TOUT EST DIT

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vendredi 16 décembre 2011

Fais-moi l'amour, sinon je divorce !

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a condamné, en mai, un homme au divorce à ses torts exclusifs au motif qu'il ne faisait pas l'amour avec sa femme. Pour Daniel Borrillo, cela n'a rien d'extraordinaire et cela fait partie des vestiges canoniques du droit civil qu'il dénonce depuis longtemps Quand le sexe est régi par le droit du mariage.
Un récent arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence condamne un homme au divorce à ses torts exclusifs et à verser 10 000 euros de dommages et intérêts à son ex-épouse au motif qu'il ne lui a pas assez fait l'amour durant leurs vingt et un ans de mariage. Mais comment, dans un Etat démocratique, en sommes-nous arrivés là ?
En France, jusqu'à la Révolution, les noces sont de la compétence exclusive de l'Eglise et si, en 1787, Louis XVI instaura, avec l'édit de tolérance, une forme embryonnaire de mariage civil, il a fallu attendre la Constitution de 1791 pour que le mariage soit considéré comme une institution laïque. Nous sommes cependant face à un paradoxe, car si, dans le texte de la loi civile, le processus de laïcisation de l'institution matrimoniale semble achevé, la jurisprudence (et une partie de la doctrine des juristes) ne fait que prolonger la tradition canonique. En effet, le mariage continue à être considéré, de nos jours, comme un remède contre les débordements sexuels et devient l'espace symbolique de la sexualité socialement reconnue.
Le droit civil détermine qui a accès ou n'a pas accès au mariage : il précise non seulement la dimension spirituelle de l'institution (consentement) mais aussi sa géographie physique (âge nubile, différence de sexes, prohibition de l'inceste…). Dans sa facture juridique, le mariage permet encore de circonscrire l'espace le plus légitime de la sexualité. Ainsi, afin d'éviter des excès luxurieux, l'acte sexuel doit s'accomplir au sein de cette union hétérosexuelle et monogamique. Les rapports doivent avoir une certaine qualité et une régularité, ils s'exécuteront principalement par la pénétration vaginale et la finalité reproductrice de l'acte doit demeurer son horizon. De surcroît, il faut que l'amour soit à l'origine de la sexualité conjugale (la rémunération pour un service sexuel de la femme est considérée comme nulle et contraire à l'ordre public).
S'il est vrai qu'avec le pacs, l'institution matrimoniale perd son caractère monopolistique et qu'elle n'a plus comme fonction la légitimation de la filiation, le mariage n'en demeure pas moins le sommet de la hiérarchie des sexualités. Par la figure du devoir conjugal, le droit entend ainsi organiser la vie sexuelle des individus en fonction d'un certain nombre de règles impératives. Certes, l'adultère est sorti de la loi pénale et n'est plus une cause péremptoire de divorce, mais la faute au sein de celui-ci garde toute son efficacité au moment de pénaliser le conjoint coupable. Ainsi, a priori, par les conditions d'accès aux noces établies par la loi et, a posteriori, par les sanctions infligées par les juges, le droit organise une véritable gouvernance sexuelle.
En France, l'érotique consacrée par le "matrimonium" doit être de nature hétérosexuelle, contraignante, régulière et monogamique. La première des conditions de la légitimation symbolique de l'acte sexuel est que celui-ci ait lieu entre personnes de sexe différent. L'hétérosexualité est ainsi présentée comme de la nature même de l'institution. Le juge du divorce n'est pas moins conservateur au point où la simple constatation de l'homosexualité de l'un des époux demeure une cause possible de divorce pour faute. C'est sur la base du devoir conjugal que les juges ont progressivement construit la normalité. La formule de l'article 215 du code civil "Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie" implique une double dimension, vivre ensemble - communauté de toit - et entretenir des rapports sexuels - communauté de lit.
Dans le modèle officiel, la sexualité matrimoniale prend donc la forme d'un devoir (le "debitum" conjugal) à double dimension. Négativement, devoir de s'abstenir d'entretenir des rapports sexuels avec des tiers (fidélité) et positivement, devoir d'entretenir des rapports sexuels avec le conjoint (devoir conjugal proprement dit). Ce devoir est pour les époux une obligation d'ordre public. Ainsi, une convention, un accord entre l'homme et la femme stipulant l'absence d'intimité sexuelle, serait considéré comme nul. Le refus de partager le lit conjugal peut être considéré comme un fait injurieux justifiant le divorce contre un homme qui ne fait pas face à ses devoirs de mari. Cette intimité doit également se traduire par des rapports sexuels réguliers et modérés.
En effet, dans une décision du 28 mai 1956, la cour d'appel de Lyon stipulait que "le devoir conjugal impose l'établissement de relations sexuelles (…). En outre, il impose aux conjoints une continuité des relations". La Cour de cassation a estimé que constitue une injure, cause de divorce, "la décision de l'épouse d'imposer à son mari une limitation dans leurs rapports intimes". Si l'absence de rapports est condamnée par le droit, son inflation l'est tout autant. Concernant la fréquence de l'acte sexuel, le tribunal d'instance de Saintes a établi, en 1992, que "la moyenne relevée en général dans les couples français est d'un rapport par semaine".
Le refus d'entretenir des rapports sexuels avec son conjoint constitue une faute. Un divorce aux torts partagés a été prononcé par une autre cour d'appel dans une affaire où "la femme a refusé fréquemment d'avoir des rapports intimes et que le mari, exprimant son aspiration à un minimum de vie personnelle au détriment d'une vie conjugale normale, a délaissé son épouse en s'abstenant fréquemment".
Les juges deviennent ainsi les garants d'un équilibre sexuel situé au juste milieu entre l'excès et la carence et dans lequel les deux conjoints, en tant que créanciers du devoir conjugal, doivent remplir ces obligations. C'est toujours dans le cadre d'un contentieux que le contrôle judiciaire s'effectue, et c'est justement là que les égarements sexuels pourront être reprochés au conjoint fautif.
Seule la fin de la faute (vestige du droit canonique) permettra de mettre un terme à cette intrusion de l'Etat dans nos alcôves.

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