TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

lundi 12 mars 2012

L'étrange razzia nocturne du Musée du Caire

Le mystère du Musée du Caire supplantera-t-il celui de la grande pyramide ? Un an après le début de la révolution égyptienne, la lumière n'a pas été faite sur le pillage de ce temple de l'égyptologie qui a eu lieu dans la nuit du 28 janvier 2011 et au cours duquel 54 objets de grande valeur auraient été dérobés et 70 endommagés ou détruits. Sur les pièces déclarées volées, 25 seulement auraient été retrouvées.

Quand, après avoir d'abord nié les vols, Zahi Hawass, le pittoresque ministre des antiquités d'Hosni Moubarak, a fini au bout d'un mois par dénoncer des "chercheurs d'or" qui seraient passés par la verrière à l'aide d'une corde, il s'est heurté aux ricanements des archéologues. Ceux-ci accusent quant à eux des membres du musée, agissant sur ordre du gouvernement d'Hosni Moubarak, de s'être introduits dans le bâtiment par la porte d'entrée pour se livrer à un pillage destiné à discréditer les révolutionnaires massés sur la place Tahrir.
Certains, comme l'archéologue britannique Paul Bratford, ont exprimé ouvertement leurs soupçons à l'égard de l'armée égyptienne, qui aurait profité du pillage pour prendre le contrôle du musée et y installer un centre de commandement qui allait être rapidement agrémenté de salles de torture.
D'autres voix avancent encore l'hypothèse d'un acte symbolique de vengeance contre un bâtiment qui était pour beaucoup, et ce malgré la chaîne humaine formée par les manifestants pour le protéger, un symbole parmi d'autres du régime corrompu. "De nombreuses statues ont été délibérément écrasées, des momies démembrées, et des pièces jetées par terre", explique Megan Rowland, auteur d'un mémoire sur le sujet à l'université de Cambridge.
"Un tel degré de vandalisme rappelle la mise à sac du musée de Bagdad et évoque un acte de vengeance politique, poursuit-elle. Avant la révolution, le musée était un symbole de l'aliénation que le régime imposait aux Egyptiens : un des nombreux espaces réservés au tourisme de masse. Si l'on ajoute à cela les salaires très bas des employés du musée, il n'est pas difficile d'imaginer le ressentiment engendré. Il est très significatif que le magasin de souvenirs du musée ait été attaqué. Zahi Hawass s'est moqué de la prétendue ignorance des voleurs, qui auraient pris les souvenirs pour des originaux. Mais il est poursuivi pour corruption dans l'obtention du contrat d'exploitation de ce magasin." L'ex-directeur du musée, Wafaa El-Saddiq, a même accusé des membres de la police touristique de s'être vengés du Conseil suprême des antiquités d'Egypte qui les payaient misérablement.
DÉBATS ENFLAMMÉS
Ce musée va très mal. Son nouveau directeur, Tarek El-Awadi, a démissionné le 10 février : manque de moyens, a-t-il expliqué. C'est pourtant l'un des plus importants du monde... D'architecture coloniale, d'abord administré par les Français, devenu ensuite un symbole du nationalisme de Nasser, puis de la corruption du régime Moubarak, et enfin de la violence du Conseil militaire, il fait aujourd'hui l'objet de débats enflammés. Des révolutionnaires dénoncent une institution militarisée vouée à "assouvir les fantasmes des touristes" et à l'entrée de laquelle les Egyptiens sont souvent questionnés et doivent montrer une carte d'identité.
"Lorsqu'en mars 2011 l'armée a installé ses chambres de torture dans les sous-sols, le plus important musée égyptien et celui qui contient les oeuvres de plus grande valeur a été transformé en un lieu où les Egyptiens étaient battus et humiliés", souligne Mohamed El-Shahed, doctorant en architecture à l'université de New York. Les sévices endurés par les jeunes manifestants, battus, violés, torturés à l'électricité et, pour les filles, soumises à des "tests de virginité" sous les voûtes de l'édifice, ont achevé d'en faire un lieu hautement symbolique d'une identité à reconquérir.
"Le musée a très peu de liens avec la population, estime Mohamed El-Shahed, comme beaucoup d'autres dans le pays. Il réduit la culture égyptienne à quelques clichés faciles pour les étrangers. Il ne déploie aucun récit cohérent pour nous, préférant une présentation de thèmes, périodes et personnages pour l'Occident. Dans tout le pays, les musées et leur organisation reflètent une vision de l'histoire égyptienne qui est celle du XIXe siècle européen et qui est divisée en quatre périodes : pharaonique, gréco-romaine, copte et islamique. Nous avons besoin d'un vrai musée national qui transcende ces constructions."
A ce titre, le déménagement, prévu en 2015, du musée hors de la ville, dans le désert de Gizeh, à deux kilomètres des pyramides, fait polémique. "Son déplacement hors du centre-ville va le rendre encore un peu plus inaccessible aux Egyptiens, critique Mohamed El-Shahed. L'investissement de 550 millions de dollars (plus de 416 millions d'euros) dans un nouveau musée alors que 65 % des habitants du Caire vivent dans des bidonvilles, sans le tout-à-l'égout, sans eau potable ni électricité est insultant. Les politiques urbaines et culturelles ne permettront pas au public de bénéficier de ce projet. Ce "Grand Musée égyptien" est un produit de l'ère Moubarak. Cette vision doit cesser. Un nouveau musée des antiquités va naître de cette révolution, mais il doit être installé sur la place Tahrir."


Une "liste rouge d'urgence" dresse la typologie d'objets volés en Egypte

Figurines funéraires (shabtis), statuettes en bronze, portraits en quartz, calcaire ou granit, bols, vases, bijoux, amulettes, flacons utilisés dans les rituels de momification, papyrus illustrés, pièces de monnaie... Au total, une typologie des cinquante pièces les plus pillées, photos à l'appui, et regroupées en dix-sept catégories, compose la "liste rouge d'urgence des biens culturels égyptiens en péril" que vient de dresser le Conseil international des musées (ICOM) en partenariat avec l'Unesco. Il s'agit de protéger les types d'objets très demandés sur le marché de l'art. Les musées comme les grands sites ont, eux, des listes très documentées des pièces volées (Le Monde, daté du 10 mars). Lesquelles feront, dans les prochains mois, l'objet d'une deuxième "liste rouge" en cours d'élaboration. Un procédé efficace : en 2011, l'Afghanistan indiquait que la "liste rouge afghane", datant de 2006, avait permis le retour de 8 000 pièces volées. Déjà, en 2008, 1 500 objets avaient été interceptés par les douaniers de l'aéroport d'Heathrow, à Londres.
Florence Evin
 

0 commentaires: