TOUT EST DIT

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dimanche 24 janvier 2010

Batailles autour des lunettes sur Internet

Bruxelles somme Paris d'autoriser la vente en ligne des produits d'optique. Beaucoup d'opticiens s'y opposent.

Seulement 40 euros la paire de lunettes, et 110 euros pour des verres progressifs… Des prix cassés ? Non, il s'agit des tarifs minimums proposés par Direct Optic, pionnier en France de la vente en ligne de lunettes de vue.

Ses prix sont aux antipodes de ceux affichés par les opticiens ayant pignon sur rue. Une paire de lunettes vendue en magasin coûte ainsi en moyenne 300 euros, contre 130 euros, options incluses, pour les internautes qui commandent chez Direct Optic. Mêmes tarifs sur le site du concurrent Happyview, lancé en septembre.

Cette concurrence nouvelle a de quoi inquiéter les quelque 10.500 opticiens de France. D'autant que la Commission européenne veut obliger Paris à ouvrir leur marché aux opticiens en ligne. La loi française stipule que la vente à distance des produits de santé est interdite. Fin 2008, Bruxelles a mis la France en demeure de modifier sa réglementation, menaçant de saisir la Cour de justice européenne.

Depuis, le flou juridique règne. L'été dernier, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, a expliqué que ce commerce était licite dans l'Hexagone, à condition notamment que les sites vendant des lunettes emploient au moins un opticien diplômé. Direct Optic et Happyview en ont pris acte, ce qui leur permet d'être agréés par la Sécurité sociale, et donc de garantir le remboursement des prestations à leurs clients.

Mais cela ne suffit pas pour être en règle avec le droit français, s'offusquent plusieurs syndicats d'opticiens. «En magasin, il y a beaucoup de contrôles», explique Christian Romeas, patron du Synope, le syndicat des opticiens sous enseigne. Ce n'est pas le cas des sites de ventes en ligne, qui se fournissent souvent en Asie. Une enquête menée en 2008 par UFC-Que choisir auprès de cinq sites étrangers et français de ventes en ligne a d'ailleurs fait ressortir que 80% des produits n'étaient pas conformes.

Les opticiens Krys sont prêts à vendre en ligne

«La vente sur Internet est inéluctable», raisonne de son côté Henri-Pierre Saulnier, patron de l'Union des opticiens. Plutôt que de s'y opposer, mieux vaut selon lui encadrer les ventes, par exemple en limitant la puissance des verres correcteurs vendus sur Internet.

Le ministère de la Santé s'est réuni jeudi avec la direction de la concurrence et les syndicats d'opticiens. Son objectif est délicat : il lui faut trouver une position qui satisfasse Bruxelles tout en répondant aux exigences françaises de santé. Les services de Roselyne Bachelot devraient finaliser une proposition d'ici à l'été.

En attendant, tous les acteurs s'activent pour continuer de tirer parti au mieux de ce marché qui concerne plus d'un Français sur deux et représente un chiffre d'affaires de plus de 5 milliards d'euros, selon le cabinet Xerfi. Craignant de voir leur part de ce marché s'effriter, les grands distributeurs traditionnels, le groupe Krys en tête, se préparent d'ailleurs à vendre eux aussi en ligne.

De son côté, Direct Optic, dont les ventes sont passées de «plusieurs centaines de lunettes par mois en 2009 à plusieurs centaines par semaine aujourd'hui», construit en parallèle… un réseau de magasins. «Nos prix seront inférieurs de 10% à 20%, pas plus, à ceux des autres opticiens», prévient son cofondateur Emmanuel Greau. Pas question, en effet, de casser les prix en magasin. Mieux vaut se partager le gâteau. En dépit de l'arrivée timide de réseaux à bas coûts, il est encore particulièrement rentable avec une marge brute de l'ordre de 65%.


Ces secteurs qui résistent au commerce en ligne
Alcool, tabac, ou encore médicaments... Tous les secteurs ne sont pas impactés par le commerce sur le Net. La raison ? La protection des consommateurs mais aussila volonté de ne pas voir émerger la concurrence des spécialistes de l'e-commerce.

Alcool, tabac, jeux d'argent, médicaments mais aussi parfums, cosmétiques et produits de luxe… De nombreux secteurs d'activité résistent encore à l'essor du commerce en ligne. Le plus souvent pour des raisons réglementaires, liées à la santé ou la protection du consommateur. Mais parfois, sans l'avouer vraiment, la France cède devant le lobbying de professionnels qui ne tiennent pas du tout à voir émerger la concurrence de spécialistes de l'e-commerce.

Quand Orianne Garcia et ses associés, avec qui elle avait fondé le service d'e-mail Caramail, ont créé le site lentillesmoinscher.com, ils ont dû s'installer en Allemagne pour contourner un «flou juridique» sur la question en France. «La vente par correspondance de lentilles est interdite car il faut avoir un opticien en magasin selon l'État français, explique cette cyberentrepreneuse. Nous avons soumis cette question à Bruxelles, qui a envoyé un avis motivé à la France en octobre 2008 pour qu'elle modifie sa législation. Depuis, les autorités françaises jouent la montre en disant que ce commerce est autorisé sous conditions sans préciser lesquelles.» En attendant, en vertu de la libre circulation des marchandises, rien n'empêche les consommateurs de s'approvisionner sur ce site qui les sert depuis l'autre côté du Rhin.

Empêcher eBay de vendre des parfums

La même bataille existe dans la parapharmacie. En octobre 2008, le laboratoire Pierre Fabre (marques Avène, Ducray, Klorane) a fait appel d'une décision du Conseil de la concurrence autorisant ses distributeurs à vendre ses produits sur Internet. L'affaire est désormais entre les mains de la Cour de justice des communautés européennes. En théorie, pour vendre de la parapharmacie en ligne, il faut être pharmacien avec une officine ayant pignon sur rue.

L'industrie du luxe a elle aussi ferraillé l'année dernière à Bruxelles afin d'empêcher des «pure players» comme eBay ou Amazon de vendre des parfums ou cosmétiques. Son argument : pour vendre du luxe, il faut détenir des magasins prestigieux et le service qui va avec.

Sur les jeux en ligne, le gouvernement souhaite lever l'interdiction à partir de la Coupe du monde de foot, mais dans de façon très encadrée. Si le poker et les compétitions sportives doivent être autorisés, les loteries et paris non liés aux résultats d'un événement resteront ainsi interdits.

L'automobile, elle, pose des problèmes matériels. S'il marche bien pour l'occasion, le commerce en ligne de voitures neuves reste limité aux mandataires importateurs étrangers. Comme la vente à distance doit respecter un droit de rétractation d'une semaine (bientôt deux), il est difficilement concevable pour les concessionnaires de reprendre un véhicule passé ce délai.

«Rien ne s'oppose à la progression du commerce en ligne, estime Marc Lolivier, délégué général de la Fédération de la vente à distance, toujours très optimiste. Ce ne sont pas des secteurs qui résistent mais parfois des entreprises. Quand un pure player arrive, en général, cela booste l'activité des distributeurs traditionnels.» La vente à distance a représenté quelque 25 milliards d'euros en France l'an dernier (85% par Internet), en hausse de plus de 25%. Cela reste encore près de deux fois moins qu'en Grande-Bretagne.

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