samedi 2 février 2013
Mali, Afghanistan, Irak... Ces guerres qu'on ne peut pas gagner en ignorant l'importance des appartenances tribales ou claniques
François Hollande est attendu ce samedi au Mali "pour exprimer à nos soldats tout notre soutien". Mais certaines guerres ne se gagnent pas uniquement sur le terrain militaire. L'Occident imagine trop souvent des solutions politiques vouées à l'échec en oubliant les structures claniques ou tribales structurant ces pays.
Philippe Hugon : Il est vrai que l'Afghanistan, la Libye ou encore la Syrie fonctionnent sur des extensions politiques du système tribal, mais il faudrait modérer ce constat dans le cas malien. La question ethnique n’est plus vraiment déterminante dans le pays depuis les années 1960, époque à laquelle le socialiste Modibo Keita a mis en place une politique étatique relayant les logiques ethniques au second plan. Les débats politiques dépassent depuis l’appartenance au groupe et l'on ne peut pas dire qu'il y ait eu dans l'histoire récente du Mali d'important conflit tribal.
Cela est sans compter bien sûr l’exception touarègue qui est un problème récurrent aux frontières depuis plusieurs dizaines d’années. Cette ethnie nomade fonctionne encore sur le mode tribal à l'inverse des Maliens Peuhls ou Bambara qui ont un sentiment d'appartenance nationale relativement prédominant. Les Touaregs ne partagent ni la même histoire, ni la même langue et sont extrêmement attachés à leur mode de vie, qu'ils refusent d'abandonner pour se fondre dans un autre Etat. Cela s'est traduit par de nombreuses alternances entre rébellions et négociations avec les gouvernement locaux par le passé. La chute récente du régime de Khadafi combinée à la faiblesse de l'Etat malien a permis depuis aux tribus nomades de monter en puissance et de lancer le mouvement d'indépendance de l'Azawad qui est à l'origine des troubles actuels. Dans le cas du Nord Mali, et plus généralement du Sahel, la connaissance des logiques tribales, qui permet par exemple d'être au fait des alliances matrimoniales formées entre les différentes tribus touaregs, est effectivement un atout clé de la pacification. Le risque d'amalgames entre Touaregs et djihadistes est par ailleurs croissant comme le montrent les exactions arbitraires de l'armée malienne et les conséquences ne sont pas ici à prendre à la légère.
Olivier Roy : La pacification du Mali, et plus généralement de la région, sera difficilement envisageable si on se contente de remettre en place une administration similaire aux précédentes qui sera mal vue par la population du nord et qui sera probablement responsable d'exactions. A long terme la seule option viable quoiqu'on en pense est de prendre en considération les différents acteurs politiques et de leur donner le temps de trouver un consensus. Le problème est que les interventions extérieures anesthésient le débat politique local en favorisant telle faction contre telle autre ou en donnant à telle faction le sentiment qu’elle n’a pas besoin de trouver un consensus et une légitimité pour s'imposer. Du coup, on gèle tout processus propre à l’Etat en question. Or, il n’y aura pas d’Etat légitime, donc de pacification durable, sans un processus politique malien. Rassembler quelques représentants officiels dans un hôtel et les enfermer pendant quinze jours pour qu’ils trouvent un compromis ne ménera hélas à rien et risque peu de déboucher sur un Etat fort et légitime.
Olivier Roy : C’est tout le problème : « A qui va-t-on remettre les clefs ? » On nous a dit que le but de la guerre était d’expulser les terroristes islamiques sans définir exactement qui ils sont. Où le terrorisme s’arrête-t-il et où commence l’interlocuteur politique légitime ? On annonce qu’on va remettre les clefs à l’Etat malien, mais il n’y a pas de gouvernement stable et légitime qui pourrait prétendre à représenter le pays avant de représenter tel ou tel groupe. Si des groupes radicaux islamistes ont pu faire une percée dans le nord du pays, c’est parce qu’il y avait un mouvement populaire dans le nord contre le pouvoir central. Ce ne sont pas les islamistes qui ont fait un coup de force contre la population locale. Il y a bien eu un mécontentement.
Olivier Roy : En effet, l’effort de démocratisation ne prend jamais réellement en compte la structure de la société. Il faut prendre le mot tribalisme dans un sens très large : groupe ethnique, famille étendue, etc… En Irak, comme en Afghanistan , on a essayé d’imposer un modèle démocratique traditionnel : le peuple vote, élit un parlement qui prépare une Constitution, puis choisi entre différentes options politiques pour mettre en place un gouvernement qui dirige le pays. Comme on l’a constaté en Afghanistan ou en Libye, il y a bien une demande de démocratie car les gens se déplacent pour aller voter même dans des conditions difficiles. Le problème est de passer de cette demande de démocratie à son institutionnalisation. Livrer clef en main un modèle politique ne fonctionne pas parce qu’on loupe complètement l’étape de la construction de l’Etat. C’est un échec qu’on va voir se répéter au Mali car le but de l’opération est de rétablir la souveraineté de l’Etat malien. Or, il n’y a pas d’appareil d’Etat légitime au Mali.
Dans une situation d’instabilité, les gens votent pour leur groupe et le groupe essaie de se brancher sur l’appareil d’Etat. C’est un réflexe beaucoup plus défensif que prédateur. Aucun groupe ne prétend être l’Etat. En revanche, chaque groupe a peur que l’autre groupe s’empare avant lui de l’Etat. Il y a un système de clientélisme et de corruption, mais ce réflexe de groupe est tout à fait normal dans un contexte où il y a une ouverture brusque du champ politique sans vrais institutions politiques. La question est de savoir comment les sociétés "tribalisées" peuvent mettre en place un compromis politique et un espace politique.
Philippe Hugon : La démocratie est par définition la loi de la majorité, ce qui pose logiquement problème dans des sociétés pluriethniques où une relation un tant soi peu équilibrée des divers groupes est une condition essentielle de la paix sociale. Cela prend du temps lorsque la démocratie est instaurée de manière rapide et l’on comprend en conséquence les complications de pays comme l’Irak, l’Afghanistan ou la Libye. Les questions de coexistence et de compensation via l’instauration de contres-pouvoirs en faveurs des ethnies moins représentées y sont traditionnellement essentielles et c'est paradoxalement cet équilibre que la démocratie remet en cause dans ces pays pour l'instant.
L’instauration de régimes démocratiques, comme en Libye ou en Syrie s’est basée sur une vision finalement restreinte de la démocratie, plutôt que de s'appuyer sur sa définition universelle : les principes d’élections libres et de multipartisme ne se calquent pas facilement sur les sociétés qui les ignoraient jusque-là. Cela est particulièrement vrai pour ces deux pays : la dialectique pouvoir/opposition s'y construit actuellement sur des antagonismes violents qui contrastent avec les débats politiques institutionnalisés de l’Occident. Cette non-prise en compte des rapports de pouvoirs explique largement l’incompréhension des pays développés face aux Printemps arabes et aux évènements qui en découlent.
Pour ce qui est du Mali, on peut dire que, le conflit grandissant, la question des antagonismes ethniques se posera de plus en plus, la lutte contre le djihadisme ne pouvant pas être l'éternel référent des Etats africains impliqués dans le conflits (Algérie, Tchad, pays de la CEDEAO, ndlr). Le risque de voir le fait ethnique croître avec le temps est ici bien concret, avec en conséquence un renforcement des réflexes clanique et un bouleversement profond des stabilités régionales.
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