TOUT EST DIT

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samedi 20 avril 2013

Ces méthodes chocs qui pourraient sauver la démocratie française de l'asphyxie qui la menace

En partie paralysée par l'inertie de ses corps intermédiaires, la France ne parvient pas à adopter les réformes dont elle a besoin. La démocratie française va-t-telle finir par devoir se tourner vers des méthodes non conventionnelles ?


Le Sénat américain où Barack Obama est majoritaire a désavoué le président américain en refusant d’adopter, mercredi 17 avril, le texte visant à mieux contrôler les acheteurs d'armes à feu."Finalement, c'est plutôt un jour de honte pour Washington, a lancé Barack Obama. "Au lieu de soutenir ce compromis, le lobby des armes et ses alliés ont volontairement menti à propos de cette loi." Malgré le soutien de la majorité des Américains, l’homme le plus puissant du monde a dû s’incliner face aux lobbys et au Congrès. En quoi cette impuissance peut-elle faire écho à la crise politique que traverse aujourd'hui la démocratie française ?

Yves Sintomer : Il faut tout de même noter que dans le système présidentiel américain, les chambres parlementaires représentent de vrais contre-pouvoirs, ce qui n'est le cas qu'exceptionnellement dans un pays comme la France.
Au-delà, il est clair que de façon plus globale le monde politique dans son ensemble a perdu du poids par rapport au marché et au monde économique du fait d'une mondialisation accrue et du fait aussi en Europe d'une intégration continentale qui s'est faite sous les auspices de la bureaucratie et qui n'a pas de correspondant politique. 
A des degrés plus ou moins fort selon les pays et les partis, on a de plus en plus un isolement des politiciens professionnels par rapport aux citoyens. Ils s'installent de plus en plus dans une position où ils sont sensibles aux pressions de certains lobbys et ils se constituent parfois eux-même comme un lobby défendant des intérêts particuliers, comme on peut le voir aux États-Unis et comme on a pu le voir en France avec l'affaire Cahuzac. 
Saber Mansouri : Le lien avec la France, mais aussi d'autre pays, se voit dans la défaite du politique (et par extension, la démocratie) face aux nouveaux pouvoirs : l'économie monétaire, l'industrie, les finances, les médias, etc. Les politiques n'osent plus. Et en plus, ils s'entourent d'experts pour rappeler aux citoyens qu'on ne peut plus réformer. Pourquoi? Parce que si on le fait, on va plonger dans le gouffre, disent-ils. Ce qui veut dire : la peur devient une alliée très appréciée des politiques. Notre démocratie est-elle devenue l'art de gouverner la peur collective ? La question mérite d'être affrontée.
Jean-Pierre Deschodt : Au lendemain des affaires Cahuzac, Guerini et Kucheida, la France reste abasourdie par autant de mensonges que révèlent leurs actes de corruption. Au delà des souillures morales, des crises sociale et sociétale qui s'étendent à l'ensemble du pays, une partie du peuple français envisage de retrouver au plus vite l'ancienne protection des cités, c'est-à-dire l'application des droits et des devoirs de l'homme laissant suggérer un développement harmonique des forces productives. Aucun gouvernement ne semble plus en mesure d'accorder à cette exigence vertueuse un tant soit peu d'intérêt en raison de la vision immobiliste (non progressiste) que cela suppose
Dans un contexte décadentiel, les solutions apportées par le front national et le front de gauche apparaissent de plus en plus comme un recours aux inquiétudes du moment. il est toutefois à préciser que ces deux partis diffèrent l'un de l'autre tant sur le plan historique que sur celui des orientations futures. Le premier s'inscrit dans le jeu parlementaire tout en condamnant le mode de représentativité actuelle. Le second se réalise dans l'action parlementaire tout en mobilisant ses troupes à partir d'un idéal révolutionnaire et radical. L'un recherche la coopération et l'intervention de l'État national ; l'autre promeut un type de collectivisme diffus. Le parti de Marine Le Pen défend la laïcité au nom de la neutralité républicaine, le socialiste Jean Luc Melenchon voit dans la laïcité un anticléricalisme militant.
Par ailleurs un autre élément les oppose sur le fond : l'immigration. Si l'on prend en considération ce point précis, le modèle républicain laissé par la république des radicaux socialistes (1899-1939), est proche de celui que défend aujourd'hui le Front national. En effet, le ralentissement de l'activité économique provoqué par la crise mondiale de 1929 a entraîné des tensions sur le marché du travail aboutissant à une forte augmentation du chômage. Les faibles perspectives nationale et l'atonie de la production mondiale ne font qu'accentuer les rigueurs à l'encontre des ouvriers étrangers. Ils représentent plus que jamais une force d'appoint qui participe en tant que variable ajustable à la régulation du marché du travail, au nom de la priorité accordée à la main d'œuvre nationale.

La France a depuis de nombreuses années les plus grandes difficultés à adopter des réformes pourtant nécessaires et soutenues par une majorité de la population. Va-t-elle devoir en venir à appliquer des thérapies de choc pour y parvenir ? Par quelles méthodes non conventionnelles pourraient-elles passer ? Quels sont les outils que les politiques pourraient utiliser ou inventer ?

Yves Sintomer :  Il est clair que la France oscille depuis des années entre des modifications marginales et des tentatives de réformes condamnées à échouer car menées avec précipitation et sans concertation. Plus la situation perdure, plus le risque de devoir procéder dans l'urgence à des modifications radicales s'accroît.
Les canaux de communication qui permettaient autrefois une entente, même relative, avec les élites ont tendance à se bloquer car les partis sont largement décrédibilisés et ont perdu beaucoup de dynamisme. Il faut instaurer une dynamique différente et expérimenter d'autres canaux de communication entre les citoyens et les décideurs.
Le recours au référendum serait une piste innovante. Mais pour éviter que le référendum prenne des allures de plébiscite pour ou contre le gouvernement, il faudrait qu'il soit régulier. Il faudrait également créer un vrai référendum d'initiative populaire qui puisse venir du bas et développer des instances qui ne seraient pas au service de lobbys divers et variés mais qui seraient tournées vers l'intérêt général.
On peut imaginer des conférences de citoyens tirés au sort et dont la mission serait de décider en vue de l'intérêt général. Cela pourrait prendre la forme d'un tirage au sort de 100 personnes préalablement formées sur le sujet en question à travers des exposés d'experts diversifiés défendant des points de vues différents à la fois en terme de compétences techniques et d'orientations politiques et sociétales. Les  débats menés par des observateurs impartiaux pourraient durer plusieurs semaines et permettre d'auditionner les représentants des différents partis politiques. A la fin des discutions, un avis officiel serait rendu. L'idée est de travailler avec des citoyens ordinaires comme le font aujourd'hui les autorités indépendantes pour essayer de dégager des solutions sur des sujets compliqués.
Saber Mansouri : Dans "La Débâcle", Zola a cette phrase forte: "La France est a refaire". Mais que peut signifier "Refaire la France aujourd'hui"? Refaire naître une nouvelle population, une nouvelle communauté civique? Non. Refaire la République, je veux dire refonder ses institutions, oui. Cette renaissance passera aussi par la reconquête d'une souveraineté politique, une démocratie perdue. Gouverner, c'est aussi prévoir (l'expression n'est pas de moi); mais on ne peut pas le faire dans une démocratie de l'instant; on ne peut pas le faire quand le politique devient suspendu aux différentes notes des agences, on ne peut pas le faire quand on dit que l'État ne peut rien face aux fermetures de petites usines, on ne peut pas le faire quand on n'est pas habité par l'ambition de servir un pays, un peuple.

Les anciens modèles historiques pourraient-ils constituer une source d'inspiration ?

Saber Mansouri : On pense d’abord à Athènes (Ve-IVe siècle avant J.-C.) C’est le premier exemple d’un système politique remettant le pouvoir entre les mains des citoyens. L’Ecclésia, la Boulé, l’Héliée, l’Aréopage sont les institutions garantes d’une démocratie directe. S’agissant des questions économiques et financières, c’est un modèle où le politique a toujours le dernier mot : c’est lui qui soumet l’économique au profit de la communauté civique la Cité.      
A en croire la Constitution d’Athènes attribuée à Aristote, plusieurs fonctions sont tirées au sort : les bouleutes (ils conseillent l’Assemblée du peuple, préparent les lois et contrôlent les magistrats), les adjudicateurs, les receveurs de fonds publics, les auditeurs des comptes des magistrats, les auditeurs des plaintes contre les magistrats, les inspecteurs des marchés, la police, etc. Le tirage au sort permet aussi à des non experts politiquesd’être tirés au sort, élus. Aujourd’hui, on pourrait tirer au sort dans le cadre des élections locales. Européennes aussi.  
Comment remettre le citoyen au centre de notre démocratie pour lui redonner une pleine souveraineté politique ? Est-ce que notre démocratie fonctionne bien ? Où commence véritablement la souveraineté du citoyen ? Comment le pouvoir se partage entre le Palais Bourbon et le Parlement européen ? A quand une démocratie européenne qui viendrait faire la synthèse des institutions nationales ? Est-ce que la République est en train de se perdre quelque part, en Europe ? Vous voyez très bien que votre question invite à creuser davantage pour aller au cœur de la question démocratique actuelle.
Je crois que notre démocratie souffre d’un vrai manque du temps démocratique, de ce temps long qui permet l’exercice du pouvoir et la formation, je dirais l’éducation politique horizontale des citoyens, un temps politique affranchi aussi de la temporalité médiatique. Par ailleurs, si on fait la liste des élections en France (européennes, municipales, régionales, sénatoriales, législatives, présidentielles, etc.), il est clair que nous vivons toujours en campagnes électorales. Mais pourquoi faire ? Gagner des élections ou gouverner véritablement, je vais dire en ayant comme seul objectif, unique vertu, le bien commun : la République.

Quels exemples étrangers pourraient s'avérer instructifs ?

Yves Sintomer : Le modèle scandinave traditionnel est intéressant. Depuis des années, les pays du Nord ont mis en place des formes de concertation sociale qui reposent sur une place forte et constructive des syndicats. Il repose également sur des avantages sociaux universels qui ne concernent pas seulement les salariés, mais l'ensemble de la population.
Le modèle suisse est également différent à travers la possibilité très étendue et très utilisée de référendum et notamment de référendum populaire. Il y a un impératif de concertation et de prise en compte des différents intérêts sociaux. Cet impératif s'impose aux décideurs faute de quoi ils sont rapidement désavoués par les citoyens. 

Dans quelles limites le recours à ces outils pourrait-il être envisagé ? Comment d'ailleurs interpréter l'échec du référendum alsacien ?

Yves Sintomer : Il n'y a de toute façon aucune solution miracle. Chaque procédure a des avantages et des inconvénients.C'est vers la multiplications des procédures qu'il faut se diriger. De même que les élites, le peuple peut se tromper. Avec le recul, certaines solutions qui émanent directement du peuple peuvent s'avérer négatives. La démocratie conduit aussi à des erreurs.
Cependant, je crois qu'il faut dire que, comme toute pratique démocratique, le référendum a une valeur d'autant plus forte qu'il s'agit d'une pratique qui est ancrée dans les attitudes civiques. Il faut le pratiquer régulièrement pour avoir moins tendance à l'instrumentaliser pour d'autres question que la question posée. A partir du moment où l'exercice est banal, le citoyen répond davantage à la question posée.
Le référendum alsacien montre au contraire que les jeux politiciens sont susceptibles d'influer profondément sur les référendums. Nous l'avions également vu lors du référendum européen de 2005 à travers la position d'opportunité de Laurent Fabius.  Avant le scrutin, il était pro-européen et il l'est redevenu après.  Son positionnement était avant tout stratégique et il a pu néanmoins influer sur le vote des électeurs.

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