TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

samedi 14 juin 2014

Le coup de tonnerre de l’indépendance


Le contrat de vente de bateaux à la Russie a été voulu comme un argument de paix en Europe. Sur ce point, la diplomatie Hollande-Fabius poursuit celle de Sarkozy.
Au moins, la diplomatie française tient bon. « J’ai rappelé que nous étions indépendants », dit Laurent Fabius, qui a assisté aux rencontres entre Hollande et Obama, Hollande et Poutine. Un rappel qui n’est pas du goût de la présidence américaine. On a compris que Barack Obama avait des élections intermédiaires au mois de novembre ; doit-il, pour échapper à une défaite qui va lui compliquer sérieusement la fin de son mandat, rallumer la guerre froide ? Le voilà qui fait presque le parallèle entre l’annexion de la Crimée par Poutine et l’invasion de la Pologne par Hitler. Hillary Clinton, ancien chef du Département d’État et candidate à la candidature démocrate en 2016, avait déjà assimilé le comportement de Poutine à celui de Hitler. « On ne se dispute pas avec une femme », a répondu Poutine à Europe 1 et TF1 (et non pas “on ne discute pas”). La presse nord-américaine se déchaîne. Un éditorialiste du Globe and Mail dénonce une « cinquième colonne de Poutine », en présentant la droite européenne, et notamment les Français, comme des agents de l’ennemi.
Le 5 juin dernier, jour de l’arrivée de Barack Obama à Paris, le Wall Street Journal titre en page une : « La France pousse sa vente de navires de guerre » — sous-entendu : à la Russie. Comme si la France menaçait la paix du continent. Or, c’est rigoureusement le contraire : ce contrat a été voulu comme un argument de pacification de l’Europe. Un point sur lequel la diplomatie de François Hollande, dirigée par Laurent Fabius, poursuit la politique de Nicolas Sarkozy, et pour les mêmes motifs.
Cela remonte à l’été 2008, quand la Russie et la Géorgie entrent en conflit et que Sarkozy prend l’initiative d’une médiation qui aboutit à un cessez-le-feu. Mais ce plan a besoin d’être consolidé. Sarkozy rencontre donc Dmitri Medvedev (alors président de la Russie, Poutine étant dans son ombre) à Moscou, puis à Évian, le 8 octobre, en marge de la World Policy Conference. C’est là que le Français propose au Russe de lui vendre, en contrepartie de la paix, ce que les chantiers navals français font de mieux et de moins cher, en matière de navire de transport d’assaut : le bâtiment de projection et de commandement (BPC) de la classe Mistral.
Un bateau de 21 000 tonnes qui fait l’admiration de la marine russe parce qu’il peut tout faire : transporter des chalands de débarquement, des blindés, des hélicoptères, plusieurs centaines d’hommes. La Marine nationale en exploite alors deux (le Mistral et le Tonnerre) ; depuis, elle en a trois (avec le Dixmude). On ouvre une négociation. Deux ans après, en juillet 2010, Sarkozy annonce aux 2 000 ouvriers des chantiers de Saint-Nazaire qu’ils vont en construire deux pour les Russes, qui en fabriqueront deux autres à leur tour. Le 17 juin 2011, le contrat de 1,2 milliard d’euros est signé à Saint-Pétersbourg en marge d’un forum économique.
Au même moment, nos deux BPC démontrent leurs capacités en Méditerranée durant la guerre contre Kadhafi. Or déjà, les Américains font savoir leur hostilité à cette vente. Il n’y a pourtant de crise ni en Ukraine ni ailleurs. Question de principe : les Français en font trop, et trop librement. « La guerre froide est terminée, réplique Sarkozy, le temps est venu de considérer la Russie comme un pays ami et de réfléchir avec elle à la constitution d’un vaste espace de sécurité et de prospérité… »
Ce climat se dissout dans le chaos ukrainien et la prise de gage russe en Crimée. Obama monte sur ses grands chevaux, décide que Moscou doit être sanctionné, qu’un embargo sur les livraisons d’armes doit lui être appliqué et que les Français devraient donc casser leur contrat sur les Mistral ! Or, c’est la seule carte dont dispose la France pour se faire entendre. Fabius est d’autant plus fougueux dans ses déclarations pro-ukrainiennes qu’il veut amener Poutine à plus de conciliation grâce au contrat des bateaux. En même temps, que doivent les Français à Obama ? Il les a très vite laissé tomber lors de l’engagement en Libye ; il les a plaqués au moment où leurs avions étaient prêts à décoller pour aller punir Bachar al-Assad ; et il les a regardés intervenir au Mali et en Centrafrique…
Quand Barack Obama vient présenter, le 3 juin, à Varsovie, son « initiative » de renforcement de la sécurité sur le continent en disant aux Européens : “Allez-y, renforcez-vous”, les Français le prennent au mot : “Alors, laissez-nous faire.” Fabius confirme (sur iTélé et Europe 1) que les Mistral seront livrés et que les marins russes sont attendus à Saint-Nazaire ce mois-ci pour s’y entraîner. Les Américains voudraient-ils faire payer cette indépendance par BNP Paribas ? Là aussi, il y a une négociation en cours sur le traité transatlantique. L’indépendance appelle la réciprocité.

0 commentaires: