TOUT EST DIT

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lundi 9 août 2010

BlackBerry et Realpolitik

Au creux du mois d'août, il arrive que l'actualité offre, de façon impromptue, un résumé de quelques tendances de fond, comme un concentré de mondialisation et de postmodernité. Tel est le « feuilleton » BlackBerry, la série de controverses opposant Research In Motion à des gouvernements du Moyen-Orient ou d'Asie désireux de mieux contrôler les flux de données échangés grâce aux « smartphones » de la firme canadienne. L'affaire confirme que, sous toutes les latitudes, l'Internet mobile bouleverse l'économie et les modes de vie. Car au-delà de la clientèle historique des businessmen, c'est bien le grand public qui est désormais l'enjeu pour RIM, surtout dans les pays émergents. Aux Emirats arabes unis, par exemple, la clientèle de la marque est composée à 80 % de particuliers. Un public pour qui, si l'on demande ce qu'apportent les nouveaux biens de consommation, le téléphone multimédia représente souvent, à l'échelle de l'investissement, le changement le plus important dans la vie quotidienne, surtout pour les femmes et les jeunes urbains… Précisément le problème pour certains gouvernements, qui entendent certes doper la consommation, mais sans trop relâcher leur contrôle étroit de la société, notamment des catégories les plus « mouvantes ». Les sismologues appellent cela les « zones de subduction » : ces points de l'écorce terrestre où les mouvements contrastés des plaques tectoniques font s'accumuler l'énergie génératrice des séismes. Elles sont nombreuses dans le tissu économique et social des puissances émergentes.

Or des dirigeants comme ceux des Emirats, ou auparavant de la Russie - qui, dès la fin de 2007 avaient obtenu de RIM l'installation sur leur territoire d'un serveur permettant de contrôler les communications -, ont désormais assez de poids économique, ne serait-ce que par le potentiel de leur marché, et de volonté politique, souvent ancrée dans l'histoire, pour ne se laisser dicter par l'Occident ni le rythme ni les termes de leur gestion des libertés civiques. En outre, certains arguments sécuritaires ont une valeur objective : en Inde, par exemple, le fait que les terroristes à l'origine des attentats de Mumbai communiquaient par BlackBerry, avant leur attaque, pèse lourd sur les esprits et les négociations.

Ce genre de tension, dont les mésaventures de Google en Chine étaient aussi l'illustration, a toutes les chances de se reproduire ; managers et dirigeants occidentaux n'ont pas fini de composer avec cette autre facette de la multipolarisation. Loin d'être un renoncement, les concessions faites par RIM à l'Arabie saoudite et celles qui pourraient suivre ailleurs, relèvent du bon sens, et pas uniquement sur le plan économique. Il suffit pour s'en convaincre d'échanger avec des utilisateurs de BlackBerry dans le Golfe. Entre le maintien de leur service, même sous contrôle, et un retour au statu quo ante, leur choix est vite fait. La liberté de communication est une aspiration universelle, mais sa conquête a toujours réclamé de composer avec les spécificités nationales.

Un « smartphone » permet de se passer de beaucoup de choses, mais pas de la Realpolitik.



ARNAUD LE GAL

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