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vendredi 31 mai 2013

Pourquoi notre sous-compétitivité n'est plus tenable

Pourquoi notre sous-compétitivité n'est plus tenable


La France et l'Italie mésestiment la situation économique du monde et n'ont pas préparé leur économie à la crise. Patrick Artus tire la sonnette d'alarme.

Dans une situation de croissance, de forte utilisation des capacités de production et de plein emploi, la concurrence entre les pays est relativement faible : les entreprises ont besoin de toutes leurs capacités, où qu'elles soient installées ; dans chaque pays, les capacités de production servent surtout à satisfaire la demande intérieure, et sont peu disponibles pour exporter. La situation économique étant satisfaisante, les gouvernements ne sont pas incités à mettre en place des politiques agressives, non coopératives, pour tenter de stimuler l'activité et l'emploi.
Tout change lorsque la situation économique se dégrade comme on l'a vu depuis 2008 dans tous les pays de l'OCDE. Les entreprises, confrontées à la sous-utilisation des capacités de production et au recul de leur profitabilité, sont poussées à localiser les productions là où les coûts de production sont les plus faibles ; des capacités de production disponibles pour les marchés étrangers apparaissent, et certaines entreprises basculent sur des stratégies agressives de conquête de marchés à l'étranger. Les États, enfin, essaient d'améliorer leurs situations économiques par des politiques non coopératives, fiscales, de change, en particulier. Dans ce monde de crise, les contraintes qui portent sur les politiques économiques deviennent beaucoup plus sévères. Nous allons regarder cela du point de vue de la France et de l'Italie.

Une heure de travail dans l'industrie coûte 36 euros en France, 22 en Espagne et au Royaume-Uni

La concurrence accrue porte d'abord sur le coût du travail, puisque les entreprises en situation de sous-utilisation des capacités arbitrent en fonction des sites de production les moins chers. La France et l'Italie réalisent alors qu'elles ne sont pas seulement confrontées à la concurrence des pays émergents, mais aussi à celle des pays de l'OCDE ayant des coûts salariaux plus faibles, par exemple l'Espagne, le Royaume-Uni, les États-Unis. L'écart de coût du travail vient non seulement des salaires mais aussi du poids des cotisations sociales des entreprises. Une heure de travail dans l'industrie, charges sociales comprises, coûte 36 euros en France, 27 en Italie, 22 en Espagne, 26 aux États-Unis, 22 au Royaume-Uni.
Le fait qu'en France et en Italie le salaire réel ne répond pas à l'évolution de la situation économique (chômage, profitabilité, compétitivité) et que le choix a été fait d'un financement de la protection sociale basé essentiellement sur les cotisations sociales devient donc très pénalisant.
La concurrence entre pays porte ensuite sur la fiscalité : charges sociales des entreprises, qui contribuent à déterminer le coût du travail comme on vient de le voir ; taxation des profits des entreprises, qui sont un élément important des choix d'implantation des entreprises. Il n'est pas étonnant alors que le Royaume-Uni et le Portugal aient annoncé la baisse du taux d'imposition des profits, avec un objectif de 20 %, bien plus bas qu'en Italie ou en France (27 % et 34 %).
La concurrence porte aussi, et de plus en plus, sur le coût de l'énergie. La production de gaz de schiste aux États-Unis y a fait baisser le prix du gaz naturel au tiers de son niveau en Europe, ce qui correspond à une baisse des salaires de l'industrie de 16 % aux États-Unis par rapport à l'Europe. Cela va attirer massivement les industries grosses consommatrices d'énergie aux États-Unis. Il ne faut pas oublier qu'il y a un million de salariés dans la chimie en Europe. Il n'est pas étonnant alors d'observer que le Royaume-Uni aussi va rechercher et exploiter le gaz de schiste.

Les gouvernements français et italiens n'ont pas encore compris la situation

Enfin, la concurrence entre États passe aussi par la politique de change. Une dépréciation du change n'est pas partout favorable à l'ensemble de l'économie puisqu'elle fait monter les prix des importations, mais elle est favorable à l'industrie. Certainement, les politiques monétaires très expansionnistes menées au Japon, aux États-Unis, au Royaume-Uni ont, entre autres, comme objectif d'améliorer la compétitivité-prix de l'industrie par la dépréciation du change, ce qui ne s'observe pourtant pour l'instant qu'au Japon.
Les gouvernements français et italiens ne semblent pas avoir compris la violence de cette concurrence multiforme entre les pays. Pas de réforme fiscale majeure pour réduire le coût du travail (le CICE en France n'améliore que marginalement la profitabilité des entreprises) ; pas de réalisation de ce que, compte tenu des niveaux de gamme de la production, les salaires sont très élevés par rapport aux autres pays de l'OCDE ; peu de réflexion sur la compétitivité de l'industrie dans le débat sur la transition énergétique. 
La sous-compétitivité de ces deux pays, qui était encore tenable dans la période de croissance avant la crise, ne l'est plus aujourd'hui, et il n'est alors pas étonnant de voir les pertes de parts de marché, d'emplois industriels, le recul de l'investissement industriel. Certes, l'Espagne et le Royaume-Uni sont aussi dans une situation économique difficile, mais avec la perspective, ce qui se voit déjà et encore plus aux États-Unis, de regagner des parts de marché et des activités industrielles vis-à-vis des pays à compétitivité (salariale, fiscale, énergétique) faible.

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