TOUT EST DIT

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mercredi 19 juin 2013

La France et son éternel procès anti-riches : entre vice des mégas revenus et vertus de la création de richesse, quel est l’impact social des plus aisés?


Tony Blair vient de conseiller ce week-end à Ed Miliband, leader du partie travailliste, d'abandonner son projet de taxes sur les hauts-revenus, affirmant qu'une telle mesure ne "changerait pas la société". Deuxième volet de notre série "Le capitalisme plombé par ses vices ?"

Tony Blair vient de conseiller ce week-end à Ed Miliband, l'actuel leader du partie travailliste, d'abandonner son projet de taxes sur les hauts-revenus, affirmant qu'une telle mesure ne "changerait pas la société". Cette déclaration relance ainsi l'éternel débat sur l'utilité sociale des hauts-revenus, facteur de croissance pour les uns et frein économique pour les autres. Si l'on devait se poser la question clairement, peut-on dire que les riches sont aujourd'hui à l'origine des dysfonctionnements de notre système économique ?


Henri Sterdyniak : La période récente a vu une forte hausse des inégalités de revenu. Une grande partie des hausses de revenus sont capté par les 1% ou 0,1% ou 0,01% des plus riches particulièrement dans les pays anglo-saxons, mais aussi dans les pays émergents. Cette croissance des inégalités est permise par la mondialisation, par la globalisation financière. L’étirement de la hiérarchie des revenus a de nombreux effets pervers. Les plus riches ont une plus forte propension à l’épargne. Le creusement des inégalités se traduit donc par une baisse de la propension à la consommation. Dans les pays anglo-saxons où le phénomène est le plus prononcé, la consommation des classes moyennes et populaires a été soutenue par le développement de l’endettement des ménages tandis que l’épargne des plus riches nourrissait la bulle financière. Mais, la croissance de l’endettement des ménages s’est terminée par la crise des subprimes alors que la bulle financière s’est dégonflée en 2008. La croissance des inégalités oblige à une financiarisation de l’économie nuisible à sa stabilité.


Les hauts salaires versés dans la finance et les services aux entreprises ont font tâche d’huile dans certaines professions, où naguère dominait le sens du service public. Ainsi, passe-t-on d’une situation où les meilleurs médecins se consacraient dans le cadre du secteur public aux cas les plus délicats à un système où, par le biais des dépassements d’honoraires et secteur privé, ils en arrivent à soigner les plus riches.

La hiérarchisation des revenus et des statuts est un des moteurs de la société. Chacun se trouve engagé en permanence dans une compétition stressante. La croissance est impulsée par les ambitieux, ceux qui espèrent des carrières fulgurantes, des enrichissements fabuleux, ceux qui ont une forte avidité et une forte démesure (l’hubris) : les sportifs, les vedettes, les chefs d’entreprises, les hommes politiques.

Chacun espère faire partie de ces happy few. Les entreprises développent leurs activités en inventant des nouveaux besoins, en créant de nouveaux produits. La publicité crée des besoins et des frustrations. La concurrence par l’innovation aboutit à l’émergence rapide de nouvelles entreprises, puis à leur dépérissement. Chaque salarié voit son emploi menacé par la volatilité des goûts des consommateurs. Au lieu que l’activité économique permette de satisfaire au mieux ses besoins fondamentaux, de sorte que chacun pourrait se consacrer à d’autres activités que son emploi marchand, de nouveaux besoins apparaissent sans cesse.

L’innovation crée de nouveaux produits ; ceux-ci sont d’abord utilisés par les classes dominantes comme marqueurs d’appartenance (Rolex, voyages aux Seychelles) ; puis, les besoins sont répandus dans l’ensemble de la population par la publicité et par le besoin de reproduire la consommation des classes dominantes (c’est la consommation ostentatoire de Veblen ou la filière inversée de Galbraith). Une large partie de la population a le sentiment d’être pauvre parce qu’elle n’a pas accès aux produits utilisés par les classes dominantes. Il y a toujours des besoins en termes de logements, d’équipements collectifs, d’alimentation de base, de santé, qui ne sont pas satisfaits. Mais la logique de la société est de créer une tension, qui oblige à satisfaire en priorité des besoins ostentatoires.

Les revenus qui explosent dans la période courante ne sont pas (sauf cas particulier) ceux des savants ou des ingénieurs, indiscutablement utiles, mais ceux des chefs d’entreprises, des financiers, des artistes, et des sportifs. Les dividendes explosent, mais ils ne sont plus utilisés pour investir mais pour financer des consommations de luxe ou des activités spéculatives.
Les seuls riches utiles sont les capitalistes industriels, mais ceux-ci tendent à disparaître avec le développement du capitalisme financier. Ensuite, ils meurent ; leur capital passe à des héritiers incompétents qui dilapident le capital de leurs parents.
Il n’est pas illégitime que la société taxe lourdement les revenus fruit de la rente (les plus-values mobilières ou immobilières, par exemple), de la prédation (les revenus des traders, les revenus des dirigeants d’entreprises auto-décidés), de la chance (ceux des artistes de variétés, des présentateurs) ou pire de l’héritage.
 
Julien Damon : Tony Blair a absolument raison. On change pas le monde en concentrant la fiscalité sur les plus hauts revenus. Plus d’ailleurs que changer le monde c’est aller sans originalité dans un sens que prennent de plus en plus souvent les grands pays riches. Ou plutôt les vieux pays riches. Car la richesse se déplace considérablement et rapidement. C’est à l’Est et au Moyen-Orient que se trouvent désormais les très riches, les inégalités scandaleuses (entre hommes et femmes par exemple), et les niches fiscales. Quant à savoir si « les riches » sont à l’origine des dysfonctionnements sociaux, ceci revient à chercher un unique coupable, qui serait, en quelque sorte, le grand capital ou, plus précisément, une population de descendants des 200 familles. Ce ne serait pas des héritiers directs, mais de nouveaux riches surtout abreuvés de primes et de stock-options. S’il y a assurément de l’exubérance dans la rémunération des traders et autres apprentis-sorciers du monde boursier, ils ne sont pas les uniques « riches ». Si ces quelques personnalités qui ont fait plus la pluie que le beau temps sur les marchés sont éminemment critiquables, il n’en va pas de même pour la richesse en général. Celle-ci devrait être considéré comme un bien public. Je force le trait pour provoquer. Mais sans richesse, sans production de richesse, une société s’écroule. Tout simplement. Les accuser de tous les maux – les riches - me semble relever d’un conservatisme et d’une facilité de pensée toute caractéristique d’un occident vieillissant.
Se pose ensuite la question suivante : "Les riches sont-ils rentables ?". Je répondrais oui, généralement. Ceux qui ne sont ni les rentiers ni les héritiers permettent à tous les autres de prospérer. La question derrière tout cela est bien de savoir qui sont les riches. Nous sommes tous le riche de quelques autres. En France, par une sorte de curieux déplacement des points de vue nous avons ce que l’OCDE a appelé l’  « effet Gala » (du nom du magazine). On se concentre sur les très riches, par exemple les patrons du CAC 40 (qui ne sont que 40, et qui ne sont pas, par ailleurs, toujours les mieux rémunérés dans leur société). Si les riches sont les entrepreneurs, les entraîneurs et les managers de qualité, alors ils ne sont pas seulement utiles à la société.
Ils sont indispensables. Et les vilipender sans cesse c’est se tirer des balles dans les pieds, en les faisant partir. Naturellement il y a quelques exagérations. Il en va ainsi de certains traders aux rémunérations aberrantes (mais c’est aux banques, à leurs clients et actionnaires de s’en soucier). Il en va certainement plus encore des sportifs de haut niveau et de très haute rémunération. Mais pour l’essentiel, si on considère que les riches ce sont ceux qui comptent parmi les 10 % de la population aux revenus les plus élevés (dit ainsi les riches sont 10 % de la population), alors on se trouve avec une rémunération minimale des riches à environ 3 000 euros par mois. Ce qui n’est pas modeste, mais pas non plus mirobolant. En fait le problème, bien mis en avant depuis les mouvements de type Occupy Wall Street ce sont les 1 % les plus favorisés. Et encore une fois, à part quelques parasites, en particulier dans le secteur de la finance comme de l’art contemporain subventionné, ils sont avant tout nécessaires.
Pascal Salin : Ce qui compte pour estimer si les riches sont "rentables" (c'est-à-dire s'ils sont utiles aux autres) c'est de connaître l'origine de la richesse. Elle est utile à tous dans une économie capitaliste, elle est nuisible dans une société non-capitaliste. En effet, celui qui s'enrichit dans une économie capitaliste reposant sur la liberté d'agir, de produire, de contracter, c'est celui qui rend service à autrui. Il ne prend rien à autrui, mais il crée des richesses nouvelles et il permet ainsi aux autres d'obtenir des biens plus utiles et moins chers ou de recevoir des salaires plus élevés. Ce n'est pas un hasard si c'est le capitalisme qui a permis en Occident, pour la première fois dans l'Histoire, à des masses innombrables de sortir de la pauvreté. C'est pourquoi la défense  du capitalisme n'est pas la défense d'une minorité – celle des riches - mais la défense de tous les membres d'une société.
Par contre, dans une société non-capitaliste, la richesse des uns  provient de la spoliation des autres. La richesse est alors immorale et elle est par là-même nuisible, puisqu'elle incite non pas à créer, mais à voler. Telle est la situation aussi bien dans les économies pré-capitalistes d'autrefois que dans les social-démocraties modernes. Assez étrangement, on utilise souvent le terme de "privilégiés" pour désigner les riches dans une société capitaliste, alors que leur richesse ne résulte pas de privilèges, mais de leur utilité sociale. C'est seulement dans les économies non-capitalistes que la richesse est le résultat de privilèges, comme on l'a bien vu, par exemple, dans les pays communistes et comme on le voit malheureusement si fréquemment dans toutes ces économies qui sont sous-développées – parce que non capitalistes – et où les membres de la nomenklatura politique vivent  richement aux dépens de leurs concitoyens. 

Les fortes inégalités de revenus sont néanmoins vues comme un facteur de déstabilisation sociale. Qu'en est-il dans les faits ? 

Henri Sterdyniak : La crise financière de 2008 a bien montré les risques d’une société inégalitaire où la consommation est portée par des bulles financières d’un côté, la montée de l’endettement public et privé de l’autre. Sur le plan social, une société se porte mieux si tous les jeunes ont leur chance, si tous accèdent à une éducation et à une santé satisfaisante. L’objectif doit être le bien-être collectif et non le développement de la richesse de certains.

Les jeunes se trouvent avoir à choisir entre deux types de carrières : des professions à revenus relativement assurés (enseignant ou ingénieur) et des carrières à fortes disparités de revenus (sportif, artiste ou financier), dans lesquelles il y a un gagnant et de nombreux perdants. Le creusement des inégalités de revenus et de statuts rend de plus en plus rentable de choisir la carrière risquée. On aboutit donc à une situation peu satisfaisante où il y a de nombreux perdants, qui ont perdu leurs temps et leurs efforts, sans avantage pour la collectivité. De nombreuses activités parasitaires (la finance, la spéculation) ou inutiles (la publicité, la création de nouveaux besoins) contribuent à nourrir les inégalités sociales, à exacerber les sentiments d’injustice. Les inégalités des revenus s’auto-entretiennent.

Les plus riches acceptent de payer des produits et des services spécifiques à des prix élevés, ce qui permet de faire vivre grassement une couche de population à leur service, que ce soit les officines spécialisées dans l’organisation des défiscalisations, les producteurs de produits de luxe, les publicitaires, etc..

L’augmentation de la richesse d’une étroite couche de la population, la richesse de certaines grandes entreprises relativement à la paupérisation de l’État aboutit progressivement au retrait de subventions de certaines activités (culture, sport, enseignement) qui doivent avoir recours au parrainage ou au mécénat privé. Ainsi, aboutit-on à un cercle vicieux où les plus riches ont une influence accrue dans la société. Par exemple, les journaux dépendent de la publicité (décidée par les grandes entreprises) et des aides financières de certains capitalistes. Les sportifs, les artistes deviennent progressivement des agents publicitaires.

Julien Damon : Vous faites implicitement référence aux thèses de The Spirit Level (paru en 2009). Le propos de ces deux épidémiologistes anglais, également formés à l’économie, Richard Wilkinson et Kate Pickett, a fait des vagues politiques des deux côtés de l’Atlantique. Il est simple : les inégalités sont dangereuses pour les individus et pour les sociétés. Davantage que la pauvreté, elles seraient nuisibles au bien-être. Le message précis du livre est une critique à l’endroit des riches pour les conséquences néfastes de leurs activités et comportements. Au-delà des riches, c’est la richesse même qui est critiquable. Les auteurs soutiennent que les pays riches connaissent, pour la plupart, « un succès matériel mais un échec social ». 
« Les sociétés modernes, malgré leur niveau de richesse, sont des échecs sociaux ». La formule peut faire mouche, mais il faudrait alors savoir ce que sont les sociétés modernes… Car le travail ne porte que sur vingt-trois pays « riches ». Il ne prend pas en compte, par exemple, les nouveaux Etats membres de l’Union européenne issus du bloc soviétique. Il ne prend pas non plus en compte la Chine et, bien entendu, ne s’intéresse pas à des cas extrêmes d’égalité supposée parfaite, comme la Corée du Nord. On peut vraiment se demander si les conclusions sur la vingtaine de pays de l’échantillon a véritablement une portée générale, ou si une grande partie des corrélations n’est pas fallacieuse…
Pascal Salin : Le terme d'inégalités de revenus – lourd de sens implicite – ne devrait être utilisé que dans les cas où il y a une sorte de "Grand Répartiteur". Parlons donc plutôt de disparités de revenus. Certes, les sentiments de jalousie sont humains et ils existent donc probablement toujours. Mais ils sont dangereusement stimulés lorsque les individus savent qu'il existe un Etat susceptible de les aider à s'emparer des richesses d'autrui et qui prétend en outre que cela est moral. Mais alors que la solidarité exercée volontairement par ceux qui donnent ce qui leur appartient légitimement est morale, la prétendue solidarité obtenue par la contrainte est dénuée de toute moralité. Ce ne sont donc pas les disparités de revenus qui sont un facteur de déstabilisation totale, mais cette guerre de tous contre tous instaurée par l'interventionnisme étatique.

En parallèle, l'obsession de l'égalité des revenus, présentée comme une panacée, n'est elle pas un archétype de la fausse bonne idée ?

Julien Damon : Oui. L’égalisation totale des situations est polpotienne. Elle n’a rien de sérieux. Le libéral conséquent est pour l’absolue égalité des droits. Il est pour les mesures assurant un socle d’égalité des chances. Il doit se méfier de l’égalité de faits. Attention ! Entre hommes et femmes, toutes choses égales par ailleurs, toute inégalité de revenus est un scandale intégral. Pour le reste, l’inégalité des revenus, si elle est rémunération des talents et non pas rente (par les diplômes, les corporatismes et les héritages), est heureuse. Potentiellement heureuse.
Pascal Salin : Cette obsession de l'égalité est pire qu'une fausse bonne idée, elle est un ferment de destruction sociale pour les raisons que nous venons de voir. Elle consiste à suggérer que certains ont des droits sur les autres pour la seule raison qu'ils ont des revenus moins importants, quelles qu'en soient les raisons. Il est essentiel de se convaincre qu'elle n'est pas l'expression de la morale, bien au contraire. En effet, elle est le pur produit de l'imagination des hommes de l'Etat qui se font élire en promettant de punir les riches et de leur prendre une grande partie de leurs richesses (comme on le voit avec l'actuel gouvernement français).
Ce faisant, ils portent atteinte à la source même de la prospérité de tous, mais cela leur importe peu, puisqu'ils cherchent seulement à conserver leurs pouvoirs et à vivre ainsi aux dépens des autres. Mais ce faisant, les hommes de l'Etat trouvent en fait le moyen de revenir à une société non-capitaliste où la richesse est due au vol et à l'esclavage et non aux bienfaits apportés à autrui. Le vol et l'esclavage des plus productifs est le fondement de la social-démocratie. 
Henri Sterdyniak : Je ne crois pas. Je pense que l’objectif doit être de minimiser les inégalités de revenus. Une entreprise se porte mieux si chacun a le sentiment d’être dans le même bateau, plutôt que si une couche étroite de dirigeants touchent 100 fois plus que le salarié moyen et jouit de plus de parachute dorée. Il est important qu’une part important des besoins échappe aux lois du marché.

Si demain on supprimait la richesse, la société s'en porterait-elle mieux ?

Henri Sterdyniak : Sans doute. On peut viser une économie égalitaire, détendue, à la scandinave plutôt qu’une société énervée à l’américaine. Mais, il faudrait se poser la question : « comment organiser une société plus égalitaire ? ». Il faudrait socialiser l’accumulation du capital, favoriser les innovations sociales et collectives, orienter collectivement la production et la consommation.
Encadrer les revenus les plus élevés dans les entreprises, décider par exemple, que le salaire du PDG ne peut être supérieur à 10 fois le salaire moyen reconnaitrait que la capacité de croissance et d’innovation de l’entreprise dépend de l’effort et de la cohésion de l’ensemble des salariés de l’entrepriseLa croissance actuelle ne pourra se prolonger à l’infini. Elle impose la consommation de ressources qui ne sont pas renouvelables. Elle imprime des dégâts irréversibles à la planète. L’économie mondiale doit devenir plus économe en énergie, en matières premières, en émission de gaz à effets de serre et en pollution. La tendance spontanée du capitalisme consiste soit à refuser de se poser les problèmes de long terme, soit à imposer un rationnement par les prix, qui pèsera sur les pays et les couches sociales les plus pauvres. L’éviter nécessite de passer à une société plus égalitaire et plus sobre. Dans cette optique, les hauts revenus redeviendront un anachronisme choquant.

Julien Damon : Je me rappelle d’un graffiti sur un mur de Paris : « Il faut prendre tout aux riches. Tout ». Et un autre graffiteur avait ajouté « Et après ? ». Ces propos, mélange de communisme intégral et de naïveté confondante, relèvent de ce qu’on peut valablement appeler la richophobie.

Pascal Salin : Dans une société totalement statique, il n'y a pas de riches (sauf ceux qui usent de la contrainte). L'existence de personnes riches est un signe du dynamisme d'une société. Elle signifie en effet qu'il existe des innovateurs capables d'inventer et de produire des biens nouveaux et des processus de production nouveaux. Supprimer la richesse, supprimer les riches c'est porter atteinte à ce processus fondamental des sociétés humaines, le seul qui permette l'amélioration du sort de tous.

 

Pour finir, peut-on dire que l'on assiste à une nouvelle forme de conflit social ?

Henri Sterdyniak : La mondialisation et la globalisation financière ont fragmenté le salariat. Les plus pauvres sont dans la misère, victimes de la concurrence de la main d’œuvre à bas salaires des pays d’Asie, de la concurrence des travailleurs issus de l’immigration comme de la sous-traitance organisée par les grandes entreprises. Ce sont souvent eux-mêmes des travailleurs immigrés. Les travailleurs non-qualifiés sont fragilisés et doivent accepter la stagnation de leurs salaires. Au contraire, une fine couche de dirigeants est grassement rémunérés par les actionnaires pour gérer les entreprises à leur service, pour accroître la valeur actionnariale. La finance distribue des revenus élevés à des couches parasitaires. Les classes dirigeantes doivent rémunérés les intellectuels à leur service. Ainsi, la barrière de la lutte des classes ne passe plus seulement entre salariat et capital ; elle passe à l’intérieur du salariat lui-même.

Julien Damon : L’appartenance de classe a diminué (au moins dans les esprits). Les inégalités se sont considérablement atténuées. Mais on sait, au moins depuis Tocqueville, que plus l’égalité est proche plus la violence peut survenir. Je ne crois pas aux conflits frontaux entre riches et pauvres. Je crois plus aux conflits, dans les comptes sociaux, entre jeunes et vieux, et dans la réalité de l’activité professionnelle, entre les gens du public (quoiqu’on dise plus protégés) et les gens du privé (plus exposés). 


Pascal Salin : Le conflit social autour de la répartition des richesses n'est pas véritablement nouveau, même s'il s'exprime avec des mots différents de ceux du passé. Le thème du conflit entre bourgeois et prolétaires est apparenté à l'approche marxiste. Malheureusement, même si on n'utilise plus que rarement ces termes, le marxisme a laissé des traces profondes dans les esprits. Mais les riches ne vivent pas aux dépens des pauvres, pas plus que les bourgeois ne vivaient aux dépens des prolétaires. En réalité, les uns et les autres sont solidaires car l'enrichissement des uns contribue à l'enrichissement des autres. 

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