TOUT EST DIT

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mercredi 26 septembre 2012

La victoire du droit et de la morale 


La justice dans ses oeuvres fait parfois plaisir à voir. C'était le cas, hier, devant la Cour de cassation, avec l'ultime audience consacrée au naufrage de l'Erika, signant la victoire du droit et de la morale contre l'arrogance d'un armateur impécunieux, les failles d'une société de contrôle et la toute puissance d'une compagnie pétrolière.
Jusqu'au bout, treize ans après cette écoeurante souillure de fuel lourd, infligée aux hommes, à la nature, à 400 kilomètres de côtes, de la Bretagne à la Vendée, le groupe Total a tenté d'invalider sa condamnation pénale. Au nom de quoi ? Des intérêts supérieurs du pétrole, du cartel des Majors, de la liberté de naviguer comme au bon vieux temps, sans entraves ?
La Cour de cassation confirme, et parfois aggrave, les condamnations pénales prononcées, ainsi que les condamnations civiles et les dommages écologiques. Sur ce point, on quitte les débats philosophiques : les atteintes aux oiseaux, aux poissons, aux dunes, se réparent au même titre que les atteintes à la vie économique ou à la vie tout court. Le groupe pétrolier et ses partenaires sont déboutés. À rebours de l'avis d'un avocat général mal inspiré, Didier Boccon-Gibob, qui plaidait l'incompétence des tribunaux français.
C'était un peu fort de fuel. Après deux procès, des mois et des mois d'audience, 150 000  pages de débats, tout aurait été jeté par-dessus bord ! Quel scandale c'eût été. Car le droit, certes, parfois se triture comme du chewing-gum, se plaide et s'interprète. Mais Didier Boccon-Gibob, au nom d'une convention internationale signée en Jamaïque, décrétait que la justice de son pays, face à une pollution maritime de grande ampleur, provoquée par un naufrage hors des eaux territoriales, aurait dû se couper les bras et tout renvoyer vers le pays d'immatriculation de l'Erika, la petite île de Malte. Exactement comme si l'on disait à un fraudeur d'aller se faire juger dans son petit coin de paradis fiscal. Quelle aubaine.
Derrière ses filiales et sociétés écrans, le géant du pétrole se croyait à l'abri des poursuites. Je ne suis que l'affréteur, plaidait-il. Je ne pouvais pas savoir que l'Erika était victime de vices cachés. Maigre défense, oublieuse du pedigree du navire rafistolé : vingt-cinq ans d'âge, trois changements de pavillons (tous de complaisance), huit propriétaires, quatre sociétés de classification et des réparations réalisées au moins coûtant, au Montenegro.
Qu'il navigue ! Les majors du pétrole confiaient à l'époque leurs fuels lourds, très polluants, aux bateaux les moins sûrs, les plus âgés. Lois de l'offre et de la demande, du profit le plus immédiat. Nécessités du marché « spot », de la spéculation, depuis Londres ou New York. Et au bout du compte, à les suivre, la loi n'aurait eu à incriminer que le pauvre commandant, « seul maître à bord après Dieu », devise devenue plaisanterie saumâtre.
Le droit est sauf, la morale également. Les habitants des communes souillées, les pêcheurs, ostréiculteurs, paludiers, hôteliers... ¯ que Total a indemnisés ¯ peuvent respirer en paix l'air du grand large. Ils savent qu'ils ne sont pas à l'abri des méfaits d'une tempête. Mais protégés des méfaits d'une justice sans tête, sans bras, sans cap, ils le sont. Car cette décision historique de la Cour de cassation, évidemment, fera jurisprudence.

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