TOUT EST DIT

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vendredi 8 février 2013

La France est-elle au bord de l'explosion sociale comme le pense Manuel Valls ?


Le ministre de l'Intérieur s'est inquiété mardi matin d'une explosion sociale de la France liée à la récente vague de licenciements dans l'industrie française. Malgré les divers sujets qui divisent les Français, l'embrasement du pays de la Révolution est encore bien loin.

Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a déclaré mardi s’inquiéter des risques d' «implosion ou explosion sociale» liés aux mouvements que pourrait créer la vague de licenciements et de fermetures d’usines en France. La situation économique du pays et l’état d’esprit actuel de la classe ouvrière justifient-ils cette inquiétude ?

Dominique Andolfatto : Je ne suis pas au cœur de ces entreprises mais ce que je constate de nouveau dans la sociologie des mouvements sociaux c’est la multiplication de ceux-ci dans les entreprises privées, petites et grandes.Traditionnellement, cela était bien souvent réservé aux fonctionnaires, aux cheminots, aux entreprises de transports plus ou moins liées à l’Etat. De là à dire, que cela va entraîner une explosion sociale, il y a un pas que je ne franchirai pas.
Ils sont complètement dingues ces socialistes !!!
Mathieu Zagrodzki : Je ne crois pas que l’on puisse répondre de manière univoque à cette question car la contestation sociale virulente et violente a toujours existé dans notre pays. Sans même considérer l’ensemble de l’histoire sociale de la Vème République, il y a toujours des blocages d’autoroute, des déversements de fumier ou des PDG retenus dans leur bureau. Il est possible qu’il y ait une montée des crispations ces dernières semaines à cause de la vague des licenciements mais ce n’est pas pour autant qu’il pourrait y avoir un embrasement généralisé du pays ni une agrégation des causes et des problèmes.

Historiquement, jusqu’à quel degré de violence les mouvements sociaux sont-ils allés ?

Mathieu Zagrodzki : Il y a eu historiquement deux grands moments où la violence a été particulièrement élevée dans les mouvements sociaux. Le premier est bien évidement mai 68 qui a été exceptionnel tant par sa longueur que par son intensité. Cela a notamment donné lieu à l’apparition et la disparition des fameux voltigeurs, ces motards qui percutaient les manifestants à l’aide de barres de fer. Mai 68 a donc été une sorte de prise de conscience pour les pouvoirs publics qui ont compris que certaines pratiques n’étaient plus acceptables dans la gestion des conflits sociaux. La deuxième période marquante fut probablement les manifestations contre le projet Devaquet en 1986 qui, au-delà des dizaines de blessés, a provoqué la mort de Malik Oussekine et a profondément choqué l’opinion publique.
Dominique Andolfatto : J’entends de plus en plus souvent parler de radicalisation des mouvements sociaux mais je crois qu’il y a là une profonde erreur d’analyse. Les mouvements sociaux ont toujours été violents, et ils le sont plutôt moins qu’avant. Il existe cependant deux éléments qui contribuent à cette vision. Premièrement, les divers porte-paroles de ces mouvements sociaux sont contraints de faire dans le spectaculaire, dans le virulent afin d’émouvoir les médias et de les attirer à eux. Il est apparu une injonction qui oblige les mouvements sociaux à entrer dans une dramaturgie qui n’existait pas auparavant. Ensuite, les mouvements sociaux étaient autrefois assez solidement encadrés par les syndicats qui avaient de leur côté une solide tradition militante et de très nombreux membres mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. En dehors des grandes entreprises, les salariés sont donc bien souvent livrés à eux-mêmes, dos au mur, et sont donc souvent plus prompts à agir plus vite et de manière plus extrême que les grosses organisations syndicales.

Un tel mouvement pourrait-il emporter l’adhésion des Français et ainsi se propager ? Quelles causes pourraient faire l'amalgame ?

Dominique Andolfatto : En général, la violence fait peur à l’opinion et met fin aux mouvements sociaux plutôt qu’elle ne les encourage. La France est malade d’une conviction qui consiste à penser que les mouvements violents emportent toujours l’adhésion générale probablement héritée de la Révolution française et qui est pourtant complètement fausse. Lors des évènements de mai 1968, la diffusion télévisée d’images violentes a brutalement entravé le mouvement dans l’opinion. Je n’imagine pas que les autres causes qui divisent actuellement la France puissent s’associer de quelque manière que ce soit. Ce serait marier la carpe et le lapin. Les mouvements urbains et sociétaux comme le mariage pour tous sont complètement déconnectés des questions économiques qui poussent les ouvriers à la revendication sociale. De plus sur la question du mariage, ce sont surtout les antis qui se sont mobilisés et j’ai du mal à croire que ces gens, qui sont pour la plupart bien loin de l’idéologie syndicale, puissent s’associer aux métallos et aux autres. Il peut évidemment exister des violences ponctuelles mais aucun phénomène de coagulation de ces causes qui sont dispersées par manque de structures claires.
Mathieu Zagrodzki Il est assez peu probable de voir apparaître une agrégation des causes qui provoquerait des mobilisations sociales bien plus importantes que des manifestations ouvrières. Au moment des manifestations contre le CPE, une partie des syndicats étudiants avaient essayé d’attirer à eux la jeunesse défavorisée des cités à sa cause mais sans grand succès. Cela s’était même retourner contre eux avec l’apparition de groupes de casseurs et de détrousseurs issus de cette jeunesse qui frappaient et dépouillaient les manifestants. Bien que les problématiques des cités et des licenciements ne soient pas tout à fait déconnectées, puisqu’elles sont fonctions de questions socio-économiques globales touchant à la pauvreté (l’emploi, le logement), elles ne sont pas vouées à fonctionner ensemble. L’autre exemple clair est que, lors des émeutes de 2005 dans les banlieues, celles-ci étaient très peu politisées et aucune revendication politique claire n’en est sortie.

La classe ouvrière française a-t-elle atteint un niveau de désespoir qui pourrait catalyser la lutte des classes ?

Dominique Andolfatto : Il n’est plus possible aujourd’hui de parler d’une classe ouvrière mais de plusieurs classes ouvrières. Les intérêts des différents groupes d’ouvriers sont bien souvent divergents tant cette classe est plurielle. Le problème de fond reste donc la dispersion et la très faible implantation syndicale dans cette classe car les représentants sociaux sont de plus en plus souvent des cols blancs qui ont plus de mal à fédérer les populations salariées. Il existe donc un regain de combativité qui n’est pas forcément empreint de désespoir car même si la situation n’est pas parfaite nous sommes bien loin de l’opposition patron/salariés du 19ème siècle. De plus en plus, les choses se règlent dans une discussion autour d’une table.

Quel pourrait être le rôle des syndicats dans une telle situation ? Se positionneraient-ils comme médiateurs ou comme leaders du mouvement ? 

Dominique Andolfatto : La tradition syndicale est plutôt à la modération et c’est bien pour cela que les différents gouvernements ont donné un rôle important aux syndicats. Les politiques y voient des modérateurs entre une base désorganisée, parfois en colère, et l’élite patronale. Les syndicats sont supposés faire office de pont dans la hiérarchie sociale pour faciliter la négociation. Les syndicalistes jettent rarement de l’huile sur le feu bien que lorsqu’ils ne sont pas entendus ou satisfaits ils peuvent céder à la tentation de la radicalité. En général, ils cèdent même plutôt à la discussion afin de trouver des portes de sortie et de mettre rapidement fin aux contestations.
Mathieu Zagrodzki : Là encore, si l’on se réfère à l’exemple du CPE, on constate qu’un tournant a été pris lorsque la CGT a offert son service d’ordre aux manifestants afin de lutter contre les casseurs et les dépouilleurs. Ces services d’ordres sont très organisés et ont réussi à très bien gérer l’intérieur du cortège pendant que les policiers s’occupaient de l’extérieur et des rues avoisinantes. Cela a permis d’institutionnaliser les revendications car les grandes centrales syndicales n’ont aucun intérêt à voir une manifestation dégénérer. Cela les discrédite tant auprès des citoyens que des décideurs politiques.

Comment la classe politique peut-elle éviter d’encourager ces mouvements sociaux ? Cela passe-t-il par la réforme des syndicats ?

Mathieu Zagrodzki : Dans toutes les situations d’alerte à propos d’une situation sociale tendue considérée comme pouvant dégénérer, le pouvoir politique doit mettre en œuvre une politique de prévention et de présence policière afin de canaliser le problème. Cependant, il est à noter que cela peut parfois avoir l’effet inverse et être considéré comme une provocation. Le dernier exemple en date est celui des ouvriers de Florange qui souhaitaient rendre visite à Nicolas Sarkozy dans son QG de campagne en mars dernier et qui se sont retrouvés face à un rempart de CRS. La situation s’est rapidement envenimée car les ouvriers ont considéré qu’agir ainsi témoignait d’une criminalisation de la revendication ouvrière et de la contestation sociale.
Dominique Andolfatto : Le paradoxe du syndicalisme français est qu’il a déjà beaucoup de pouvoir mais peine à séduire les foules de milliers de salariés. A l’inverse, quand le DGB tape du poing sur ma table les patrons allemands écoutent car en face d’eux sont assis des gens qui représentent des centaines de milliers, voire des millions, de travailleurs. Ils ont le pouvoir d’arrêter totalement le travail dans un lander. La classe politique n’a pas beaucoup de moyens d’action face à la colère des salariés pour la simple et bonne raison qu’elle n’en a pas pour réguler réellement l’économie. Cela nourrit une sorte de désespérance imputable à la sensation qu’il n’y a pas de capitaine dans un bateau un peu fou. Enfin, il ne suffira pas d’une réforme pour faire changer la structure syndicale française qui est la résultante d’une construction longue et empreinte d’histoire. 

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