TOUT EST DIT

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mardi 2 juillet 2013

Bonnes (mais toxiques) intentions : la taxation des CDD n’améliorera ni la situation des travailleurs précaires, ni celle du marché de l’emploi


Comme le prévoit l’accord de sécurisation de l’emploi négocié entre les partenaires sociaux en janvier 2013, le fait recourir aux contrats à durée déterminée sera davantage taxé à compter de ce lundi. A compter du 1er juillet 2013, la cotisation patronale à l'assurance chômage sera portée de 4% à 7% pour les CDD d'une durée inférieure à un mois et à 5,5% pour les CDD d'une durée comprise entre 1 et 3 mois.En échange, le patronat réclame 3 mois de cotisations exonérés, pour chaque nouveau CDI. S’agit-il d’un bon compromis ? Pourquoi ?

Eric Verhaeghe : Précisons d'abord que ce ne sont pas tous les CDD qui seront surtaxés, mais seulement les CDD sur des "postes nouveaux", pour aller vite. La nuance est importante parce qu'elle sous-entend plein de choses. 
D'abord une complexité supplémentaire: pour échapper à la taxation, il faut se lancer dans des tas d'explications et de justifications qui me paraissent très contraires au choc de simplification qui devait se produire en urgence pour aider les entreprises, surtout les plus petites. 
Ensuite, dans quel cas une entreprise recrute-t-elle un CDD pour faire face à des missions nouvelles? Le plus souvent, et c'est très vrai dans les TPE et les PME, lorsqu'elle bénéficie d'un nouveau marché ou qu'elle a rentré une nouvelle affaire, sans savoir si cela va durer ni quelles seront ses marges. Le CDD sur un poste nouveau s'explique généralement parce qu'on essuie les plâtres et qu'on n'est pas bien sûr de stabiliser son chiffre dans les mois qui suivent. En ce sens, c'est un outil de flexibilité qui épaule efficacement les stratégies innovantes ou commerciales des petites entités. Imposer une surtaxation sur cet outil est un frein de plus au coup de collier que les entrepreneurs ont envie de donner pour relancer la machine à prospérité.
Entendons-nous bien : je comprends bien l'impératif de rééquilibrage des comptes de l'assurance-chômage. Quand on sait que l'essentiel des inscriptions à Pôle Emploi s'explique par une sortie de CDD, je ne trouve donc pas absurde l'idée de renchérir leur coût. Cela participe d'une gestion intelligente du risque. Simplement, il faut que ce mécanisme s'accompagne de contreparties... qui n'apparaîtront qu'au moment de la renégociation, cet hiver, de la convention d'assurance-chômage. Sur ce point, il faut quand même souligner l'étrange méthode qui consiste à imposer d'emblée des concessions, 4 ou 5 mois avant le début des négociations, aux employeurs. Cela biaise complètement le déroulement même du processus.
Mais qu'importe! vous me demandez si les 3 premiers mois de CDI exonérés de cotisations constituent une bonne contrepartie. Là encore, prenons les choses dans l'ordre. Est-ce parce que les CDD de moins de 3 mois vont coûter plus cher que les embauches en CDI vont se développer? Sauf à laisser penser que l'employeur, de façon déloyale, va recruter en CDI avec la certitude de mettre fin à la période d'essai, ce qui rendra le CDI moins cher que le CDD pour une durée courte, cette idée n'a pas de sens. On ne décide de recruter un CDI plutôt qu'un CDD simplement pour une histoire de 1,5% de surcoût. Le passage au CDI coûte bien plus cher que cela, et je ne vois pas, surtout en l'état de la crise, quelle PME ou quelle TPE décide de recruter un CDI sans une vision à long terme de son activité. Vision que très très peu de patrons ont aujourd'hui.
Gilles Saint-Paul : L'idée de base est qu'une entreprise qui licencie un salarié ne prend pas en compte le fait que ceci représente un coût pour l'assurance chômage. Il y a donc un réel argument économique pour taxer les CDD. Je n'en suis pas moins sceptique quant à cette idée. Les CDD sont le seul moyen actuel pour les entreprises d'embaucher un travailleur à l'essai sans avoir à payer les coûts considérables que représenteraient son licenciement au cas où celui-ci se révélerait  inadéquat.
La prolifération des CDD n'est que le symptôme de la rigidité du marché du travail français. Par ailleurs l'argument concernant le coût de l'assurance chômage s'applique également aux embauches non effectuées, et la taxe sur les CDD aura un impact négatif sur celles-ci. D'où l'idée de la compenser par une subvention à l'embauche en CDI, ce que réclame le patronat. Mais je ne crois pas qu'une telle subvention ait des effets très forts, elle est en effet faible au regard du coût de licencier un travailleur en CDI.

Après le premier volet de l’accord qui prévoyait plus de flexibilité, la loi prévoit donc également certaines contraintes. Si l'on compare aux exemples étrangers, de la contrainte ou de la flexibilité, qu’est-ce qui est le plus efficace pour débloquer le marché de l’emploi ?

Gilles Saint-Paul : Il est clair que les pays flexibles comme le Royaume-Uni ou la Suisse ont une performance supérieure en matière d'emploi. Dans un marché fluide, la perte d'emploi a des conséquences moindres et la demande sociale pour la protection de l'emploi est plus faible. La France est dans un cercle vicieux où l'accumulation des contraintes réglementaires décourage l'embauche, ce qui incite les gens à s'accrocher à leur emploi et à réclamer des protections supplémentaires, qui au final ne font que réduire encore l'embauche.
Eric Verhaeghe : Je ne sais pas qui vous dira que la contrainte est meilleure que la flexibilité, bien entendu. Maintenant, il me semble quand même que les exemples étrangers où ça marche s'appuient sur une logique préventive: ils multiplient les dispositifs qui préservent le plus longtemps possible le contrat de travail. L'emblème de cette stratégie est le "Kurtzarbeit" allemand, qui fonctionne de façon très simple: quand l'entreprise subit une baisse d'activité, elle met ses salariés au chômage partiel. L'assurance-chômage prend alors en charge le salaire de remplacement, et l'entreprise continue à payer des cotisations sociales, pour éviter de créer un déficit de la sécurité sociale. En France, on fait exactement l'inverse: en cas de chômage partiel, l'entreprise continue à payer une part importante du salaire, parce que l'UNEDIC, gérée par les partenaires sociaux, refuse de se substituer à elle! en revanche, le patron ne paye plus de cotisations sociales, ce qui creuse le déficit de la sécurité sociale. Tout est donc fait pour encourager l'employeur à licencier ses salariés en cas de gros temps.

Quelles sont les avantages et les effets pervers de chacune de ces deux méthodes ? Faut-il s'inspirer des autres modèles européen ?

Eric Verhaeghe : Personnellement, je ne crois pas à la flexibilité. Cette idée que tous les salariés sont interchangeables et peuvent être virés un jour, remplacés le lendemain, me paraît une aberration totale. Une entreprise a besoin de salariés motivés, qui croient en son projet et qui adhèrent à ses valeurs. Je vois mal comment un salarié peut se considérer comme un partenaire utile de son entreprise si celle-ci lui envoie le message, ne serait-ce qu'implicite, de sa dépersonnalisation structurelle: tu travailles pour moi comme un robot, et l'entreprise n'attend rien de toi en particulier, sinon l'application de procédures standard qui te déresponsabilisent complètement. Cette vision-là ne me paraît pas tenir la route. Je sais qu'elle est assez développée en France, ce qui me semble expliquer le désespoir de beaucoup de salariés.
Je crois beaucoup plus à l'agilité de l'entreprise, c'est-à-dire à sa capacité à réagir vite et bien en cas de changement conjoncturel. Cela suppose une véritable adhésion des salariés, et un management compétent qui rentre en contact, en relation effective (c'est-à-dire pas seulement hiérarchique ou descendante) avec ses équipes pour les entraîner dans un virage impromptu. Ce faisant, j'explique aussi pourquoi l'agilité est peu présente dans les esprits français: l'acte managérial n'est pas une spécialité locale.
Gilles Saint-Paul: Le système actuel fondé sur le dualisme CDD/CDI a des inconvénients. Certains travailleurs sont très protégés tandis que d'autres sont condamnés à la précarité. Les entreprises ont peu d'incitations à investir dans la formation de ces derniers. Les syndicats ne représentent pas les intérêts des travailleurs précaires et peuvent d'autant plus être tentés de réclamer des hausses de salaires néfastes à l'emploi que les employés en CDD seront les premiers à perdre le leur. Néanmoins, un CDD est une meilleure base pour obtenir un CDI que le chômage, et cette situation résulte d'un compromis politique entre les employeurs qui veulent un volant d'ajustement de la main-d'oeuvre et les syndicats qui ne veulent pas lâcher leurs avantages acquis pour faire de la place aux chômeurs et autres outsiders. Pour cette raison je ne crois pas au "contrat unique" prôné par de nombreux économistes qui serait plus flexible que le CDI mais plus rigide que le CDD. 
Il y a deux modèles qui semblent viables. Le modèle anglo-saxon avec des syndicats peu puissants, un marché du travail concurrentiel et des travailleurs peu protégés.Dans un tel modèle la probabilité relativement élevée de perdre son emploi est compensée par le dynamisme du marché du travail. Le modèle scandinavo-germanique où les syndicats sont forts mais coopèrent avec le patronat et prennent mieux en compte les intérêts des chômeurs et les réalités de la conjoncture est aussi viable.
 

Les entreprises peuvent-elles vraiment s’autoréguler sans intervention de l’Etat ? Étant donné la faiblesse des syndicats en France, le risque n’est-il pas de laisser les salariés à la merci de leurs employeurs ?

Gilles Saint-Paul : Les français craignent qu'une libéralisation du marché du travail ouvre la porte à l'exploitation. Pourtant leurs homologues anglais ou américains ne sont pas plus pauvres, loin de là. Le pouvoir d'achat des Français est de 10 % inférieur à celui des Britanniques et notre taux de chômage est plus élevé. Il n'y a donc aucune raison de penser que les salariés finissent à la merci de leur employeur. S'ils peuvent avoir à souffrir d'un employeur particulier, il leur sera en revanche plus facile de le quitter pour en trouver un autre. Nos multiples avantages (35 heures, formation professionnelle, 1% logement, etc...) ne sont pas gratuit et se payent in fine sous la forme d'une réduction du pouvoir d'achat des salariés.
Eric Verhaeghe : Vous posez utilement la question de la "compliance", c'est-à-dire la question de la capacité d'une entreprise à se conformer à des règles sans gendarme derrière le patron pour l'y obliger. Et c'est vrai que c'est un sujet majeur pour les entreprises françaises aujourd'hui. La compliance exige d'abord de la transparence: le management de l'entreprise doit fournir à l'assemblée générale des actionnaires toutes les explications nécessaires sur la façon dont il applique les règles propres à une bonne gestion. Les Anglais appellent cela la soft law. Dans cette soft law, je place la mise en en place d'une gestion intelligente du dialogue social, c'est-à-dire le respect sincère du dialogue avec les salariés.
Les entreprises françaises sont-elles prêtes à franchir cette étape? Je lis régulièrement des discours émanant d'organisations auto-proclamées représentatives des PME particulièrement contraires à cette évolution, ce qui pose un vrai problème sur la capacité des entreprises françaises à se réinventer dans la crise. Si le code AFEP-MEDEF a franchi un vrai saut, récemment, sur ce sujet, pour les entreprises cotées en bourse, le sujet reste entier pour les autres. Sur ce point, je crois qu'il faut être limpide: on ne pourra pas avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire la diminution du rôle de l'Etat et l'obstruction à toute réforme de la gouvernance des entreprises.

Comment simplifier le code du travail français réputé pour sa complexité sans pour autant fragiliser les salariés ?

Gilles Saint-Paul : Une telle réforme ne fragiliserait que certains salariés et uniquement à court terme. Il s'agit de ceux qui occupent des emplois qui disparaîtraient si leurs employeurs étaient libre de gérer leur entreprise comme ils l'entendent. On peut envisager d'"acheter" le soutien de ces opposants potentiels à une réforme en leur proposant une compensation financière forfaitaire. Ce type de mesure (justifiées au nom du réalisme politique, non pas de la stricte équité) a déjà été mis en place par le passé, par exemple lors de la fermeture de chantiers navals en Espagne. On peut aussi envisager à plus long terme de changer la logique de notre système d'assurance en remplaçant l'assurance-chômage et la protection de l'emploi par une assurance sur les pertes de salaires liées à l'obsolescence des qualifications.
Eric Verhaeghe : Je suis un grand adepte du dialogue social d'entreprise, mais d'un dialogue sincère et performant. Cela ne signifie nullement la co-gestion, qui est une absurdité. Cela signifie plutôt le partage des objectifs de l'entreprise avec les salariés. Pour y parvenir, il faut que les partenaires sociaux au sein de l'entreprise aient la faculté de fixer des normes sociales acceptables pour le fonctionnement de l'entreprise. Pour les TPE, je suis favorable à la généralisation du mandatement, qui permet de mandater un salarié pour négocier des accords sans création d'une section syndicale.
Si nous disposions de ces outils, nous pourrions envisager une vraie simplification du code. Le problème aujourd'hui tient à un musellement de la parole patronale par des organisations qui n'ont de représentatif que la prétention. Le MEDEF, comme la CGPME ou l'UPA se vivent d'abord comme co-rédacteurs du Code du Travail, et non comme simplificateurs. C'est pour cette raison que je suis favorable à l'instauration d'une concurrence dans la négociation des accords nationaux, comme cela existe déjà dans les branches. Dans la branche du cinéma, par exemple, coexistent deux accords: l'un négocié par la CGT, très favorable, paradoxalement, aux majors, et l'un négocié par la CFDT, plus favorable aux petits producteurs. Il faut laisser à chacun le choix de sa convention collective. Et, au niveau national, il faut laisser à chacun le choix de son accord interprofessionnel.

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