La prospère capitale du Bade-Wurtemberg cristallise, autour de sa gare, les difficultés de la chancelière.
samedi 18 décembre 2010
Stuttgart, voie de garage pour Merkel?
Le collier de perles a fait la différence. En un ou deux passages sur les plateaux de télévision, Christine Oberpaur est devenue l’icône de la contestation qui s’est emparée de la paisible Stuttgart et menace à présent la chancelière Angela Merkel. Cette aimable sexagénaire le confie benoîtement: "Je suis une brave bourgeoise qui, toute sa vie, a voté pour les chrétiens-démocrates de la CDU. Mais quand on voit ce qui s’est passé ici… Un monde s’est écroulé." Quel crime a donc commis le parti d’Angela Merkel pour mériter pareil opprobre, à trois mois d’une élection régionale aux enjeux désormais nationaux? Après quinze années de tergiversations ont débuté récemment les travaux de la nouvelle gare. Baptisé Stuttgart 21, ou "S21", le projet vise à doter la sixième ville d’Allemagne (près de 600.000 habitants) d’une gare du XXIe siècle. Aujourd’hui cul-de-sac, celle-ci permettra de relier Paris à Budapest par le TGV.
Le Bade-Wurtemberg est le Land le plus riche d’Allemagne; le train a le vent en poupe dans un pays ouvert à l’écologie ; Stuttgart deviendra un nœud ferroviaire majeur: comment ne pas être séduit? "Sur le papier, le projet était parfait. L’ennui est que les autorités n’ont pas pris en compte la dimension émotionnelle de la question et ont refusé d’entendre les demandes de démocratie", analyse Henrik Uterwedde, directeur adjoint de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Monument classé, aux allures de pénitencier, la gare actuelle devrait être rasée pour laisser place à un dispositif entièrement souterrain. Les travaux obligeraient à abattre près de 300 grands arbres du parc voisin. Et le coût du projet avoisine les 5 milliards d’euros, montant jugé déraisonnable par beaucoup. "Du coup, la mobilisation va bien au-delà des activistes habituels et touche cette bourgeoisie ronronnante, reprend Henrik Uterwedde. Sans compter que les manifestations pacifiques ont été violemment réprimées et qu’il y a bien longtemps que les Verts du Bade-Wurtemberg ne font plus peur."
Emmenés par Winfried Kretschmann, un catholique pratiquant de 62 ans aux cheveux blancs coiffés en brosse, qui prône l’équilibre budgétaire, les écologistes des Grunen sont crédités de près de 30% des voix aux régionales du 27 mars. Pas suffisant pour l’emporter mais bien assez pour faire chuter la CDU, qui règne ici depuis cinquante-huit ans. "Nous n’avons pas su expliquer les raisons du coût des travaux, reconnaît Christine Arlt-Palmer, tête de liste CDU sur l’un des quatre secteurs de Stuttgart. Nous n’avons pas non plus su prendre en compte les inquiétudes de la population, ce que les Verts ont exploité à merveille."
Incapable d’envisager une défaite dans le bastion du Bade-Wurtemberg, Christine Arlt-Palmer admet cependant que "si nous perdons, nous risquons une grave crise au sein de toute la CDU". "Une situation explosive", estime aussi le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Car malgré des performances économiques uniques en Europe en ces temps de tourmente financière, Angela Merkel voit sa cote de popularité s’écrouler: 72% d’opinions favorables en août 2009, 41% ces jours-ci. La faute à des chamailleries publiques au sein de la coalition, à la baisse des allocations chômage et familiales, à l’implication du pays en Afghanistan…
La perte de Stuttgart en mars et peut-être de Berlin en septembre, lors d’une des cinq autres élections locales prévues en 2011, pourrait entraîner la chute prématurée de la chancelière. Mais curieusement, même ses adversaires n’osent y croire. Historien d’art et architecte de formation, spécialiste de la gare de Stuttgart, à laquelle il a consacré un ouvrage, Martin Roser a créé la section locale des Verts en 1981. Il a certes assisté à des scènes inouïes: "Dans mon quartier, tous les habitants sont des fidèles de la CDU. Et pourtant ils ont collé des vignettes “Non à S21” à l’arrière de leur Porsche!" Mais ces nantis qui, hier encore, devaient manifester par dizaines de milliers dans les rues de Stuttgart, iront-ils jusqu’à voter Verts, un choix révolutionnaire pour bon nombre d’entre eux? "J’ai peur que le naturel finisse par reprendre le dessus", confie-t-il.
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