi qu’on vit en 2008 des queues d’épargnants espérant retirer leurs dépôts avant la faillite crainte de Northern Rock.
Il est donc complètement légitime –et efficace- que les États assurent les dépôts auprès des banques. Mais à quel prix facturer cette assurance ? Les banques (en France, et dans une moindre mesure dans les autres pays) ne payent presque rien pour cette assurance essentielle à leur survie. En France le Fonds de Garantie des Dépôts (FGD) assure ces dépôts à vue - 1200 milliards € (Md€) - avec, en face, des réserves de 1,7 Md€ (0,14% du montant !), abondées par une cotisation annuelle des banques de 80 millions € (soit 0,007% des dépôts !).

Évidemment, cette assurance seule est insuffisante. Si assurance il y a, c’est parce que nous savons tous qu’en cas de faillite d’une banque, nos dépôts seront garantis directement par l’État et non par les maigres réserves du FGD ! Le FGD permettrait d’assurer les épargnants contre la faillite isolée d’une petite banque régionale, mais pas d’assurer l’ensemble du système bancaire français, en temps de crise systémique comme en 2008 ! Les banques françaises ne payent pas donc cette garantie implicite, sur laquelle pourtant elles prospèrent ! Ceci explique une partie importante des « surprofits » des banques.

Proposition de réforme
La bonne réforme est de tarifier cette assurance à un coût approprié. Le problème est que ce tarif est difficile à mesurer : sans garantie de l’État, il n’y aurait plus de banques en temps de crise. L’État est donc le seul à pouvoir fournir l’assurance contre les crises systémiques, nous ne pouvons donc pas dériver du marché le prix de cette assurance.

Le coût de la liquidité pour les banques se décompose de :
· la liquidité elle-même (aller chercher les dépôts auprès des épargnants en construisant et exploitant des agences bancaires, ainsi que le réseau des paiements) ;
· du prix de l’assurance qu’ils doivent fournir à leurs épargnants pour les assurer qu’il n’y aura pas défaut.

Aujourd’hui, les banques payent une prime d’assurance de 0,007% par an (80 millions € par an pour des dépôts de 1200 Md€). C’est évidemment ridicule pour une assurance contre le risque systémique (qui par nature est rare mais violent). Une analogie : assurer sa maison contre les catastrophes naturelles coûte significativement plus cher à San Francisco qu’à l’intérieur des États-Unis (à cause des risques de tremblement de terre) et pourtant les grands tremblements de terre (Big Ones) arrivent moins souvent que les grandes crises bancaires. Alors, il n’y a pas de raison de ne pas faire payer aux banques ce risque de crise systémique, certes rare mais coûteux.
La BCE nous fournit une indication sur la tarification de ce risque. À côté de son taux central (taux refi, aujourd’hui à 1%) que tout le monde regarde, il existe un taux bas, dit ‘facilité de dépôt’ qui est le taux auquel les banques qui ont trop de liquidité par devers elles peuvent prêter à très court terme à la BCE. Ce taux, en général 1% en dessous du taux refi (Il est en ce moment, et de manière exceptionnelle, à 0,25%, alors que le taux refi est à 1%), mesure le taux auxquels les banques peuvent trouver un investisseur SANS RISQUE à très court terme pour leur liquidité excessive. Ce taux de facilité de dépôt est en un sens le meilleur prix pour les banques d’une garantie complète et sans risques de leurs liquidités, étant donné l’environnement de marché. Le taux de la facilité de dépôt mesure bien la garantie complète de remboursement, sans la liquidité (puisque dans ce cas ce sont les banques commerciales qui la fournissent). Or c’est bien ce prix que nous cherchons ici pour la garantie des dépôts des épargnants auprès des banques. Trouvons donc quelque chose d’analogue pour notre cas.

Je suggère donc l’on tarifie l’assurance des dépôts des épargnants en fonction du taux de facilité de dépôt. Comme il faut que les banques puissent couvrir leurs coûts de collecte des liquidités auprès des épargnants (entretien du réseau d’agences bancaires), on peut envisager un taux d’assurance de 0.50% à 1.0% en dessous du taux de la facilité de dépôt (Si l’on craint que la BCE ne manipule le taux de la facilité en le laissant trop bas pour aider les banques, ont peut envisager une formule du type : taux refi – 1.50% ou taux refi – 2.0%).

En moyenne sur un cycle économique, le taux de la facilité de dépôt est d’environ 2%. Comme les dépôts à vue en France sont de 1 200 Md€, la tarification de la garantie des dépôts à 1% rapporterait en moyenne 12 Md€ par an (0.6% du PIB). Avec un taux de 1.5%, on obtiendrait 18 Md€ (0.9% du PIB). En pratique, chaque banque paierait sa prime d’assurance à l’État une fois par mois, en prenant en compte le montant moyen des dépôts chez elle le mois précédent du mois, et le taux de la facilité de dépôt de la BCE ce moi-là.

L’avantage de ce mécanisme est multiple :
· Il réduit une rente patente des banques, ce qui permettra à la fois une meilleure efficacité économique et la réduction des « surprofits » des banques.
· Cette prime d’assurance serait contra-cyclique (les banques paieraient beaucoup en phase de croissance et rien en récession). Les banques prendront moins de risques en période de boom, et plus en période de ralentissement.
· Ainsi, au vu des taux probables de la BCE, les banques ne paieraient rien en 2009 et en 2010. Mais elles commenceraient au sortir de la récession, en 2011.
· Cette prime permet à l’État de faire payer sur long terme aux banques les coûts massifs des crises bancaires qui arrivent une fois par génération.
· Les gains pour les finances publiques seraient non-négligeables : 12 à 18 Mds€ par an !
· Il n’y a aucun risque de délocalisation ; cette prime d’assurance concerne l’épargne déposée en France. Une banque qui irait mettre son siège social à Londres ou Genève devrait quand même payer cette prime pour les dépôts en France. On ne peut pas délocaliser les dépôts à vue des épargnants.
· Cette mesure n’est pas obligatoire (à la différence des différentes taxes discutées aujourd’hui au Parlement) et n’entre pas dans le périmètre des Prélèvements Obligatoires. Une banque qui ne voudrait pas payer cette assurance le pourrait, si, bien sûr, elle annonce à ses clients que leurs dépôts ne sont pas assurés par l’État. Nul que doute que très peu, voire aucun, des déposants ne l’accepterait.
· Ce serait un bon moyen de mesurer l’attachement des dirigeants de banques envers l’économie de marché et la lutte contre les rentes, qui pèsent sur notre croissance.

En pratique, je ne prétends évidemment pas avoir la meilleure solution quant à la bonne tarification de l’assurance des dépôts, mais je pense que c’est un bon débat à lancer. Je suggère aux parlementaires (et à Bercy) de lancer le débat sur cela et de lancer une étude académique sur ce thème, avec pour objectif une réforme en 2010. Un indice, le Professeur Charles Calomiris, de Columbia University, est un grand spécialiste de la tarification de cette assurance.
JACQUES DELPLA

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