TOUT EST DIT

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samedi 11 janvier 2014

Révélations de Closer : François Hollande paye-t-il le prix de ce qu'il a fait de la présidence normale ?


Selon le magasine Closer, François Hollande et l'actrice Julie Gayet entretiendraient une relation depuis environ deux ans, et se retrouveraient régulièrement dans un appartement à seulement quelques mètres de l’Élysée. Comment expliquer qu'une telle information se retrouve pour la première fois à la Une d'un journal ?

Jean Garrigues : L'information n'est pas vérifiée pour l'instant, donc gardons une réserve. Et même si c'est effectivement le cas, le fait pour un président de la République d'avoir une maîtresse s'inscrit dans une longue tradition historique, qui sous la Ve République a commencé avec Valéry Giscard d'Estaing, s'est poursuivie sous Mitterrand, Jacques Chirac... Ce n'est pas nouveau, et on pourrait remonter jusqu'à la Troisième république.
Concernant la médiatisation de cette information, rappelons par exemple que Valéry Giscard d'Estaing avait percuté en voiture un laitier au petit matin, accident qui avait permis de nourrir la rumeur de sa relation avec  Marlène Jobert. Rapportée par le Canard Enchaîné, l'histoire avait fait le tour de toute la presse. Pendant sa présidence, on a aussi prêté différentes maîtresses à François Mitterrand. Il avait été question de Carole Bouquet, notamment.
Nous nous trouvons à un point de convergence entre trois phénomènes :
  • la surmédiatisation : les médias se dotent de moyens d'investigation accrus pour scruter la vie privée des hommes de pouvoir.
  • la publicisation de l'intime : l'intérêt porté à la vie politique se focalise de plus en plus sur la vie privée des hommes publics. Ces derniers ont d'ailleurs accepté ce jeu depuis 20 ou 30 ans. On dit notamment que Nicolas Sarkozy a beaucoup accéléré le phénomène, mais déjà, la vie privée de Laurent Fabius, ou de François Hollande, faisait parler les médias.
  • la surprésidentialisation de notre vie politique : la focalisation sur la personnalité du président grandissant sans cesse, il est naturel qu'on se concentre de plus en plus sur la vie intime de Hollande.

Sous Giscard, Mitterrand et Chirac, un certain silence prévalait chez les journalistes. Les trois phénomènes évoqués ont contribué à affaiblir ce "devoir" de réserve, voire à le faire disparaître. A cet égard l'affaire DSK a également joué un rôle d'accélérateur : le monde entier s'est focalisé sur la vie privée d'une personne publique, dont on savait déjà qu'elle avait un "surappétit" sexuel.  L'intérêt des médias sur ces questions s'est donc encore plus banalisé. Ce faisant, la société française se rapproche des pratiques américaines. Aux États-Unis dans les années 1980, un candidat à la présidence avait été écarté car on avait découvert qu'il avait une maîtresse…  L'affaire Profumo en Angleterre dans les années 1960 avait poussé un ministre à démissionner, à cause d'une call girl.

François Hollande, qui a "déploré profondément les atteintes au respect de la vie privée", n'a pas démenti les informations de Closer. Comment l'interpréter ?

Patrick Eveno : Les hommes politiques, les stars, les chefs d'entreprise ont un droit à la vie privée réduit dans la mesure où ils sont célèbres. Ce droit à la vie privée est une invention farfelue ou à dimensions variables, qui peut certes exister pour le commun des mortels, mais beaucoup moins pour les hommes et les femmes publics, qui sont, par définition, publics. Ils ne sont qu'en partie concernés par ce respect de la vie privée et dans une configuration plus restreinte.
Ne sachant pas si l'information est vraie ou fausse, ce n'est pas le démenti ou non qui pose problème. Closer estime avoir une information fiable, et décide donc de la publier. Il ne sert à rien de démentir ou de confirmer. Que le président de la République française ait une ou des maîtresse(s) ne pose pas de problème en soi.
Jean Garrigues : On pourrait interpréter ce démenti "à charge" - s'il n'y a pas de démenti c'est qu'on admet la vérité de l'information - ou y voir la volonté de séparer les deux champs, c’est-à-dire de ne pas faire interférer la fonction présidentielle avec le domaine privé. Ce serait selon moi la plus sage décision face au phénomène de dégradation de l'image de la fonction présidentielle qui a commencé sous Sarkozy et se poursuit maintenant.

Peut-on considérer cet événement comme le prix à payer de la "présidence normale" ?

Patrick Eveno : Il n'y a pas de prix à payer dans la mesure où cela n'endommage en rien la présidence de François Hollande. Cette publication de Closer participe d'une évolution de la société depuis 20 ou 30 ans, c'est pourquoi la transparence est de mise.
Jean Garrigues : Le culte de la transparence a à voir, c'est certain. Pour ce qui est de la normalité, des présidents qui endossaient les habits de l'autoritarisme monarchique ont fait l'objet également d'investigations médiatiques : Giscard avec Marlène Jobert, Mitterrand avec Carole Bouquet. La normalité peut être indirectement reliée à l'affaire dans la mesure où elle accentue la désacralisation de la fonction présidentielle. Mais ce n'est pas déterminant.

Valérie Trierweiler avait-elle enfoncé une porte en juin 2012 avec son tweet contre Ségolène Royale ?

Jean Garrigues : Cela fait partie des événements qui ont accéléré la publicisation de l'intimité des hommes et femmes de pouvoir. Néanmoins la dynamique est entamée de très longue date. Tout part des années 1960 aux Etats-Unis, avec les passions qu'a suscitées la famille KLennedy. En France les choses ont changé dans les années 1980. Ce tweet a été un moment parmi tant d'autres. Les scandales liés aux hommes d'Etat étaient très rares auparavant : l'affaire des ballets roses impliquant le président de l'Assemblé nationale André le Troquer en 1959, et l'affaire Marcovik, un montage impliquant la femme de Pompidou en 1968-69.

En son temps le texto de Nicolas Sarkozy à sa femme - "si tu reviens, j'annule tout" – avait fait beaucoup parler dans les médias. Quelle avait été la réaction de l'opinion publique ?

Patrick Eveno : Cela fait partie des discussions du café du commerce, le sujet amuse, mais n'a aucune influence sur les opinions politiques des Français.
Jean Garrigues : La réaction avait été amusée et, finalement, complice, car la culture française entretient une sorte d'indulgence vis-à-vis des péripéties de la vie privée des hommes de pouvoir. La publicisation et la publicité que Nicolas Sarkozy lui-même faisait de son intimité a tout de même été assez mal perçue par une partie de son électorat, une droite traditionnelle, catholique et conservatrice. Ce n'est pas totalement négligeable car c'est un électorat qui compte dans l'éventualité d'une opposition Sarkozy-Fillon.

Du temps de François Mitterrand, une telle information restait confidentielle. Qu'est-ce qui, depuis, a changé vis-à-vis du respect de la vie privée du président ? Quelles barrières sont tombées ?

Patrick Eveno : L'intervention des présidents de la République dans les médias était beaucoup plus fréquente et plus forte. Les médias se sont libérés par eux-mêmes d'une part, mais le pouvoir politique y a aussi contribué à partir du moment où les chaînes de télévision et les radios sont devenues multiples et concurrentes dans les années 1980. Ce qui se passait sous Mitterrand n'est plus possible de nos jours, d'autant qu'internet est venu renforcer le phénomène en rendant totalement impossible le fait de cacher sous le boisseau ce genre d'affaire. Les Français ont également évolué, ils considèrent que la vie privée de leurs responsables politiques les intéresse. On peut donc dire que la démarche est multidimensionnelle : politique, médiatique et populaire.
Jean Garrigues : Les mentalités ont évolué. La vigilance et la capacité d'investigation des journalistes s'est accrue. L'accélération du rythme de l'information de l'information, la nécessité de nourrir en permanence l'actualité a entraîné une plus grande sensibilisation à ces questions. Ce qui relevait d'une sorte d'autocensure des médias s'est de plus en plus aboli. En même temps que les politiques se dévoilaient de plus en plus, les journalistes ont considéré qu'ils pouvaient eux aussi en dévoiler de plus en plus.
Ce qui s'est passé autour de Mazarine, des dépenses engagées aux frais de l'Etat, a transformé le point de vue des journalistes et de l'opinion. Un besoin de transparence s'est de plus en plus développé.

Comment l'opinion publique aurait-elle réagi si des photos de Mitterrand avec son autre famille avaient été publiées sous son mandat ?

Patrick Eveno : Si la vie cachée de François Mitterrand avait été révélée par un média sous sa présidence, cela n'aurait pas posé de problème, car nous sommes en France : le fait d'avoir des maîtresses amuse l'opinion publique plus qu'autre chose.
Jean Garrigues : Étant donné ce qu'est la culture française du scandale, focalisée sur les liens entre le politique et l'argent, on peut fortement douter que l'opinion se serait scandalisée. Elle ne l'a d'ailleurs pas été quand Mitterrand a choisi à la fin de son mandat de la révéler. Si la relation de Hollande et Julie Gayet était prouvée, cela ne changerait en rien les opinions et les préoccupations des Français.

Quel effet cela pourrait-il avoir sur la cote de popularité de François Hollande ? Quel est le regard des Français sur ce type d'affaire ? Que nous dit l'histoire à ce sujet ?

Patrick Eveno : L'effet ne pourra être autre que bénéfique, sa cote de popularité peut remonter. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, où une telle affaire aurait fait scandale. Dans notre"France gauloise", plutôt que de le traiter de "pépère", on aura tendance à le voir un peu plus comme un conquérant, un séducteur et un bon vivant. Mais sur plan politique, rien n'est changé, les préoccupations des Français sont bien éloignées des amours du président.
Jean Garrigues : L'histoire nous dit que l'affaire n'aura aucun effet, ou très faible. Qu'il s'agisse des aventures de Giscard, Mitterrand ou Chirac, cela n'a rien changé à leur cote de popularité. L'affaire Hollande-Gayet suscitera à la rigueur une vague de sympathie un peu grivoise, mais qui n'a rien de déterminant.

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