TOUT EST DIT

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samedi 16 mai 2009

Eurovision: Patricia Kaas est-elle plus forte que la statistique?

Levons d'emblée le suspense. Patricia Kaas, la candidate choisie pour représenter la France, a peu de chances de remporter le concours de l'Eurovision. Les fameux « twelve points » iront sans doute à l'Arménie. C'est en tous cas le pronostic des économistes et des statisticiens.

On croyait que les économistes ne s'intéressaient qu'à la croissance. Faux ! L'eurovision est devenue en quelques années, leur nouveau terrain de jeu. Et pour cause : l'écart de performance entre l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest lors du concours ressemble à s'y méprendre à une « anomalie de marché ».

Cinq des six pays les mieux notés en finale depuis 2004 sont des pays de l'Est : l'Ukraine, la Russie, la Serbie, la Turquie, et la Bosnie. A eux seuls, ces cinq pays concentrent un tiers des points distribués par le public sur la période récente. A l'inverse, les pays d'Europe de l'Ouest se disputent les dernières places. La France n'a reçu que 122 points au cours de ses cinq dernières participations, soit en moyenne 24 points par prestation. Le Royaume-Uni fait pire avec 105 points. La Belgique et les Pays-bas ont reçu, quand à eux, moins de 10 points depuis 2004 !
L'eurovision en chiffres

450000 euros, c'est le montant de la dotation Française à l'Eurovision. Membre fondateur du concours, la France fait partie des trois plus gros contributeurs.

160 millions. C'est le nombre de téléspectateurs suivent le programme sur le Vieux continent.

8,8 millions. C'est le nombre d'appels téléphoniques et de SMS reçus lors de la finale 2008. Un chiffre en hausse de 22% par rapport à 2004.

30000 à 40000 euros. Ce sont les recettes générées par les appels téléphoniques en France. France Télévision perçoit 25% de cette somme.

Derek Gatherer, chercheur à l'université de Glasgow, s'est penché sur le sujet au début des années 2000. « A l'époque, mes collègues français, espagnols et britanniques trouvaient les résultats des votes de plus en plus bizarres, alors j'ai créé un modèle pour vérifier », explique-t-il. Très vite, les travaux de Derek Gatherer donnent raison à ses confrères : la plupart des votes observés le soir de la finale du concours ont une probabilité très faible de se produire : entre 1% et 5%.

L'explication ne tarde pas à venir : certains pays ont une préférence très marquée - et souvent réciproque - pour d'autres. Le Belarus par exemple, donne systématiquement 12 points (la meilleure note) à la Russie depuis 2004. La Grèce et Chypre s'offrent 12 points chaque année. La Croatie récompense toujours grassement la Bosnie. Et inversement. La France elle aussi, a ses préférences : elle donne à chaque fois des notes très élevées à l'Arménie et à la Turquie. « Aujourd'hui, un tiers des votes est parfaitement prévisible », affirme Derek Gatherer. Du coup, grâce à son modèle, il a pu prédire la victoire de la Serbie en 2007 avec plusieurs mois d'avance !

Le concours de l'Eurovision est-il donc joué d'avance, voire truqué ? « Attention aux amalgames », tempère Farid Toubal économiste à l'Université de Paris 1. « Les échanges de votes lors de l'Eurovision reflètent en partie la proximité culturelle de tel ou tel pays. Cela n'a rien d'anormal. La proximité culturelle explique aussi une partie des échanges commerciaux ». Mais, plus ennuyeux, les études économétriques mettent en évidence un « vote politique ». « Sur la période 1975-2003, les échanges de votes entre les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) restent anormalement forts, même une fois corrigés des effets culturels », confirme Laura Spierdjik, économiste de l'université de Twente aux Pays-Bas. Parfois, les humeurs politiques sont telles qu'il n'y a pas besoin d'études pour les mesurer. Ainsi, la Grande Bretagne, fraîchement entrée dans le conflit irakien, n'a marqué aucun point lors de la finale 2003 ! Une véritable gifle. Et en 2005, en plein débat sur le plombier polonais et la directive Bolkestein, la France n'a reçu que 11 points. « Deux arènes coexistent lors de l'Eurovision », conclut Derek Gatherer : l'une musicale, l'autre politique. Pour compliquer le tout, la religion joue aussi un rôle : l'Irlande (catholique) et le Chypre (orthodoxe) offrent plus de points aux pays qui partagent la même religion, constate Laura Spierdijk, travaux économétriques à l'appui.

Au final, une question se pose : les notes reflètent-elles encore la qualité de la chanson ? Dans le doute, l'Union Européenne de Radio-télévision - l'organisateur de l'Eurovision - vient de modifier le système de vote. Cette année, le public ne comptera que pour moitié dans la note finale. L'autre moitié sera laissée à l'appréciation d'un jury de professionnels. Mais il n'est pas sûr que la France en profite. Derek Gatherer a déjà fait tourner son modèle. Et le verdict est sans appel : c'est l'Arménie qui remportera le concours.

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