TOUT EST DIT

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jeudi 25 octobre 2012

Rompre pour rompre

Longeant l’autre soir la Seine à hauteur des Invalides, je tournai comme d’habitude mon regard vers ce joyau du classicisme français. Trois objets volumineux d’une laideur ostentatoire s’exhibaient devant l’esplanade : une sorte de King Kong d’un rouge agressif, un bouquet d’asperges aux pointes barbouillées de fluo et une voiture dont la clé, plus grande que le véhicule, s’étalait à même le sol.
Les mânes de Napoléon ont dû trouver la plaisanterie saumâtre. Il s’agissait de cet “art contemporain” qui s’expose à la Fiac et dont se gargarisent les gogos branchés. Qu’est-ce que l’“art contemporain” ? La mise en forme d’une notion, d’une provocation, d’une dérision, d’une malice, d’un paradoxe. Les objets ainsi “créés” relèvent d’une subjectivité totale, n’ont entre eux aucune parenté et n’entretiennent pas le moindre lien avec l’histoire de l’art occidental, fût-ce avec ses ultimes avatars, Pollock, De Kooning, Niemeyer, Rothko, de Staël, Brancusi. Des objets isolés donc, arbitraires et improbables, qui peuvent faire sourire ou grincer des dents, mais ne rendent aucun écho à l’héritage fastueux qui a modelé les contours de notre esthétique. Ce n’est pas forcément méprisable, ça reflète sûrement un état de la psyché contemporaine.
On a le droit de la trouver mal en point, et de préférer aller voir Hopper au Grand Palais ou l’expo de Raphaël au Louvre. On a le droit de récuser le mythe “moderne” selon lequel toute expression artistique est acte de rupture.
Les grands créateurs occidentaux ont inscrit leur indéniable dissidence sur une trame esthétique. Tous, même Van Gogh ou Gauguin. Même Picasso. La remarque vaut pour les poètes (Hölderlin, Whitman, Rimbaud), les philosophes (Nietzsche, Lichtenberg, Heidegger), les musiciens (Wagner, Mahler). La rupture n’a de sens qu’en référence à ce qu’elle désavoue, partiellement ou radicalement. Or, tout ayant été broyé dans la matrice d’une course à l’audace de plus en plus infanile et insignifiante, la notion même d’acte esthétique agonise. Rideau sur l’histoire de l’art. Reste un marché, florissant, semble-t-il. Tant mieux pour les spéculateurs, exemptés de l’ISF par les socialistes. Reste aussi, grâce au ciel, un patrimoine qui ne demande qu’à réenchanter les âmes orphelines.
Il faut un comble de maladresse pour blesser conjointement les gaullistes et les pieds-noirs. Ce comble, Hollande l’a dépassé avec cet accès de repentance vis-à-vis des Algériens qui, sur le sol français, en pleine guerre et en toute illégalité, ont manifesté à l’injonction du FLN. Quoi qu’on pense de cette guerre, et sans nier la violence de la répression policière, on n’a pas le droit d’oublier que des appelés français étaient alors au feu face aux soldats du FLN. Cette seule circonstance aurait justifié que Hollande s’abstînt d’un mea culpa sur le dos de la France. Mitterrand, dont il revendique l’héritage, ne s’y serait pas risqué. Il est vrai qu’en matière de répression anti-FLN, son bilan de ministre de l’Intérieur fut éloquent. Soyons équitables : Hollande n’a pas inventé cette manie de débusquer dans notre histoire nationale de quoi nous disqualifier moralement. Il ne fait qu’en rajouter une couche. Une de trop. Avec quoi riment ces postures peccamineuses ? Pourquoi cette pente à rabâcher aux Français que leur pays fut esclavagiste au XVIIIe siècle, colonialiste au XIXe, collabo en 1940 et tortionnaire en Algérie ?
Aucun peuple ne peut tolérer longtemps d’être ainsi dévalué par ses élites politiques ou intellectuelles. De ces salissures infligées à la mémoire collective, il ne peut résulter au mieux qu’un dégoût, au pire une colère dont feront les frais les fourriers d’un nihilisme insupportable. On ne voit pas d’autre mot pour qualifier cette entreprise de démoralisation au long cours, en une période où le patriotisme aurait besoin de bon grain à moudre et non d’ivraie. En tant que Français “normal”, coupable de rien et banalement amoureux de mon pays, j’en ai ma claque des repentances publiques, des lois dites mémorielles, des surenchères dans la victimisation. Du temps où la gauche avait du coeur au ventre, ses “hussards noirs” exaltaient la fierté d’être français et forgeaient une mythologie ad hoc. Avec sa façon sado-maso d’entretenir la honte de soi, la gauche contemporaine envoie par le fond le meilleur de son propre héritage. 

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