TOUT EST DIT

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jeudi 8 octobre 2009

Royal perd son Bergé

Le mécène et collectionneur prend ses distances avec l'ex-candidate à l'Elysée, qu'il avait soutenue ardemment. Son nouveau champion: Vincent Peillon.

C'est un lâchage de plus pour Ségolène Royal. Et c'est, sans doute, le plus embarrassant. L'un des rares mécènes à gauche, Pierre Bergé, qui a longtemps soutenu sans compter la candidate de 2007, prend le large. Le cofondateur de la maison de couture Yves Saint Laurent a beau affirmer officiellement le contraire - "Je ne déserte pas le camp Royal" - les faits sont là : Bergé lui a presque coupé, en un an, son financement.

En septembre 2008, il avait ainsi payé l'essentiel des dépenses de la Fête de la fraternité, de la location du Zénith de Paris aux honoraires du metteur en scène de Royal, en qui il voyait l'héritière de la geste mitterrandienne, la femme déterminée à marquer l'Histoire. Mais, en septembre 2009, il n'a pas voulu verser le moindre euro pour la seconde édition de la Fête de la fraternité. Résultat, Royal, qui n'avait pas les moyens de réserver le Zénith de Montpellier (coût: 15 000 euros), a dû réunir ses troupes dans un parc municipal !

C'est après le congrès de Reims que le tandem s'est désuni. Bergé est déçu par la guérilla que mène la présidente de la région Poitou-Charentes contre la direction du PS. Son amateurisme l'irrite. Au printemps dernier, l'homme d'affaires refuse de verser une aide substantielle qu'elle lui demande pour relancer son mouvement Désirs d'avenir. Il accepte seulement de prendre en charge la refonte du site Internet. Sauf que, en juillet, il découvre que le compagnon de Ségolène Royal a été chargé de mener ce travail (voir L'Express du 17 septembre 2009). Mécontent, il arrête tout.
Le 18 septembre arrive l'heure des explications. Bergé et Royal se donnent rendez-vous au bar de l'hôtel Montalembert, à Paris. A partir de ce moment-là, le divorce est enclenché. Mais en douceur. Bergé ne goûte guère les clashs. "Il ne lâche jamais personne; en la matière, il est inébranlable", note Malek Boutih, ancien président de SOS-Racisme. "C'est un homme extrêmement fidèle en amitié, même quand on a eu des désaccords politiques", renchérit Laurent Fabius, qui fut son protégé jusqu'au référendum sur la Constitution européenne, où Bergé batailla pour le oui.

Alors, pour faire taire les rumeurs, il s'affiche avec Royal au théâtre Dejazet, le 5 octobre, à Paris, lors d'une réunion de Désirs d'avenir autour de Bernard-Henri Lévy. Remercié pour sa "présence chaleureuse" par l'élue socialiste, Bergé est ovationné par la salle. Mais, in petto, il a tourné la page, sans la déchirer. "Il la laisse descendre elle-même les marches", explique un proche.

Et s'il paie ses bureaux boulevard Raspail - 8 000 euros mensuels pour 300 mètres carrés - il ne perd pas de vue qu'au printemps 2011, pour respecter la législation sur les comptes de campagne de la présidentielle, cette aide devra cesser. "Bergé reste un soutien et un adhérent important de Désirs d'avenir", persiste à croire le député maire de Laval, Guillaume Garot.

Encourager l'émergence d'un quadra non énarque

Dans la perspective des primaires, cette séparation est lourde de conséquences. Bien sûr, Royal conserve une capacité à nulle autre pareille à attirer les caméras et la foule, même avec moins de moyens. Mais voilà que Bergé s'éloigne d'elle pour mieux pousser un autre socialiste. Et pas n'importe lequel: l'eurodéputé Vincent Peillon, qui a déjà entrepris une OPA sur le courant de Royal, l'Espoir à gauche, dont il est désormais le principal animateur. "Je regrette que Ségolène ne se soit pas retirée avant le congrès en faveur de Vincent Peillon pour le poste de premier secrétaire, confie Pierre Bergé à L'Express. Il aurait pu être le candidat de consensus parfait."
Le mécène s'est visiblement découvert un nouveau champion. Il l'accompagne sur les plateaux télé, déjeune avec lui, s'assoit au premier rang de ses réunions politiques. Ne rate aucun rendez-vous. Le 14 novembre prochain, jour de son 79e anniversaire, il avait prévu d'aller écouter le parlementaire à Dijon - une table ronde finalement reportée et à laquelle, bien sûr, il se rendra.

Bergé, l'amoureux des lettres, le bibliophile, retrouve là un homme de l'écrit. Il a adoré son livre La Révolution française n'est pas terminée (Seuil). Dans une classe politique où les enfants de la télévision sont légion, il se réjouit d'encourager l'émergence d'un quadra non énarque, mais agrégé de philosophie, à qui il peut confier son goût pour les hégéliens anarchistes, comme Max Stirner.

Dans son élan, l'ancien complice d'Yves Saint Laurent oublie un peu vite que Peillon sait aussi être un redoutable homme d'appareil, dont la faible notoriété peut constituer un handicap pour 2012. "C'est au pied du mur qu'on voit le maçon", rétorque, sibyllin, Bergé, qui ajoute: "Le mur est encore loin d'être dressé." Déjà, il a versé 7 000 euros, en mai, pour aider l'Espoir à gauche. Et se dit prêt à user de son énergie et de son... carnet de chèques : "Si Peillon veut que je l'aide, on peut en parler, ça peut se faire", poursuit-il. Une écurie présidentielle est en germe, même si l'eurodéputé a déclaré ne pas vouloir se présenter aux primaires socialistes.

Bergé est-il en train de rebattre les cartes au sein du PS ? "C'est un homme qui a été compagnon de route de la gauche, mais ses choix n'ont pas la prétention d'être déterminants", nuance Laurent Fabius. Comme une collection d'habits en chasse une autre, l'ancien roi de la mode a souvent bondi d'un engagement politique à un autre, au gré de l'air du temps. Il a opté pour les présidents : il vote Valéry Giscard d'Estaing en 1981, ce qui ne l'empêche pas d'accompagner François Mitterrand tout au long de sa présidence. En 1995, il choisit Jacques Chirac. De Nicolas Sarkozy, aujourd'hui, il parle comme d'un "ami".

Dans le passé, il a aussi soutenu Jack Lang, Laurent Fabius, Julien Dray ou Jean Poperen, dont il paya les bureaux au début des années 1990. En 1999, il s'enthousiasme pour la liste de Robert Hue aux européennes. Un temps, il pense sauter le pas et cherche à se présenter comme tête de liste aux municipales, dans le VIe arrondissement de Paris, en 2001, sous la bannière communiste. "J'ai soutenu cette démarche qui n'a pas pu voir le jour", se souvient Robert Hue.

Insatiable, entré tardivement, à 50 ans passés, dans l'arène politique, Pierre Bergé court depuis derrière un rêve : jouer les Pygmalion, comme il le fit dans l'ombre d'Yves Saint Laurent. "Je continuerai, même dans une cave avec trois personnes. Je ne cherche pas à voler au secours de la victoire. Mais, si je peux la favoriser, alors, tant mieux."

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