TOUT EST DIT

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mardi 13 mai 2014

CDI, temps de travail, smic et fiscalité des comportements : ces rigidités françaises qui coûtent tellement cher à ceux qu’elles sont censées protéger


Censées être des acquis sociaux au départ, les réglementations autour du monde de travail étouffent l'activité économique et desservent indirectement les premiers concernés que sont les salariés. Des sujets que le Premier ministre Manuel Valls, invité au 20h de TF1 du dimanche 11 mai, aurait été inspiré d'aborder.

Le temps de travail

Gilbert Cette : dans le domaine du temps de travail, le vrai problème est en France l'extrême complexité du Code du travail en ce qui concerne le droit de la durée du travail. Cela s'explique notamment par la superposition de lois communautaires, donc internationales, à un dispositif français déjà très abondant au niveau législatif. Cette complexité représente pour nos entreprises un coût concret de compréhension et de mise en œuvre qui est certes une aubaine pour la profession de juriste mais qui reste paralysante pour l'ensemble de l'économie et surtout pour les PME. A moins d'être un spécialiste de la question, il est devenu impossible aujourd'hui de comprendre le droit de la durée de travail dans toutes ses subtilités. Une fois que ce constat est fait, une réponse reste toutefois à trouver. Dans plusieurs des travaux que j'ai pu mener avec Jacques Barthélemy nous avions tenté l'idée suivante : donner aux partenaires sociaux, au niveau des entreprises et des branches, la possibilité de déroger, par accord collectif et donc désormais majoritaire, à toutes les dispositions spécifiquement nationales (une dérogation au droit communautaire étant évidemment inenvisageable). Au-delà de la simplification que cela pourrait offrir, les partenaires obtiendraient ainsi une plus grande souplesse dans la gestion du temps de travail dans les entreprises. La loi Fillon avait d'ailleurs déjà évolué dans cette direction, puisqu'il est par exemple déjà possible de majorer les heures supplémentaires de moins de 25%, jusqu'à 10%, si un accord collectif le décide. On pourrait néanmoins aller beaucoup plus loin sans affaiblir la protection des travailleurs en favorisant l'extension des possibilités pour les différents acteurs (patrons, syndicats...) de trouver par eux-mêmes le point d'équilibre entre efficacité économique et qualité de vie des employés.

Le SMIC

David Thesmar : On parle là d'une rigidité clairement préoccupante et qu'il suffit de constater en observant simplement la grille des salaires française qui se masse au niveau du SMIC.
Si l'on peut certes comprendre qu'il existe une "contrainte à minima" sur la rémunération des salariés au détriment du profit, on en arrive actuellement à des conséquences perverses en créant une réticence à l'embauche qui n'est pas sans impact sur notre taux de chômage. Ce constat se confirme par l'analyse du taux de chômage en fonction des qualifications, puisque l'on note que les titulaires d'un Bac+2 sont autour de 5% (leurs salaires dépassant ici la contrainte des minimas légaux) tandis que ceux qui ont un niveau inférieur au bac oscillent entre 10 et 15%.
On voit donc bien qu'il y a aujourd'hui deux France, l'une, peu ou moyennement qualifiée qui connaît le chômage, et l'autre, appartenant aux diplômes supérieurs, qui l'expérimente à des taux très marginaux. A tel point que le niveau du salaire minimum en vient à soulever des interrogations de premier ordre.

La fiscalité corrective

(où la manie française de croire que l'impôt est un outil de correction des inégalités)
Gilbert Cette : Dans un récent ouvrage (Changer de Modèle, Odile Jacob 2014) écrit avec Philippe Aghion et Elie Cohen, nous évoquions le besoin de lutter contre les inégalités en agissant autant que possible en amont de l'outil fiscal, notamment en utilisant les politiques favorisant la mobilité sociale. La promotion de la mobilité sociale est pour nous un facteur-clé dans la correction des inégalités. L'usage de l'impôt et de la redistribution est indispensable, mais il s'agit d'un moyen en réalité coûteux, limité, et qui ne parvient qu'à corriger certaines formes d'inégalités. Les politiques fiscales n'en sont pas moins souhaitables dans certains domaines, mais elles ne peuvent devenir l'alpha et l’oméga de la politique sociale. Sans promotion de la mobilité sociale, les inégalités sont plus fortes et plus durables, et la fiscalité ne peut les réduire que faiblement. On peut déjà mobiliser d'importants leviers de mobilité via l'éducation, et ce à tous les niveaux (formation initiale, formation professionnelle) et dans la gestion des minima sociaux qui ne soient pas réduire la mobilité sociale...

Le CDI

Gilbert Cette : Le CDI soulève en fait deux problèmes récurrents. Le premier d'entre eux est ce que l'on appelle la "dualité du marché du travail", à savoir le fait quecertaines protections fortes des CDI (insiders) incitent les entreprises à recourir fortement à des emplois précaires (interim et CDD) qui ne sont que très peu protégés (outsiders). Ce constat n'est pas entièrement faux, mais a besoin d'être élargi à une autre dimension essentielle, à savoir celle de la mobilité sociale (évolution du statut social des individus au cours d'une vie, Ndlr), et en particulier de l'insertion. La question devient alors celle de la facilitation de l'entrée sur le marché du travail de ceux qui ont pour l'instant de grandes difficultés à y entrer (on pense par exemple au chômage des jeunes ou des moins qualifiés). Des dispositifs comme la formation professionnelle (32 milliards d'euros par an, Ndlr), encore insuffisamment réformée suite à la loi de mars dernier et l'accord interprofessionnel de décembre 2013 qui l'a inspirée, pourraient déjà partiellement régler le problème en réussissant concrètement à rendre ces "outsiders" plus attractifs pour le monde de l'entreprise par des formations plus ciblées et actives. Une véritable reforme de la formation professionnelle reste à faire.
Le second problème du CDI relève de la peur des contentieux en cas de licenciements. Les procédures contentieuses sont chez nous longues (par exemple, comparution en première instance près d'un an en moyenne après la saisine du tribunal des prud'hommes), coûteuses, et incertaines. Rappelons que la France est avec le Mexique le seul pays de l'OCDE dans lequel on trouve au sein d'un tribunal des prud'hommes une parité entre les représentants des entreprises et les salariés, sans présence d'un juge professionnel. Cette spécificité renforce l'incertitude sur la décision de justice. Toutes ces difficultés brident surtout les comportements d'emploi des petites et moyennes entreprises. Les procédures contentieuses doivent en conséquence être plus rapides et mieux encadrées, et cela pourrait notamment passer par un recours plus récurrent à la médiation en amont de la saisine d'une juridiction. On peut aussi faire en sorte que la première étape de traitement du contentieux, à savoir la conciliation, soit plus performante, de nombreuses modalités étant à revoir dans ce sens. On devrait par exemple s'intéresser davantage au succès de la réforme de la conciliation qui a été menée au Royaume-Uni dans les années 1990, le taux d'aboutissement des conciliations y étant de 30% contre 8% de ce côté de la Manche. Enfin, pourquoi ne pas autoriser les partenaires sociaux a organiser au niveau des branches le traitement des contentieux par la technique de l'arbitrage ? Ces réformes indispensables faciliteraient les embauches dans les petites et moyennes entreprises qui sont souvent inquiètes de l'épée de Damoclès que représente un contentieux.

La fiscalité du capital

David Thesmar : On trouve généralement que nos entreprises ne créent pas assez d'emplois et plus largement que la France souffre d'un problème d'attractivité en termes d'investissements. A ce titre il est utile de réfléchir à un moyen de rendre le rendement du capital après impôt attractif pour les investisseurs à une époque où le taux d'investissement est loin d'être au plus haut (sept trimestres de recul consécutif en 2013 d'après l'Insee, Ndlr). Le gouvernement actuel, après son élection, est pourtant allé dans la direction opposée à travers deux mesures : l'augmentation de 35 à 38% de l'impôt sur les sociétés et l'augmentation de l'impôt sur le capital à travers la suppression des PFL (prélèvements forfaitaires libératoires). En conséquence il est devenu en France un "mauvais pari" d'investir dans les entreprises, où la pression fiscale s'ajoute au niveau de risque : si vous gagnez vous êtes ponctionné, si vous perdez c'est pour votre pomme. A l'inverse l'investissement dans l'immobilier, moins productif au niveau macro-économique, est de ce point de vue nettement favorisé. La majorité actuelle a pour l'instant choisi de baisser les charges sur les salaires pour relancer l'activité, mais une telle mesure n'aura finalement que peu d'impact (sauf à très court-terme) sur le profit des entreprises qui reste aujourd'hui défini par le poids de l'Impôt sur les sociétés (IS) et de l'impôt sur le capital. La dévaluation fiscale, comme toutes les dévaluations, ne marche qu'à très court-terme et à condition que l'on soit le seul à le faire (alors que tous nos voisins européens s'engagent aujourd'hui dans cette voie). Une réflexion de long-terme étendue aux logiques de l'investissement aurait pourtant bien plus d'impact. Sans perspectives de profits durables, rien de tout cela ne risque cependant de se produire.

Les rentes de différentes natures

Gilbert Cette : Elles peuvent déjà être des rentes éducatives, phénomène que l'on observe très bien en France, où le mode de sélection des élites n'est pas étranger à de telles pratiques. Ainsi les plus hautes-fonctions administratives sont basées sur le résultat de concours réalisés par des personnes qui ont entre 20 et 22 ans. On peut aussi parler de rentes professionnelles dans le cas de certains secteurs d'activités qui sont protégés par différentes barrières (principalement législatives) à leur entrée. Nous avons donc la sélection fermée des élites (ou "logique des grands corps") d'un côté et des professions protégées par le prélèvement de fonds sur l'activité économique de l'autre, et ce sont là deux freins de poids à une croissance qui se refuse toujours à repartir aujourd'hui.

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