TOUT EST DIT

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jeudi 28 mai 2009

Sarkozy fait main basse sur la justice

Sarkozy en nouveau Napoléon?

Toujours oiseuse, souvent malveillante, la comparaison entre Nicolas Sarkozy et Napoléon Bonaparte serait-elle, pour une fois, pertinente? En matière de justice, le chantier engagé par l'actuel président n'a de précédent que celui mené par l'Empereur il y a plus de deux cents ans. Il n'y a rien là d'illégitime, car la magistrature est le corps social le plus conservateur et l'institution judiciaire, indispensable au soutènement de la démocratie, en est le pilier le plus vermoulu. Ce que François Mitterrand ni Jacques Chirac n'ont su réaliser doit être tenté. Mais la brutalité de la méthode choque: l'action précède la réflexion, la consultation passe après la décision, le dire prime le faire. Ensuite, une désagréable impression de personnification domine: c'est la réforme du président, par le président, pour le président. Quelques hommes clefs, judicieusement placés, incarnent ce penchant. Au nom du changement, main basse.

Dérange surtout l'idéologie de cette révolution, qui entend placer l'enquête, après suppression du juge d'instruction, sous l'autorité d'un parquet soumis au garde des Sceaux. On ne pourrait mieux définir une justice aux ordres... Il y a, enfin, une volonté suspecte de rendre l'enquête opaque à la curiosité publique, à celle de la presse notamment. Sous prétexte d'efficacité, on cache, on muselle, on étouffe.

Certes, ce projet est loin d'être adopté, et encore plus appliqué. Mais L'Express veut tirer la sonnette d'alarme: derrière le masque de la modernité, quelle justice s'avance-t-elle?

Christophe Barbier


Du Code Napoléon au Code Sarkozy? La justice pénale française s'apprête à vivre un grand chambardement, peut-être le plus important depuis le début du xixe siècle. Le maître d'oeuvre en est le président de la République, Nicolas Sarkozy. Plus qu'une réforme, il veut provoquer une révolution. Si elle aboutit, elle restera sans doute comme l'un des événements forts du quinquennat. Pour les magistrats, confrontés à une autre manière d'enquêter et de juger. Pour les justiciables, auteurs ou victimes de crimes et délits. Comme son lointain prédécesseur l'Empereur, le chef de l'Etat, avocat de formation, compte bien imprimer sa marque sur la justice du pays, au risque de susciter des craintes quant à une éventuelle mainmise du pouvoir exécutif.

Défiance à l'égard des juges

Depuis son installation à l'Elysée, en mai 2007, il n'a pas changé de point de vue. L'ancien ministre de l'Intérieur aime les policiers, mais il a toujours manifesté une certaine défiance à l'égard des juges. Ainsi n'a-t-il jamais hésité, au nom de la fidélité en amitié, à donner des témoignages publics de sympathie à des personnalités sulfureuses aux yeux des magistrats. Le député (UMP) et maire de Levallois, Patrick Balkany, plusieurs fois condamné par le tribunal correctionnel, l'accompagne dans la plupart de ses déplacements officiels. Récemment, Nicolas Sarkozy n'a pas caché non plus son soutien à Jean-Paul Alduy, maire (UMP) de Perpignan, dont l'élection a été annulée en raison d'une fraude. Contrairement à ses prédécesseurs, le chef de l'Etat, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire selon l'article 64 de la Constitution, a multiplié les plaintes. Ces actions d'un justiciable un peu particulier ont aussi bien visé des tee-shirts parodiques à son effigie que des menaces de mort ou l'ancien directeur central des Renseignements généraux, Yves Bertrand.
De son bureau, le chef de l'Etat a largement inspiré la politique menée par la garde des Sceaux, Rachida Dati. Pendant les derniers mois, en raison de l'affaiblissement de la ministre, le "conseiller justice" du président, Patrick Ouart, a même pris les rênes de la chancellerie. Quel que soit le successeur de Mme Dati, il sera soumis à la volonté de Nicolas Sarkozy sur un sujet qui lui tient à coeur: la réforme. Comme l'explique l'un de ses proches, "même si cela doit prendre deux ans, le président la fera". Pour mener à bien ce chantier, il dispose désormais du rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, qu'il a lui-même mis en place en octobre 2008. Présidé par l'avocat général Philippe Léger, ce groupe de professionnels a lancé une véritable bombe en préconisant la disparition du juge d'instruction.

L'indépendance statutaire menacée

Ce magistrat enquêteur, jadis baptisé par Balzac "l'homme le plus puissant de France", serait remplacé dans sa tâche par un magistrat du parquet. Tous les acteurs du monde judiciaire, y compris des juges d'instruction comme Renaud Van Ruymbeke, ne sont pas hostiles à cette mesure. A condition qu'elle s'accompagne d'une indépendance statutaire des nouveaux responsables de l'enquête. Seulement, voilà: le comité Léger préconise que ce chef d'enquête exclusif continue, comme aujourd'hui, à dépendre hiérarchiquement du ministre de la Justice. "Si le parquet n'est pas indépendant, souligne Renaud Van Ruymbeke, la disparition de l'instruction pourrait être attentatoire à la liberté, surtout dans les affaires les plus sensibles, qui ne représentent que 5% des dossiers, mais concernent les domaines financier, terroriste, de santé publique et de la grande criminalité."

"Même si cela doit prendre deux ans, le président le fera"


Dans ces conditions, on peut se demander quelle sera l'attitude du parquet lorsqu'il entrera en conflit direct avec l'intérêt de l'Etat. Exemple: aurait-il décidé d'engager des enquêtes approfondies contre trois chefs d'Etat africains soupçonnés d'avoir détourné dans leur pays de l'argent public investi en France, comme l'a fait la doyenne des juges d'instruction parisiens? Ou encore, ne peut-on craindre qu'un parquet zélé ne cherche d'abord à plaire au pouvoir en place, quitte à engager des poursuites controversées, comme celles qui viennent de viser, au tribunal de police de Marseille, un enseignant qui s'était exclamé en pleine gare "Sarkozy, je te vois!" afin de contester un contrôle d'identité jugé trop musclé?

Pour répondre aux inquiétudes, le comité Léger prévoit la création d'un juge de l'enquête, qu'il promet de doter de "pouvoirs importants". Ainsi, c'est lui et lui seul qui pourra ordonner une écoute téléphonique d'un suspect. Problème: dans l'ignorance du dossier, pourra-t-il résister à la demande pressante de son collègue du parquet? "L'un des enjeux les plus sensibles du projet Léger réside précisément dans le statut de ce nouveau juge de l'enquête, déclare Me Henri Leclerc, président honoraire de la Ligue des droits de l'homme. Il faut absolument qu'il puisse interdire des actes au parquet ou, au contraire, en exiger."

Le poids du secret professionnel

Ce débat est particulièrement sensible. Un sondage de l'institut CSA, diffusé le 27 mars par La Chaîne parlementaire, indiquait que 71% des Français faisaient confiance au juge d'instruction pour conduire une enquête, alors même que le scandale d'Outreau avait malmené l'image de cette catégorie de magistrats. Un peu plus tard, la Cour européenne des droits de l'homme s'est inquiétée des liens trop étroits entre le parquet et le pouvoir politique en France, qualifiant les membres du ministère public de "fonctionnaires".

Une autre disposition, beaucoup plus discrète, accroît le contrôle sur le déroulement des enquêtes. Si le secret de l'instruction disparaît avec le juge du même nom, l'obligation du secret professionnel demeure. Moins menaçant pour les journalistes, ce dispositif reporte tout le poids d'une éventuelle sanction sur les juges, les avocats ou les policiers en cas de fuites. "Par ce moyen, explique Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, on essaie d'intimider, de faire peur et de provoquer l'autocensure, sur le thème "Je ne peux rien dire, rien montrer, je respecte ma hiérarchie". J'ai la conviction que le président de la République veut nous traiter comme il traite les préfets ou les policiers révoqués après une manifestation de rue."

Pour cette révolution judiciaire, le président s'est entouré d'hommes de confiance. Nicolas Sarkozy s'est d'abord adjoint les services d'un superviseur de la chancellerie, Patrick Ouart. Contre l'avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), il a également désigné des proches à des postes sensibles. L'exemple le plus marquant? Celui de Philippe Courroye, juge d'instruction parisien placé à la tête du parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine), où sont traitées nombre d'affaires politiques et financières. Sans oublier que la rumeur promet au même Courroye le poste prestigieux de procureur à Paris... Autre proche, le président de la cour d'appel de Paris, Jean-Claude Magendie, qui mène une réforme de sa juridiction, dont l'un des effets pourrait être une spécialisation renforcée des magistrats, et un choix plus "politique" des présidents de cour d'assises et de chambre. De quoi semer le trouble au sein d'une institution d'ordinaire discrète. Au terme d'une audience publique récente, une présidente de chambre annonçant son départ a ainsi déclaré qu'elle était "virée".

"C'est écrit où, la tradition?"

Cette volonté de contrôle s'étend jusqu'au sommet de la justice administrative, ainsi que l'illustre cette anecdote saisie au Conseil d'Etat. Elle met en scène Christian Vigouroux, homme de gauche respecté de ses pairs, qui fut le directeur de cabinet de la socialiste Elisabeth Guigou à la chancellerie. Il y a environ un an, un poste de chef de l'une des six sections du Conseil d'Etat se libère.

Comme le veut l'usage, le vice-président de la haute juridiction administrative propose alors trois candidats au président de la République. Celui-ci a en effet le dernier mot sur les nominations. Depuis 1945, la tradition républicaine veut toutefois qu'il confirme le premier nom porté sur la liste. Celui de Vigouroux occupe cette position, suivi de celui de l'ex-directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon, Olivier Schrameck. Surprise: Nicolas Sarkozy les récuse tous les deux! "C'est écrit où, la tradition républicaine? Moi, j'applique la Constitution, qui me donne le droit de nommer qui je veux", aurait ironisé le président. La séparation des pouvoirs, dont le philosophe Montesquieu avait fait l'un des fondements de la démocratie, n'est pas à l'ordre du jour.

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