TOUT EST DIT

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jeudi 18 juin 2009

Sarkozy est-il dépassé ?

Etat de disgrâce. Il se bat avec son punch habituel, mais la belle machine sarkozyenne semble se dérégler sous la tempête financière. Enquête.
Dans la tourmente, le capitaine maîtrise-t-il la situation ou est-il dépassé par les événements ? Nicolas Sarkozy, par moments, semble déstabilisé, voire décrédibilisé. Certes, on lui concède toujours toutes sortes de qualités : énergie, courage, audace, réflexe, intuition... Ses réactions lors de la crise financière ou pendant la présidence française de l'Europe ont été saluées par tous. Aujourd'hui encore, il se bat dos au mur avec son punch habituel. Et pourtant, quelque chose ne tourne plus rond, comme si le chef de l'Etat avait perdu la main, comme si la belle machine sarkozyenne était détraquée. Le wonder boy de la politique, qui, après une campagne menée à tombeau ouvert, était entré à l'Elysée au premier essai, suscitant un état de grâce magistral, avant de plonger puis de resurgir, fait désormais pâle figure. C'est entendu : la crise est passée par là, qui plombe son image et son action. Mais les conditions économiques n'expliquent pas tout. Les choix du président, sa méthode, son style suscitent le doute, quand ce n'est pas de l'irritation, jusque dans les rangs de la majorité. Ces derniers mois ont en effet jeté une lumière crue-et parfois cruelle-sur l'hôte de l'Elysée, mettant en évidence ses faiblesses spécifiques.

La casse des ministres

Avec la crise et l'impopularité, les réformes deviennent plus ardues à faire passer. Or, au lieu de conforter ses ministres en difficulté, il les déstabilise en les désavouant de manière plus ou moins explicite. Cela a commencé par Xavier Darcos et les lycées. Deux suppléants-Richard Descoings et Martin Hirsch-lui ont été adjoints pour régler-ou enterrer ?-le problème. Exit le chouchou Darcos comme pilier du gouvernement. Idem pour Valérie Pécresse, quasi dessaisie de son dossier, pour Fadela Amara, à qui on adjoint Yazid Sabeg, pour Yves Jégo, qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Christine Albanel a appris en même temps que la presse la suppression de la publicité à la télévision, Eric Woerth les dernières mesures fiscales, Rachida Dati la suppression du juge d'instruction. Les colères présidentielles contre les ministres, « tous des nuls » , minent leur autorité. Des membres de gouvernement si affaiblis ne peuvent constituer un bouclier efficace pour le président. Du coup, il prend de plein fouet l'impopularité de l'exécutif. A cela il rétorque : « Ne vous en faites pas. On fait le boulot. L'impopularité, on n'y succombe pas. On verra où on en est dans trois ans. » Un pari.

L'exercice solitaire du pouvoir

« Si je ne fais pas tout moi-même, ça mer... » Ainsi Nicolas Sarkozy résume-t-il son attitude vis-à-vis de tous ceux qui pourraient faire le travail à sa place. Il a un goût immodéré pour la mise en scène personnelle, s'exposant sur tous les sujets, du plus modeste au plus noble. Il décide de tout, réduisant Matignon à une antichambre humiliante, salle d'attente précédant les arbitrages de l'Elysée. Les nominations, les déplacements, les annonces se succèdent à un rythme effréné. « Il en est devenu anxiogène au lieu de rassurer » , dit un de ses amis. Sous la Ve République, tous les présidents ont en réalité détenu l'essentiel du pouvoir. Mais ils étaient moins « agités », comme aurait dit Giscard. Cet activisme de Sarkozy l'avait servi comme candidat. Il le dessert sans doute comme président. Lui le nie : « Les Français veulent me voir à la barre . » Quitte à tanguer dangereusement.

Trop de réformes tuent la réforme

A vouloir tout entreprendre en même temps-une stratégie mûrement réfléchie-, on prend le risque de tout faire plus ou moins échouer. Les nerfs des catégories concernées sont à cran, tout autant que ceux des parlementaires pressés par l'Elysée d'en finir au plus vite, pour pouvoir passer à autre chose. Au départ, l'opinion a vaguement le tournis, mais contemple le spectacle plutôt épatée. Après les premières rebuffades et des compromis peu glorieux, le jugement se retourne. N'en fait-il pas trop, trop vite ? D'autres ont su laisser du temps au temps. Bilan de cette précipitation : Sarkozy est contraint de laisser un espace de discussion plus long que prévu, que ce soit pour les lycées, l'université ou les DOM-TOM. Le président, pourtant, n'en démord pas : « Donner du temps au temps, c'est l'argument de ceux qui ont renoncé à tout. Il faut agir. Tout se construit sur la fulgurance. » Avec ses retours de bâton...

Le vrai-faux calmant de la dépense

La paix sociale se paie. L'addition commence à se faire lourde. Certains hommes d'affaires parmi ses proches estiment qu'il a déjà trop dépensé : « Vu les mois épouvantables qui sont devant nous, Nicolas aurait dû attendre avant de lâcher. Il a cédé trop vite aux revendications sociales. » Résultat, il ne contente vraiment personne : les plus démunis pour qui l'on n'en fait jamais assez, et les décideurs économiques qui sont affolés par le dérapage des déficits et de la dette (voir graphiques) . Lui pense qu'il a tenu les cordons de la bourse relativement serrés : « On ne distribue pas le pognon qu'on n'a pas. » Question de point de vue. Certains, dans les rangs de la droite, lui reprochent un début de laxisme, voire une « chiraquisation ». François Bayrou fait de la question de la dette un point clé de ses futures campagnes. Tout dépend du moment où la reprise s'annoncera enfin. A temps pour éponger les déficits les plus criants ?

Le contre-pied idéologique

Nicolas Sarkozy s'est fait élire sur des postulats positifs : la croissance permettrait de travailler plus pour gagner plus, sur fond de libération des énergies, de récompense du mérite et de modernisation libérale du système. Patatras ! La crise l'induit à se faire le héraut d'une société d'assistanat et de dépenses publiques à tout-va prodiguées par un Etat soudain réhabilité. Il a du mal à convaincre, tant sa conversion apparente a été brutale. Il peut même irriter au plus haut point ses meilleurs soutiens : « Son histoire des trois tiers [partage des dividendes entre salariés, actionnaires et investissement] a rendu les responsables d'entreprises furieux, explique un député UMP. Ils ont l'impression d'un changement de régime. » Une « trahison » qui trouble les siens, mais qui n'est qu'apparente. Signe qu'il n'est pas vraiment « converti » à des idées sociali- santes, il plaide en privé pour une nouvelle forme de titrisation : « Les subprimes ont été une catastrophe. Il ne faut pas recommencer cette expérience. Mais la titrisation est essentielle pour l'économie. Elle est au coeur du dispositif. Sans elle l'économie mondiale ne peut pas marcher. La surface de prêt des banques doit être décuplée. C'est pourquoi il faut réinventer une titrisation vertueuse. » Pour l'instant, il n'a pas trouvé la formule, et le système bancaire semble gelé. « Magic Sarko » n'a pas pu opérer.

Le coût du mépris

Sarkozy ne peut s'empêcher de montrer son peu de considération pour de nombreuses catégories sociales : les banquiers (qu'il a traités de tous les noms depuis la crise), les militaires, les enseignants, les théâtreux, les fonctionnaires, les écrivains, les journalistes, qu'il a assaisonnés au gré des événements, répandant le ressentiment. Sa hargne n'épargne pas son propre entourage, qui subit ses colères quotidiennes contre le « boulot mal fait » . Même Claude Guéant en prend sa part. Si les conseillers se sont habitués à être rabroués par le chef, certains lui en veulent secrètement. Ce ne sont pas les meilleurs avocats du président.

L'usure de la com'

Jusqu'il y a peu, Nicolas Sarkozy pouvait compter sur la magie de son verbe. Il parlait et tout s'arrangeait. Aujourd'hui, s'il suscite toujours assez d'intérêt pour réunir des audiences flatteuses (respectivement 15 et 17 millions de téléspectateurs lors de ses deux dernières émissions de télévision), il ne parvient pas à retourner l'opinion. Les sondages défavorables succèdent régulièrement aux prestations médiatiques. « Le risque, estime le député villepiniste Hervé Mariton, c'est qu'il finisse par provoquer l'indifférence. » D'autant que les formules choisies pour faire passer des messages au pays sont contestables et contestées : interviewers trop mous, prompteurs mal déchiffrés, absence de conférence de presse ou de toute confrontation directe-et risquée-avec la presse. D'où un certain ennui et une perte d'impact... Le président, lui, persiste et signe, pensant toujours qu'il est le meilleur avocat de sa propre cause. Au royaume des aveugles...

La culture de la provocation

On ne sait s'il le fait exprès ou non, si ce sont des gaffes ou des flèches, mais avec Sarkozy les mots fusent. Et font parfois beaucoup de mal, mettant en péril ses objectifs. La saillie la plus spectaculaire de ces dernières semaines a visé les enseignants-chercheurs. « A budget comparable, un chercheur français publie de 30 à 50 % de moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs. Evidemment, si l'on ne veut pas voir cela, je vous remercie d'être venus, il y a de la lumière, c'est chauffé... » Ces propos, tenus le 22 janvier à l'Elysée, ont ulcéré le milieu universitaire, qui s'est senti humilié. Cette provocation a coûté cher au chef de l'Etat : la réforme du statut des enseignants-chercheurs a soudain été rejetée en bloc, même par les présidents d'université à qui elle donnait le pouvoir. Mais le chef de l'Etat ne résiste pas à dire le fond de sa pensée. Comme si cela le soulageait de ne rien dissimuler. Ainsi a-t-il lancé des phrases imprudentes comme : « Désormais, quand il y a une grève, personne ne s'en aperçoit » (il a admis l'avoir regrettée) ou « J'écoute ce qu'on me dit mais je n'en tiens pas compte » (il a dû se contredire ensuite), ou encore « On dit omniprésident. Je préfère qu'on dise ça plutôt que roi fainéant : on a connu... » (mettant en fureur tous les chiraquiens et consternant ses propres amis par son indélicatesse). A un secrétaire national de l'UMP qui faisait remarquer à un proche collaborateur du président qu' « un changement de méthode est indispensable, sinon il sera obligé d'en rabattre sur le fond », il a été répondu : « Les aspérités font partie d'un ensemble qui va avec le volontarisme de Nicolas Sarkozy. » Il ne changera donc pas. A ses risques et périls.

Le mépris des codes

C'est aussi une marque de fabrique du chef de l'Etat. Il pense utile de bousculer les usages selon lui désuets, quitte à être à la limite de la correction. Là aussi, dernier exemple en date, sa déclaration sur la saisine de la Commission de déontologie au sujet de la nomination du secrétaire général adjoint de l'Elysée, François Pérol, à la tête du nouvel ensemble formé par la réunion des Caisses d'épargne et des Banques populaires. A Rome, lors du sommet franco-italien du 24 février, Nicolas Sarkozy déclare devant la presse : « La Commission de déontologie a donné son point de vue. Il sera rendu public et vous verrez qu'une fois de plus, c'est la différence entre une polémique et un problème. De problème, il n'y en a pas. » Le hic, c'est que la commission, formellement, n'a pas été réunie. Seul son président a donné un avis personnel. D'où une polémique, pour le coup, dont se sont emparés tous les adversaires du chef de l'Etat, PS et MoDem en tête, portant préjudice à François Pérol, dont la nomination est entachée d'un soupçon d'illégalité. Cette désinvolture de Sarkozy à l'égard de règles selon lui par trop contraignantes le fait apparaître comme un dirigeant non respectueux des lois de la démocratie. Lorsqu'il critique une décision du Conseil constitutionnel sur les récidivistes, lorsqu'il met en cause l'impartialité du CSA en dénonçant l'hypocrisie de ses décisions passées, lorsqu'il fait la leçon aux parlementaires chaque fois qu'il les reçoit, il secoue le cocotier institutionnel, se créant nombre d'ennemis au passage. Sa désinvolture ne se limite pas à ce genre de mise en cause. Il « oublie » de faire prévenir des députés de sa venue chez eux, il lance l'idée de supprimer la taxe professionnelle sans avoir étudié sérieusement son remplacement, il annonce la suppression de la pub à la télé sur un coup de dés un jour de voeux... Vogue la galère, et tant pis si les grincheux râlent.

Une ouverture à double tranchant

L'arrivée de personnalités de gauche au gouvernement a été mal ressentie par beaucoup de sarkozystes historiques, créant un malaise. La persistance de cet objectif, à l'heure de la crise, est encore plus mal vécue. D'autant que les postes disponibles ne sont pas légion et les postulants à un portefeuille avant la fin du quinquennat de plus en plus nombreux. Les déçus sont tentés de se rapprocher de Jean-François Copé, qui se fait fort d'accueillir les orphelins du sarkozysme, évidemment pas pour leur vanter les mérites du régime. Autre forme d'« ouverture » risquée, celle aux minorités visibles. Rachida Dati a explosé en vol, Rama Yade est en disgrâce, Fadela Amara est à la peine... Encore des places « volées » à des mâles blancs et de moins en moins dans la ligne....

L'arrogance vis-à-vis de l'étranger

Le couple franco-allemand est en froid, les Britanniques vexés par les propos de Sarkozy sur l'inutilité de la baisse de la TVA et l'anéantissement de l'industrie au Royaume-Uni, les Tchèques furieux que le président fustige les délocalisations chez eux... Le chef de l'Etat a marqué des points pendant la présidence française, mais en a reperdu depuis par sa manière cavalière de parler de ses voisins. Ceux-ci sont exaspérés par les prétentions de l'hôte de l'Elysée à régenter le destin européen à sa façon. Ce n'est pas toujours la meilleure méthode pour obtenir des compromis favorables à la France.

Malgré tout, Nicolas Sarkozy garde le moral. Au point de préparer sa réélection, quoi qu'il en dise. Lors de son émission de télévision du 5 février, il a parlé de son « premier mandat » ... Et il analyse ses 37 % d'opinions favorables dans notre dernier baromètre Ipsos comme étant moins un désaveu qu'un excellent score de premier tour au scrutin suprême. Il rencontre des obstacles, commet des maladresses, change d'idée sous prétexte de pragmatisme, plie mais ne rompt pas. La rupture ? C'était hier. Vivement demain ! Comme disait Talleyrand, « en politique, il n'y a pas de convictions, il n'y a que des circonstances » . Sarkozy le bonapartiste ne le renierait pas.

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