TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mardi 7 juin 2011

Hambourg, la cité de la peur

Centre de la crise de l'E.coli, la ville allemande vit sous alerte à l'épidémie : le sang se fait rare dans les hôpitaux et les légumes invendus, trop nombreux. "Nous sommes encore en vie" grince une marchande du marché.
La salade disparaît peu à peu de la ville. Les restaurants remplacent la fameuse feuille verte sur le bord de l'assiette par une tranche de melon. C'est désormais le persil qui donne aux sandwiches la touche de couleur qui favorise les ventes. "On n'a plus le droit de mettre de la salade", explique la vendeuse. Même chose pour les tomates: c'est le paprika qui donne du rouge au petit pain au fromage. A l'extérieur de la grande ville, les paysans épandent des palettes entières d'iceberg et de roquette hachée dans les champs pour servir d'engrais. Elles sont revenues du marché invendues.
La bataille des légumes fait rage à Hambourg depuis que le drapeau de l'E.coli flotte sur la métropole. Les produits allemands sont mis en valeur par rapport aux produits étrangers, les salades difficilement vendables sont présentées comme "produit du jour" sur les marchés hebdomadaires. Par exemple celui de Lohbrügge, ce samedi: l'activité bat son plein et les dialogues semblent tirés d'un film catastrophe. "On est toujours vivants", crache une marchande qui vend des légumes locaux. Tout est récolté par le personnel du producteur, personne n'est tombé malade, personne n'est mort, poursuit-elle. C'est une preuve, non ?
Pourtant les concombres, lourds comme du plomb, restent dans leurs cageots. Les clients n'en veulent pas, même s'ils sont quasiment donnés. La pièce coûte quarante centimes, trois pour un euro. A l'étal d'en face, une dame d'un certain âge confie être "très inquiète." Si elle tombe malade, elle racontera que c'est ici qu'elle a fait ses courses, le vendeur est prévenu. Puis elle se fait emballer un petit pot de salade harengs-betteraves-oignons.

Le mot "salade" sonne comme un coup de feu

Tout est sens dessus dessous. Le mot "salade" sonne comme un coup de feu. Voilà qu'il n'est pas bon pour la santé de manger sainement. Le monde a peur des légumes allemands, introduit des contrôles aux importations, comme les Etats-Unis, ou des interdictions comme les Russes. Pour les agriculteurs allemands en revanche, la seule façon de se protéger contre l'E. coli, c'est d'acheter des légumes allemands.
Sur Internet, les maraîchers font vivre une légende qui est déjà dépassée. La page d'accueil des marchés hebdomadaires de Hambourg annonce toujours : "Nous souhaitons vous faire savoir pourquoi vous pouvez – voire pourquoi vous devez – malgré tout acheter des fruits et les légumes frais au marché. L'EHEC a été repéré dans des concombres venant d'Espagne."
Ca doit bien venir de quelque part. C'est comme pour Fukushima, on a le sentiment de ne rien pouvoir voir, ni entendre, ni sentir quoi que ce soit. Il y a quelque chose qui a rendu malade 2 500 personnes en Allemagne. C'est là, alors nous avons peur. Joachim Gauck, l'ancien directeur du Commissariat aux Archives de la Stasi vient même d'attester l'existence d'une véritable "addiction à la peur" chez les Allemands.
Est-ce si surprenant que les gens éprouvent une peur diffuse? Avant-hier, il y avait de la dioxine dans la nourriture pour les animaux, hier une centrale nucléaire a explosé, aujourd'hui c'est une bactérie inconnue des chercheurs sous cette forme qui se répand. Les produits alimentaires voyagent dans le monde entier apparemment sans laisser de traces. Et les gens, toutes les victimes potentielles, ne peuvent qu'éviter les obstacles invisibles. Ils enlèvent la salade des sandwiches, mangent des pizzas sans tomates, achètent au marché des courgettes plutôt que des concombres.

La peur se manifeste de façon subtile

Pour une ville terrorisée, Hambourg a même passé un merveilleux weekend. Les gens se sont promenés par dizaines de milliers dans le centre ville en vêtements d'été, ont rempli les terrasses des cafés, sont allés au restaurant. Personne ne portait de masque, personne ne s'est terré chez soi par crainte de la bactérie tueuse. La peur se manifeste de façon subtile, par exemple dans tous ces petits flacons bleus de désinfectant qui remplacent désormais le savon dans presque toutes les toilettes publiques. Ou dans les temps d'attente dans les centres de don du sang. Celui-ci se fait rare et chacun pourrait  en avoir besoin bientôt. Olaf Scholz, le maire, a appelé la population à donner son sang. La détérioration brutale des fonctions rénales fait partie des effets horribles de la bactérie.
Hambourg est la ville d'Allemagne qui compte le plus de victimes de l'E.coli. Les hôpitaux sont à la limite de leurs capacités, Daniel Bahr, le ministre de la Santé a dû le reconnaître. Le jeune ministre s'est rendu dimanche au CHU d'Eppendorf, à Hambourg, pour "se faire une idée de la prise en charge des malades." Quand des soldats meurent en Afghanistan, le ministre de la Défense se déplace. Quand un train déraille, le ministre des Transports se déplace. Quand une nouvelle épidémie éclate, le ministre de la Santé se déplace. Depuis la visite de Bahr, Hambourg est en quelque sorte officiellement zone sinistrée.
C'est maintenant la réputation de la "perle de l'Alster" qui est en jeu. La bactérie est considérée en ville comme un criminel. La semaine dernière, le chef de la police a proposé de faire appel à des policiers pour rechercher cet ennemi invisible.


Vu de Pologne

Une épidémie de papier

"Comment les riches pays européens n'ont-ils pas pu empêcher cela ?", s'interroge Gazeta Wybrocza à propos de l'infection E.coli dont l'origine reste incertaine. Pour le quotidien polonais, c'est le système fédéral allemand qui est en cause. Tandis que le célèbre Institut Robert Koch (qui relève du ministère fédéral allemand), est la principale institution allemande responsable de la gestion des maladies infectieuses, la protection sanitaire des citoyens relève pour sa part de la responsabilité des Länder. Par conséquent, même si les experts de l'Institut Robert Koch ont été les premiers à déceler la présence d'une bactérie mortelle dans des crudités, le verdict final sur la question ne peut être rendu par l'Institut fédéral pour l'évaluation des risques basé à Berlin, qui relève du ministère de l'Agriculture.
S'il a "admirablement équipé ses laboratoires", l'institut ne peut pas prélever d'échantillons de nourriture suspecte parce que cela est de la prérogative des Länder. "Les cliniques, les institutions sanitaires, les ministères régionaux et fédéraux travaillent tous de leur côté. Un mois est passé et personne n'est encore en charge du problème", critique Thomas Oppermann député de l'opposition social-démocrate. En raison de ce chaos institutionnel, les experts de l'Institut Koch se sont rendus à Hambourg deux semaines seulement après le début de l'épidémie. Or, le temps est un élément déterminant dans ce type de situation. "Pour de nombreux médecins, il est désormais impossible de repérer la source de l'épidémie", souligne le quotidien de Varsovie.

0 commentaires: