dimanche 4 août 2013
La fumée de l'Histoire
La fumée de l'Histoire
C'est un petit pays, l'Uruguay, un si petit pays. Trois millions d'habitants, un gouvernement de centre gauche. Pas de quoi faire trembler un continent. Pas de quoi déclencher une révolution.
Et pourtant, le petit Uruguay vient de prendre une décision historique qui ébranle quarante années de doctrine sécuritaire et inefficace. Par 50 voix contre 46, après quatorze heures de débats passionnés, son Parlement a décidé, non seulement de légaliser l'usage de lamarijuana, mais d'organiser le commerce de cette dernière. « L'État, précise le texte adopté, assume le contrôle et la régulation de l'importation, de l'exportation, de la culture, de la récolte, de l'acquisition, du stockage et de la distribution du cannabis et de ses dérivés. » En clair, les Uruguayens majeurs inscrits sur un « registre des usagers » pourront acheter en pharmacie jusqu'à 40 grammes par mois, seront autorisés à pratiquer l'autoculture jusqu'à six plants par personne, et tous les producteurs professionnels devront vendre leur récolte à l'État. C'est sans précédent, hormis la régie de l'opium qu'avait créée la France au temps de l'Indochine coloniale. Les Pays-Bas tolèrent la consommation de cannabis mais n'ont en rien démantelé le réseau des narcotrafiquants. L'Espagne admet la consommation privée sans but lucratif et se heurte aux mêmes limites. Les États du Colorado et de Washington, aux États-Unis, ont dépénalisé l'usage et la production personnelle, mais se trouvent en contradiction frontale avec la loi fédérale. « Il s'agit, a expliqué le président uruguayen, José Mujica, de réguler un marché déjà existant et de combattre les dealers et le crime organisé. » L'Uruguay accomplit le premier pas (sous réserve que le Sénat confirme ce premier vote). Mais il a derrière lui plusieurs nations latino-américaines, notamment le Guatemala et la Colombie. L'Organisation des États américains a accepté, pour sa part, de mettre la dépénalisation à l'ordre du jour. Otto Pérez Molina, le président du Guatemala, qui ne passe ni pour un tendre ni pour un laxiste, met clairement en cause la politique de la prohibition dont le résultat, dit-il, « est que les cartels ont prospéré, les armes ont inondé nos pays, et les morts se sont accumulés ». C'est Richard Nixon qui avait déclaré la « guerre à la drogue ». Mille milliards de dollars et des dizaines de milliers de morts plus tard, l'échec est total. Les mouvements de menton de nos ministres de l'Intérieur sont parfaitement dérisoires devant la violence et l'insécurité qu'engendre cette obstination. La décision prise par l'Uruguay mérite réflexion.
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