TOUT EST DIT

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lundi 26 décembre 2011

L'égalité en souffrance

Une évidence : l'égalité, valeur républicaine fondatrice, régresse à vue d'oeil. Depuis une dizaine d'années, l'écart se creuse entre les moins bien lotis et une infime minorité très bien pourvue, tandis que la classe moyenne, réputée homogène, connaît elle-même un phénomène de forte polarisation entre haut et bas. N'alignons pas des chiffres fastidieux. Ils sont bien connus.

La faute à la crise ? Son effet mécaniquement déstabilisateur crève les yeux, jour après jour. Elle n'est pourtant pas seule en cause. Il faut aussi prendre en considération l'érosion insidieuse du socle social sur lequel se sont fondés les progrès de notre société depuis 1945.

Prenons le cas de la Sécurité sociale. Il était admis que nous étions tous exposés aux mêmes risques sociaux (maladie, accident...). Les assurés contributeurs étaient considérés comme des « hommes moyens », à l'image des citoyens : ni jeunes, ni vieux, ni hommes, ni femmes, ni bien portants, ni déficients. Tous placés sous un « voile d'ignorance » garantissant l'égalité devant la loterie de l'existence. Après avoir bien fonctionné, ce dispositif se trouve à présent contesté. On ne trouve plus anormal de réclamer des cotisations ajustées aux caractéristiques de chacun. Et certains approuveraient la prise en compte du profil génétique qui établit la probabilité de telle ou telle affection. Tant mieux, disent-ils, s'il est favorable à ceux qui ont la chance de « tirer le ticket gagnant [...]. Que les autres se débrouillent ! »

Simultanément, monte en puissance un discours, en apparence recevable mais néanmoins discutable, celui de l'égalité des chances. Il s'agit de donner à tous la possibilité de se placer sur la ligne de départ avec les mêmes chances de réussite, grâce à l'école, au système de santé, aux aides sociales. Ensuite, à eux de faire leurs preuves. Et s'ils échouent, « ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes ! On aura tout fait pour les aider ! ».

Le mérite personnel importe en effet, mais à la condition de ne pas omettre les handicaps de départ, parfois insurmontables, les accidents de l'existence, qui touchent d'ailleurs plus les uns que les autres, comme par hasard. L'égalité des chances appelle impérativement un travail complémentaire d'égalisation des conditions.

Et que dire de l'« employabilité », devenue mot fétiche ? Être « employable », c'est se montrer capable d'adaptation aux mutations de l'activité. Rien de plus naturel à première vue. À ceci près qu'en insistant presque exclusivement sur les qualités personnelles des salariés, on en vient à l'éclatement de la notion d'emploi et de qualification, qui égalisait les situations dans le respect des différences de niveau. Désormais, il importe de creuser ces différences, de s'imposer dans une course à la performance où ce qui distingue et sépare, le « moi d'abord », met en péril le statut d'égalité de principe et de solidarité.

Couverture sociale sur mesure, vraie-fausse égalité des chances, employabilité : ces trois exemples parmi d'autres illustrent l'urgence récemment soulignée par Pierre Rosanvallon (1) de « refonder l'égalité » comme base, aujourd'hui fragilisée, de la vie commune et condition du « refaire société ». Mais comment ? Cela reste l'un des grands défis des temps à venir.



(1) Refaire société, ouvrage collectif, coédition Seuil-La République des idées.

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