TOUT EST DIT

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dimanche 2 juin 2013

Et pendant que l'UMP s'écharpe et que le PS se félicite de son bilan... y a-t-il encore un Paris pour Parisiens normaux ?

Guerres fratricides à droite et autosatisfaction à gauche, les différents prétendants à la Mairie de Paris s'attribuent une considération de façade des quartiers populaires. Restent les questions de la pertinence de ce mot, de la définition qu'il a pris aujourd'hui et sa présence géographique si elle existe encore.

Guerres fratricides à droite et autosatisfaction à gauche, la course à la Mairie de Paris semble bien peu se préoccuper vraiment des quartiers populaires de la capitale. Peut-on dire que ces fameux quartiers que furent Belleville, Mouton Duvernet, Ménilmontant ou "La Mouffe" soient toujours "populaires" dans leur composition ? Comment pourrait-on les définir aujourd'hui ?

Yankel Fjalkow : Le mot « populaire » est ambigu car il désigne à la fois une composition sociale et une ambiance.  S’il exprime la part d’ouvriers dans la capitale celle-ci a considérablement chuté à Paris ainsi que dans les Une certaine mixité sociale est à l’œuvre qui n’est pas le fait des politiques mais de la rencontre entre les lois du marché et la structuration du parc immobilier. Mais elle n’est pas forcément tranquille et harmonieuse. Ces quartiers ont donc encore une ambiance populaire dans le sens où l’espace public, les commerces, les marchés, sont accessibles aux pauvres. Mais le fossé se creuse avec l’espace résidentiel qui est chèrement payé.
arrondissements du Nord et de l’Est. C’est un phénomène général en France qui se traduit plus fortement dans la capitale. Pour autant, Paris contient encore des populations ayant un faible niveau de revenu. Ainsi l’écart de revenu entre les populations s’est considérablement accru même dans les quartiers dits populaires. Dans les lieux mythiques, l’écart entre les revenus les plus faibles et les plus élevés à même tendance à augmenter.
Claude Dubois : Ces quartiers ne sont plus populaires du tout. J’en veux pour meilleur exemple l’année 2005 et le référendum pour la Constitution européenne. La France dans son ensemble a voté « non », s’opposant ainsi à l’adoption de ce texte dans sa forme actuelle alors que les 20 arrondissements de Paris ont tous voté « oui ». A l’époque, les journalistes ont parlé de climat révolutionnaire, de déconnexion, mais on attend toujours pour la révolution.
Dans mon livre Ça c’est Paris, j’avais dit que si nous étions en situation révolutionnaire, Paris serait aujourd’hui le Versailles d’hier, or à l’époque Paris s’opposait à Versailles, et la Commune témoigne bien de ce que fut Paris et ce qu’il n’est plus. Qui plus est, on trouvait dans ce « oui » parisien la droite et la gauche, seuls les extrêmes ont voté contre. Comme l’a dit un grand homme, feu Louis Chevalier, historien et professeur au Collège de France, l’assassinat de Paris ne fut autre que le déplacement des Halles vers Rungis, et toutes les conséquences qui en ont découlé. De cet événement, Paris s’est embelli, le visibilité et la mise en valeur du patrimoine ont été renforcées entraînant des destructions et des reconstructions et surtout expropriant et expatriant les populaires en dehors des frontières de la ville.  
Il y a deux nouveaux "populaire" à Paris, les bobos, qui « votent dans le bon sens »  mais dont le discours ne correspond pas à leur style de vie bourgeois, technologique et pleine de gadgets. De l’autre côté, la nouvelle couche populaire de Paris est constituée par les populations immigrées ou d’origine étrangère, en tout cas sur le plan économique et social. A la différence des premières générations d’arrivant, parmi lesquels j’avais de nombreux amis, qui finissait par prendre l’accent parisien, de ces couches s’est créée une forme de nouvel argot qui s’est répandue dans toutes les couches parisiennes, bien loin du langage des argotiers. Ainsi, il y a une forme de « populaire » mais qui ne correspond plus à ce que l’on appelait « le Paris populaire ».

Quels sont encore les derniers espaces réellement populaires s'il en existe ?

Yankel Fjalkow : L’expression « réellement populaire » m’est un peu étrangère car elle fait référence à la nostalgie, à l’authenticité du « peuple », que l’on trouve plus souvent dans les vieux films sur Paris que dans la réalité sociale d’aujourd’hui. Ceci dit, il existe à Paris des fractures sociales fortes c’est-à-dire des îlots composés essentiellement de très bas revenus qui vivent dans du logement social ou dans des logements très dégradés. Ils sont peu nombreux, spatialement réduits et situés au nord et à l’est de la capitale. Ces espaces et ces populations sont des enjeux importants pour la ville de paris.
Claude Dubois : Je pense qu’il n’y en a plus, plus aucune enclave géographique clairement définies en tout cas. Au-delà de quelques bistrots avec des patrons marrants et des gens qui font le spectacle, ce Paris-là n’existe plus. On ne voit plus les petits commerçants de quartiers qui allaient prendre l’apéritif ensemble, jouer aux cartes après le boulot etc. Le langage, l’argot sauvage des films à la Gabin qui s’entendait partout a disparu. Pendant 18 ans, j’ai eu une chronique au Figaroscope, Claude Dubois le titi, et dans ces papiers, en totale liberté, je dénonçais la colonisation des bobos.  
Ce qui est intéressant c’est qu’on a voulu créé ces nouveaux quartiers bourgeois du côté des Halles, notamment en y ouvrant un café Coste. Cependant, le fait de choisir ce même endroit pour y faire arriver de nombreux RER  n’a pas permis que les populations bourgeoises s’y sentent à l’aise, elles se sont alors déplacées vers le quartier de la Bastille puis Ménilmontant, la rue d’Oberkampf et ainsi de suite. Enfin, sous Jacques Chirac, il y a eu ce que l’on appelait le « rééquilibrage de l’Est parisien » qui a également embourgeoisé toute une série de zones dont celle désormais très appréciée du canal Saint-Martin.

La "gentrification" de la capitale n'est-elle pas en train de s'étendre aussi à la proche banlieue ?

Yankel Fjalkow : Le terme de gentrification est trop souvent galvaudé. Il suppose que tout Paris est conquis par une catégorie sociale, sociologiquement mal définie : la « gentry ». En fait, le processus n’est pas univoque, il y a des quartiers où le processus est considérablement ralenti voire freiné tant par les populations qui cherchent à se maintenir que par la construction de logements sociaux. La proche banlieue que vous citez s’est considérablement recomposée sociologiquement ces dernières années, mais le début de gentrification à laquelle on assiste est surtout le fait de couches moyennes qui n’arrivent plus à se loger dans Paris. Mais le problème est alors celui des couches les plus pauvres qui vivent dans de l’habitat privé inconfortable et qui voient celui-ci se réhabiliter. Le marché de logement qui leur est accessible se réduit. Soit ils acceptent de plus mauvaises conditions de logement pour se maintenir en zone centrale, soit ils partent plus loin.
Claude Dubois : La gentrification de la banlieue est un phénomène clair, bien que ce ne soit pas mon domaine de connaissances géographiques, je crois que les prix plus bas, les anciens ateliers qui se transforment en loft, ont permis de conserver un peu de populaire qui attire d’autant plus les nouveaux bourgeois. C’est aussi le désamour de Paris en tant que tel qui a provoqué ce phénomène en y poussant un profil sociologique de bobos à s’en éloigner pour les raisons pour lesquelles ils voulaient y vivre. Il y a donc peut-être paradoxalement plus de restes de la culture populaire mais pas tout à fait celle du Paris qui en est la source initiale.

Ce phénomène s'explique t-il par la seule montée des prix immobiliers ?

Yankel Fjalkow : Non, il y a aussi pour ces couches moyennes une certaine appétence culturelle, un gout d’histoire, une recherche de l’authenticité du « peuple » (nous y revoilà !) et de l’exotisme, qui les attire dans ces endroits. Mais il y a aussi la recherche de la localisation en zone centrale à proximité des moyens de transports, des lycées prestigieux, des lieux culturels. Aujourd’hui, le logement est devenu, aux yeux des individus, un outil de production de soi. La localisation conditionne et symbolise le succès scolaire, l’accès à l’emploi voire les liens affectifs. Les couches moyennes qui sont sous l’emprise de cette attraction centrifuge vont jusqu’à la première couronne. 

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