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mercredi 12 juin 2013

Les messages de la jeunesse turque

Les messages de la jeunesse turque


Recep Tayyip Erdogan voulait en finir avec les manifestants de la place Taksim à Istanbul comme avec leurs émules d'Ankara et d'ailleurs. Les forces de police sont venues y faire « le ménage », dès hier matin au prétexte de nettoyer les lieux des pancartes et slogans qui « l'enlaidissaient ».
Dans la foulée, elles ont vidé le palais de justice des avocats qui s'y étaient rassemblés en signe de soutien aux manifestants. Le Premier ministre turc n'a manifestement pas compris la nature du séisme auquel il est confronté. Rétablir l'ordre est une chose, prendre la mesure d'un mouvement historique en est une autre. D'ailleurs, le soir même, les manifestants revenaient.
La jeunesse turque a définitivement tourné la page de la peur héritée du coup d'État militaire de 1980. C'est déjà, en bonne partie, la volonté de sortir de l'ère d'un nationalisme conservateur qui avait ouvert la voie à Erdogan pour accéder au pouvoir. Ce dernier avait proposé au peuple turc de troquer le nationalisme contre un islamisme qu'il avait modéré pour ne pas heurter de front la solide tradition laïque née du kémalisme. Mais son succès, et surtout son maintien au pouvoir, reposaient sur un compromis et un malentendu.
Le compromis, c'était une sorte de troc : « Acceptez le retour de l'islam, je vous offre la société de consommation. » Libéral dans le domaine économique, Erdogan a fait de la Turquie un pays en forte croissance, résolument convaincu de son avenir. S'il y a plus de femmes voilées aujourd'hui dans les grandes villes turques, c'est avant tout la conséquence du puissant exode qui amène en masse des populations rurales traditionnelles dans des grandes cités en pleine expansion. Car, en dépit des apparences, la prospérité et le libéralisme dissolvent peu à peu la prégnance religieuse.
Là est le malentendu. Erdogan n'a pas vu que les générations montantes - la moitié de la population a moins de 29 ans - ne sont pas disposées à se laisser enfermer dans une identité religieuse étroite et rigoriste. Elles ne veulent pas davantage être réduites au rôle de consommateurs décervelés. La jeunesse turque veut vivre dans la modernité, dans un monde où les structures du pouvoir doivent se faire souples et discrètes, où la liberté de conscience est assurée, où l'individu peut s'affirmer.
Si la démission d'Erdogan a été demandée, personne cependant ne revendique de prendre sa place. Les manifestants de la place Taksim ou d'Ankara affirment que leur génération n'est pas intéressée par le pouvoir, car ils le voient vide de sens. Ils ne lui opposent évidemment pas le terrorisme ou la violence, mais la dérision, l'humour, avec une efficacité redoutable.
Une société infiniment plus fluide et mouvante que le modèle islamiste, à la recherche de nouveaux modes d'organisation et de fonctionnement, vient de manifester qu'il faut désormais compter avec elle. Au sein de l'AKP, le parti d'Erdogan, certains ont bien compris qu'une page se tournait et des désaccords se sont déjà exprimés.
Certes, pour l'instant, le Premier ministre n'est pas menacé, mais en profondeur, là aussi, les choses ont commencé à bouger. La présence des jeunes « musulmans anticapitalistes » parmi les manifestants montre que les lignes de partage ne sont déjà plus les mêmes. Et dans les rangs des jeunes de l'AKP, le pouvoir de séduction du mouvement de la place Taksim pourrait réserver d'autres surprises.

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